Vladimir Poutine avait tout prévu : la désignation d'une Douma où ses partisans auraient une écrasante majorité et qui donc ne risquerait pas de créer des problèmes au chef du gouvernement ; l'élection d'un président qu'il aurait lui-même choisi parmi ses affidés, un jeune homme présentable mais sans aucune base politique personnelle dans les milieux des forces de l'ordre, les seuls qui comptent dans la Russie post-eltsinienne. Un juriste qui pourrait charmer l'Occident avec des discours sur l'Etat de droit mais qui n'oserait jamais se retourner contre son créateur.
Un peu moins d'un an après le passage de témoin à Moscou, les faits n'ont pas encore contredit Vladimir Poutine. Et pourtant Dmitri Medvedev cherche les occasions de se démarquer de l'ancien guébiste qui l'a hissé sur la plus haute marche du pouvoir. Il ne se révolte pas contre le premier ministre qui garde dans ses mains le contrôle des organes de sécurité et des principaux groupes économiques. Il n'en a pas les moyens. Cependant, il essaie de se créer dans la nomenklatura sa propre clientèle qui, le jour venu, pourrait le soutenir dans une éventuelle épreuve de force. Et il critique le gouvernement afin de marquer sa différence.
La crise économique, qui frappe durement la Russie, est propice à des analyses divergentes. Pour résumer, deux conceptions s'affrontent : d'un côté les partisans d'une intervention encore plus poussée de l'Etat dans la vie des grandes entreprises qui gèrent les ressources naturelles et alimentent le budget de l'Etat ; ils veulent utiliser le trésor de guerre amassé du temps où les prix du pétrole étaient élevés pour sauver les banques, financer les oligarques bien-pensants et distribuer des allocations sociales, sans égard pour les déficits publics. De l'autre, ceux qu'on pourrait appeler les libéraux ; ils considèrent que la maîtrise de la crise exige un approfondissement des réformes économiques et des progrès dans le respect des libertés individuelles. Ce n'est pas un hasard si un institut de recherche proche de la présidence, l'Institut pour un développement moderne, vient de publier un rapport prônant un élargissement des droits civiques.
Ces divergences peuvent avoir des conséquences sur la politique extérieure de la Russie. La première tendance est compatible avec une rhétorique anti-occidentale, telle qu'elle s'est développée ces dernières années. La seconde tendance mise au contraire sur la coopération avec l'Europe et les Etats-Unis, seuls capables de fournir à la Russie la technologie et les investissements dont elle a besoin pour sortir d'une économie de la rente et développer une économie moderne et diversifiée.
Il serait simpliste de penser que la première tendance est incarnée par Vladimir Poutine et la seconde par Dmitri Medvedev. La guerre de Géorgie aidant, le président a été mis dans l'obligation d'endosser une politique dure à laquelle il ne croyait pas nécessairement. En même temps, il a compris que l'attitude de la Russie dans la crise du gaz avec l'Ukraine offrait de son pays une image peu accorte chez ses voisins européens.
En fait, la politique étrangère russe donne l'impression d'être schizophrène. Une illustration en est fournie par la position vis-à-vis de l'Afghanistan : au moment où les Russes signent un accord avec les Américains pour le passage des convois de ravitaillement, ils poussent les Kirghizes à fermer la base utilisée par les Américains. Il est probable que cette sorte de double langage durera aussi longtemps que la nouvelle administration américaine n'aura pas clairement défini sa politique envers Moscou. Les premiers signes sont à l'apaisement par rapport aux derniers mois du mandat de George W. Bush, que ce soit à propos de l'élargissement de l'OTAN, du déploiement d'un système antimissile en Europe ou de la reprise des négociations sur le contrôle des armements nucléaires. On attend que Barack Obama se prononce officiellement sur tous ces sujets.
Entre temps, la crise économique peut avoir deux conséquences opposées en Russie : un repliement sur soi accompagné d'un durcissement nationaliste et anti-occidental ou une ouverture sur un monde certes chahuté mais auquel la Russie ne peut se soustraire.
Daniel Vernet