Après la journée de la jupe, vint celle du short. Jeudi 10 septembre, au lycée Geoffroy de Saint-Hilaire, à Etampes, Léa, élève en terminale, décide d'organiser une journée estivale, où, pour profiter du beau temps (et s'élever contre les réprobations vestimentaires dont plusieurs élèves avaient fait l'objet depuis la rentrée), tout le monde portera des shorts. Le mot d'ordre est suivi, mais le directeur n'apprécie guère la chose. Léa est exclue trois jours. S'appuyant sur le règlement intérieur du lycée — les étudiants doivent porter une «tenue correcte», le proviseur lui soutient qu'elle n'a pas une «tenue décente»: son short est trop court. Quelle est donc la longueur correcte d'un short ou d'une jupe? Comment mesurer à partir de quand l'ourlet est trop proche des hanches?
«Il n'y a plus de taille idéale, affirme Antigone Schilling, journaliste spécialiste de mode. Jusque dans les années 60 et 70, la longueur d'une jupe était capitale: à l'ouverture des saisons, les couturiers décidaient du nombre de centimètres qui devraient recouvrir les jambes féminines, et tout le monde suivait ces codes. Ne pas les suivre, c'était donner un message idéologique, social». Aujourd'hui, on peut porter du court comme du long (du très court comme du très long). Il peut y avoir des tendances, mais il y a tellement de couturiers lançant tellement de directions différentes que plus rien ne domine. «D'une certaine manière, conclut Schilling, il n'y a plus de mode aujourd'hui: on ne fait que recycler».
Jupe ou short?
La question de la taille des shorts étampois rappelle la question des mini-jupes d'une autre époque. Dans les années 60, révolution des mœurs et des tenues, Mary Quant s'inspire de la rue et lance en Grande-Bretagne la mini-jupe, qui ne descend que dix centimètres sous les fesses. La créatrice anglaise ne pare pas que les mannequins, elle permet aux adolescentes de son époque de se différencier véritablement de leur mère.
En France, Courrèges déshabille surtout les élites et fait les couvertures des magazines de mode du monde entier. Le short, également lancé par Mary Quant, a été très porté dans les années 70, sous un long manteau épais (c'était le subtil contraste mini/maxi) avec des cuissardes. Le short avait beau être court, dans les faits, on ne voyait qu'à peine les genoux. Le short a disparu pour ne redevenir tendance qu'il y a deux ans; sa symbolique n'est pas du tout la même que la jupe, symbole de féminité (quelle que soit sa longueur). Le short rappelle davantage Gavroche, version sexy éventuellement, mais Gavroche tout de même. Et détail non négligeable, le short est fermé. Donc short court face à mini-jupe, le short semble être moins provoquant.
Pas de ligne donc pour les régents de la mode. «Ce qui doit primer, c'est l'élégance», souligne Didier Ludot, créateur et expert en haute couture. Le contexte est très important: ne pas s'habiller pareil à la plage et en ville; éventuellement mettre des «barrières» (collants opaques, bottes...) Ne pas mettre un short très court avec un string qui dépasse (en vrai, même avec un short long, dans aucun cas n'avoir un string qui dépasse...). Surtout, tous les acteurs de la mode s'accordent pour dire qu'«en fonction de la jeune femme qui la porte; la même jupe peut être vulgaire, provocante ou élégante».
Toujours les filles visées!
Dans la décision du proviseur d'Etampes, ce sont les filles qui sont visées. Certains pourraient arguer de ce que seules les filles portent des décolletés et des jupes trop courtes. Faux! D'abord les décolletés, il n'y a qu'à se balader parmi les adolescents branchés pour savoir que ce n'est plus l'apanage de la gente féminine. Certes, chez ces jeunes hommes, il n'y a souvent rien à voir, pas même un poil.
Et pour les jupes? Qui aurait osé dire à César que sa jupette était trop courte? Et Ben-Hur? Quelqu'un a parlé à Ben Hur de sa jupe indécente? Charlon Heston avait sans doute beaucoup plus à cacher sous ses jupes ou sous son short que les minettes du lycée d'Etampes.
Sans féminisme excessif, il paraît tout de même assez évident que cette façon de vouloir sans cesse rallonger les jupes des filles reste un réflexe rétrograde, «réac, d'avant 68», selon Tristan Ustyanowski, responsable de l'Union nationale lycéenne de l'Essonne. Une époque — un autre siècle — où on licenciait une speakerine de l'ORTF pour cause de jupe trop courte, et où un ministre de l'Education nationale jugeait l'objet déplacé.
Charlotte Pudlowski
Image de une: août 2007 à Varsovie, une femme regardant des jupes sur un marché/ Reuters, Kacper Pempel