Un tweet, un like, peut-être une signature. Et pour beaucoup, cela n'ira pas plus loin. La récente crise des migrants a relancé le «slacktivisme», ou «activisme fainéant», ce phénomène qui consiste, selon ses détracteurs, à se révolter et agir tranquillement depuis son canapé.
En milieu de semaine, c'était des milliers d'utilisateurs de Twitter qui racontaient leur histoire personnelle avec le hashtag #JaiEteMigrant. Jeudi, ils appelaient depuis derrière leur écran les politiques de tout bord à faire quelque chose après la publication dans plusieurs quotidiens et de nombreux sites web de la photo d'Aylan Kurdi, l'enfant syrien retrouvé mort sur une plage turque.
Comme l'écrivait la blogueuse Bahia Nar dans l'Atelier des médias, en novembre 2012:
«Le "slacktivisme", ou "activisme fainéant", existe depuis près de dix ans mais il a pris de l’ampleur depuis quelques années, surtout avec l'émergence des réseaux sociaux.
Changer sa photo de profil selon la nouvelle cause adoptée, signer des pétitions en ligne ou tweeter avec un hashtag particulier sont désormais devenues les nouvelles formes d'activisme voire de lutte 2.0, voire les nouveaux moyens pour changer le monde. [...]
Mais [...] pourquoi devient-on slacktiviste? Peut-être pour satisfaire son besoin d'appartenance [...] à une communauté militante, main dans la main avec le reste du monde. Peut-être aussi pour satisfaire ses besoins d'estime et d'auto-accomplissement et se rendre utile en faisant changer les choses. Ou parce qu’on a tellement le choix entre les causes que, grâce au slacktivisme, un simple clic te permet d'adopter plusieurs causes à la fois. Sans oublier que militer en ligne, c’est plus facile et plus fun.»
Vos partages de photos de cadavres sur les plages ont permis de ne rien changer et de sauver environ 0 enfants. Merci à vous tous !
— Zelda Dorant (@ZeldaDorant) 3 Septembre 2015
En 2009, le chercheur Evgeny Morozov publiait sur le site de NPR, la radio publique américaine, une tribune où il se demandait si le slacktivisme n'allait pas faire plus de mal que de bien:
«Est-ce que les gains en publicité que l'on gagne en s'appuyant plus sur les nouveaux médias valent les pertes organisationnelles que vont probablement connaître les entités activistes traditionnelles, puisque les gens commenceraient à se détourner des formes traditionnelles d'activisme (qui fonctionnent, comme les manifestations, les sit-ins, les confrontations avec la police, les actions en justice...) et embrasser les formes "slacktivistes", qui sont peut-être plus sûres, mais dont l'efficacité n'a pas du tout encore été prouvée?»
Quatre ans plus tard, Nate Lanxon, alors rédacteur en chef du site de la version britannique de Wired, débattait de la même question dans un des podcasts du magazine:
«On parle beaucoup de "slacktivisme" et je pense que si les gens font quelque chose de facile, ils imaginent avoir fait quelque chose. C'est très bien de montrer son soutien, mais parfois, ce dont les gens ont besoin, c'est un don...»
Pour ceux que cela intéresse, Leïla Marchand a récapitulé la liste des choses que vous pouvez faire pour aider les migrants.
Des gestes concrets en plus
Il faut avouer que certaines campagnes ont plus fait parler sur les réseaux qu'obtenu des résultats. En Ouganda, celle surnommée Kony 2012 n'a pas échappé à de nombreuses controverses –même si l'on ne s'en est rendu compte qu'après coup– et, aux dernières nouvelles Joseph Kony, le chef de l'Armée de libération du seigneur, qui y a enrôlé de force des enfants, est toujours libre, même s'il est recherché par «Interpol, les forces armées américaines et la Cour pénale internationale», rappelle le JDD. Quant aux écolières nigérianes enlevées par le groupe terroriste Boko Haram, le hashtag #BringBackOurGirls a beau avoir réveillé les médias occidentaux, elles sont toujours prisonnières et la situation qu'elles vivent est toujours aussi terrible.
En avril 2013, la branche suédoise de l'Unicef avait réalisé une vidéo pour demander des gestes concrets en plus du slacktivisme.
Et, dans le cas des réfugiés syriens, c'est ce qui semble s'être passé. Jeudi, l'Unicef France a recueilli 15.000 euros de dons spontanés. Ce vendredi 4 septembre dans l'après-midi, 11.000 euros supplémentaires avaient été collectés. D'habitude, précise-t-on du côté de l'organisation, très active sur les réseaux sociaux, ces chiffres tournent autour de 2.000 euros par jour.
#AylanKurdi : le monde ne peut pas détourner les yeux. Protégeons les enfants réfugiés ! #RestonsHumains #Migrants
— UNICEF France (@UNICEF_france) 3 Septembre 2015
Il est évidemment difficile de faire la part, dans ce surcroît de mobilisation, de l'activisme qui s'est déployé sur les réseaux sociaux, s'agissant d'un sujet aussi largement traité par les médias «traditionnels». Mais il est vrai que toute cette attention permet de faire parler de sujets que l'on ne traite pas forcément à leur juste valeur tout au long de l'année.
#KiyiyaVuranInsanlik
Si la photo d'Aylan Kurdi, l'enfant au t-shirt rouge retrouvé mort sur une plage, a fini par remonter dans les médias et permis à de nombreuses personnes de prendre conscience de cette crise humaitaire, c'est en partie parce que des internautes se sont occupés de la faire circuler sur les réseaux sociaux avec le hashtag #KiyiyaVuranInsanlik («L'humanité échouée», en turc), précise le Guardian. Know Your Meme indique que la photo est apparu le mardi 1er septembre (aux Etats-Unis, avec le décalage horaire) et que le hashtag a ensuite été repris dans la presse par des sites comme la BBC, le Guardian et le New York Times.
Topsy
Même si l'on se moque de l'engagement militant des slacktivistes, ils peuvent parfois apporter un énorme soutien à une cause. L'année dernière, la version britannique de Wired racontait l'histoire de la campagne #nomakeupselfie. Comme son nom l'indique, le but était de poster des photos de soi sans maquillage. Le hashtag était né pour soutenir l'actrice Kim Novak, dont l'apparence avait été critiquée aux Oscars, mais avait été récupéréré par la recherche britannique contre le cancer. Les gens pouvaient également donner via un mot clé envoyé par SMS. En l'espace de six jours, la campagne avait récolté 8 millions de livres (11 millions d'euros).
L'Ice Bucket Challenge de l'été 2014 a lui permis aux associations luttant contre la maladie de Charcot de récolter 100 millions de dollars (90 millions d'euros). Alors, comme le raconte Nicholas Kristof, dans une tribune publiée sur le site du New York Times:
«Envisagez le slacktivisme comme un produit de substitution. Il expose des causes aux gens et parfois il les rend accros. Et même si cela ne résout pas toujours les problèmes, cela a tendance à faire prendre conscience aux gens de l'existence de ces crises –un pas nécessaire, mais pas suffisant, pour les résoudre. Dans n'importe quel cas, le slacktivisme est préférable à l'inaction. [...] Arrêtez de lever les yeux au ciel. Longue vie au slacktivisme!»