Économie

Et si, pour aider les migrants, on taxait (enfin) les transactions financières

Temps de lecture : 8 min

Plutôt que d’en retarder sans cesse la mise en œuvre, une taxe sur les transactions financières permettrait d’aider les pays les plus pauvres à retenir les migrants, dans une forme de « codéveloppement » économique comme l’a qualifié François Hollande. Mais le périmètre de cette taxe ne cesse de se rétrécir.

Des partisans d'une taxation financière à New York en 2012 | Michael Fleshman via Flickr CC License by CC
Des partisans d'une taxation financière à New York en 2012 | Michael Fleshman via Flickr CC License by CC

Avant toute analyse, un rappel: 5.300 milliards de dollars, c’est le volume moyen quotidien des transactions financières sur les marchés de change dans le monde, établi par la Banque des règlements internationaux. Le genre de transactions sur lesquelles pourraient être appliquée une taxe.

Ainsi, un infime prélèvement de 0,1% génèrerait un produit de plus de 5 milliards de dollars par jour, et plus de 400 milliards par an. Un rendement énorme pour une taxe microscopique et indolore qui n’appauvrirait personne, résume Philippe Douste-Blazy en tant secrétaire général adjoint de l’ONU. Et qui pourrait faire partie du débat sur l’immigration dans le monde. Immigration qui est l’un des plus grands défis auxquels le monde entier en ce début de siècle est confronté.

Une réponse au besoin d’émigrer

Pourquoi ce rappel? La problématique de l’immigration pour les pays les plus riches commence par la possibilité donnée aux migrants de vivre dans leur pays d’origine.

Lorsque les réfugiés fuient le terrorisme, une guerre civile ou une dictature comme c’est le cas pour les Syriens, Irakiens, Afghans, Érythréens et d’autres encore, le problème est différent (quoique si les pays en question avaient pu profiter d’un décollage économique, le terrorisme ne se serait pas incrusté et des régimes autoritaires n’auraient peut-être pas eu accès au pouvoir).

L'aide en cours a été calibrée avant que le phénomène migratoire atteigne les proportions actuelles

Mais pour les autres migrants qui ne sont pas des réfugiés politiques et qui fuient la misère, une aide économique qui leur permettrait de se fixer dans leur pays est la meilleure réponse au problème. Pour les pays d’accueil pris au dépourvu comme pour les pays pauvres, il s’agirait d’un processus de «codéveloppement», comme l’a qualifié François Hollande à l’occasion de sa conférence de presse du 7 septembre. À condition, toutefois, que la corruption ne détourne pas cette aide de son objectif. Mais il existe des propositions, formulées notamment par l’ONG Transparency International, pour faire échec aux détournements.

La question de la pertinence du politique

Certes, il existe déjà une aide aux pays en développement, qui atteint déjà le montant de 135 milliards de dollars par an. Mais son calibrage a été étudié avant que le phénomène migratoire atteigne les proportions actuelles. Aujourd’hui, elle n’est plus une réponse adaptée, d’autant que l’aide aux pays les plus pauvres diminue. Il faut revoir les canaux de diffusion, et envisager une augmentation.

Pour les pays riches, un supplément d’aide qui permettrait aux populations les plus démunies de se construire un avenir chez eux, serait un effort bien plus supportable que la prise en charge de flux de migrants de plus en plus denses, que jamais des murs ne refouleront et sur lesquels il est humainement intolérable de fermer les yeux.

Dans ces moments-là, on se demande à quoi servent les hommes politiques s’ils ne parviennent pas à anticiper des situations connues de tous, et à imposer des règles qui profiteraient à tous. Comme la taxe sur les transactions financières. Une taxe à plus de 400 milliards de dollars par an; trois fois plus que l’ensemble de l’aide versée par les pays riches aux pays en développement. De quoi faire changer d’échelle la solidarité internationale.

Un mode de financement innovant

Un rapport de Pascal Canfin et Alain Grandjean remis en juin dernier à François Hollande, insiste sur le potentiel de ressources financières issues de la taxe sur les transactions financières. En l’occurrence, les auteurs préconise ce mode de financement innovant pour lutter contre les effets du réchauffement climatique.

À Copenhague, les pays développés s’étaient engagés à mobiliser 100 milliards de dollars par an au bénéfice des pays pauvres. On en discute toujours

Mais précisément, il existe aussi des réfugiés climatiques, qui se confondent souvent avec les réfugiés économiques, et ils seront de plus en plus nombreux avec la progression du réchauffement. D’où la nécessité, selon les auteurs, «de mobiliser davantage de fonds publics et de massifier des flux d’investissement privés vers une économie bas carbone». Rappelons qu'à la conférence de Copenhague et pour la seule lutte contre les effets du réchauffement climatique, les pays développés s’étaient engagés à mobiliser 100 milliards de dollars par an au bénéfice des pays pauvres. On en discute toujours.

Une Europe désunie

Voilà déjà longtemps que les chefs d’État se sont penchés sur cette taxe. Nicolas Sarkozy l’avait inscrite au programme du G20 de 2011 qu’il présidait. Sans succès. La même année, la Commission européenne présentait une proposition destinée à mettre en place une taxe qui «serait prélevée sur toutes les transactions sur instruments financiers entre institutions financières lorsqu'au moins une des parties à la transaction est située dans l'UE». Avec un taux de 0,1% sur l'échange d'actions et d'obligations et de 0,01% sur les contrats dérivés, les recettes s'élèveraient à environ 57 milliards d'euros par an pour la seule Union européenne.

Le Parlement européen se prononça en faveur de cette proposition. Mais en 2012, face à l’opposition manifestée par certains pays membres, seuls onze pays de l’UE (France, Allemagne, Italie, Espagne, Autriche, Belgique, Portugal, Grèce, Slovaquie, Estonie et Slovénie) décidèrent de poursuivre l’expérience. Quitte à devoir se satisfaire d’un rendement moins important, évalué à l’époque à 35 milliards d’euros par an.

Mais les lobbies bancaire entrèrent en action, soulignant les risques que feraient courir cette taxe «sur des pans entiers de l'industrie financière française», alertait la Banque de France. En cause: la concurrence que se livreraient à l’intérieur même de l’Europe les places financières qui seraient touchées par cette taxe, et les autres comme Londres qui, déjà, les domine. «Il n’y a pas de solution pour une taxe dans la zone euro si Londres s’en affranchit», déclarait Jean-Pierre Jouyet, Secrétaire général de l’Elysée et ami du Président, fin 2012 alors que, un an plus tôt, il en était partisan.

Reports successifs

Pourtant, François Hollande lui-même avait à plusieurs reprises –dans son discours du Bourget comme à Rio ou à l’Assemblée générale de l’ONU– pris position en faveur de cette taxe et la voyait même entrer en vigueur dès 2013. Mais la France a fait marche arrière. D’«historique», la mesure était qualifiée d’«excessive» par Pierre Moscovici lorsqu’il était ministre de l’Économie. La France prenait le parti d’en restreindre le périmètre, et finalement fut à l’origine du piétinement des dix autres pays volontaires. L’hypothèse d’une mise en place pour la fin 2014 fut avancée. Mais la crise grecque gela la mécanique.

En dix ans, le nombre de déplacés aura plus que doublé

Michel Sapin, devenu ministre des Finances publiques, déclara préférer une mesure efficace plutôt que trop ambitieuse, et annonça cette taxe pour début 2016. Las! Devenu commissaire européen, Pierre Moscovici a annoncé en juillet que la date butoir était reportée à début 2017.

60 millions de réfugiés par an

Et pendant ce temps, les réfugiés –qu’ils soient politiques, économiques ou climatiques–convergent de plus en plus nombreux vers l’Europe, elle-même divisée quant à l’accueil à leur proposer à l’image du contraste saisissant entre la France et l’Allemagne.

Mais il n’y a pas que l’Europe. Le monde entier est concerné par les phénomènes migratoires. L’an dernier, le Haut commissariat aux réfugiés de l’ONU a évalué à 60 millions le nombre de personnes déplacées dans le monde. Cette année, on en comptera encore plus et, en dix ans, leur nombre aura plus que doublé.

Les flux de migrants vont continuer à grossir, irrémédiablement à cause du réchauffement climatique, et pendant ce temps, les moyens manquent pour permettre à une partie d’entre eux de se maintenir dans leur pays d’origine. Alors que des «financements innovants» existent, mais que personne ne les met en œuvre. Quitte à se contenter d’un rendement moins performant, la Commission européenne planche sur un projet de taxe avec une assiette plus large mais des taux bas pour être plus réaliste, explique Pierre Moscovici.

De nouvelles mesures devraient être annoncées à l’occasion de la conférence de Paris sur le climat, la COP21

Vers une grande conférence internationale

Quoi qu’il en soit, en Europe et ailleurs, on ne peut se contenter de construire des murs pour contenir les flux d’immigrants. Une réaction humainement dégradante et de toute façon totalement inefficace, surtout sur le long terme. Le chef de l’État français propose d’organiser une conférence internationale sur les réfugiés pour que les grands pays du monde s’organisent collectivement face à un phénomène qui ne peut que se développer.

Il promet de nouvelles mesures qui devraient être annoncées à l’occasion de la conférence de Paris sur le climat, la COP21, à la fin de l’année. La taxe sur les transactions financières, portée par onze pays européens, reviendra à cette occasion dans l’actualité. Pour un engagement enfin définitif qui pourrait ensuite faire tache d’huile pour éviter, selon François Hollande, «une crise humanitaire gigantesque», tant pour des raisons économiques que climatiques.

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