France

Catholiques et Front national: la fin du cordon sanitaire?

Temps de lecture : 7 min

Au-delà de l'invitation à débattre lancée à Marion Maréchal-Le Pen, trois raisons font penser que la garde anti-FN est en train de baisser dans le catholicisme français.

Marion Maréchal-Le Pen, le 5 juillet 2015. REUTERS/Philippe Laurenson.
Marion Maréchal-Le Pen, le 5 juillet 2015. REUTERS/Philippe Laurenson.

L'invitation à débattre, samedi 29 août, à la Sainte-Baume (Var), adressée à Marion Maréchal-Le Pen par une université d’été de jeunes catholiques, à quelques mois d‘une élection dans une région où elle est tête de liste Front national, n’annonce pas la fin du veto opposé au FN par l’Eglise depuis trente ans. Elle manifeste pourtant bien des évolutions au sein de l’extrême-droite française comme de la population et de la hiérarchie catholiques.

Avant de devenir l’une des plus progressistes au monde, l’Eglise de France, «ralliée» à la République au début du XXe siècle, a longtemps pactisé avec les courants contre-révolutionnaires, antidreyfusard, maurrassien, vichyste. Orpheline de l’Action française et de Pétain, nourrie aux mêmes références et aux mêmes souvenirs (la Vendée!), entretenant la même détestation de la République laïque et de l’Eglise moderniste (sans messe en latin!), c’est ce carré de catholiques nostalgiques français qui a rompu avec le concile réformateur de Vatican II (1965), organisé le schisme «intégriste» de l’évêque français Mgr Lefebvre (1988) et rejoint l’extrême-droite du Front national, ses thèses racistes, xénophobes, voire antisémites.

Le lien n’a même cessé de se renforcer entre ces influences intellectuelles et politiques de l’intégrisme français et le rejet des évolutions dans l’Eglise, le rêve de «restauration» de la chrétienté d’autrefois, mythique et idéalisée. Aujourd’hui peu nombreux, mais toujours aussi prisonniers de leurs archaïsmes, fermés à toutes les mains tendues, avec beaucoup d’indulgence, par les derniers papes (surtout Benoît XVI), les plus enragés des intégristes catholiques sont les éternels revenants des combats de l’extrême-droite française.

Vieille caution catholique de Jean-Marie Le Pen, Bernard Antony, qui se faisait appeler «Romain Marie» (tout un programme!), ancien député européen du FN et fondateur de Chrétienté-Solidarité, proclamait dès la fin des années 1980 que «le Front national n’est en désaccord sur aucun point avec la doctrine de l’Eglise catholique, qui a fermement condamné le communisme, la franc-maçonnerie, le socialisme, même modéré, et le libéralisme doctrinal». Une liste étrangement sélective, dont sont absentes les fameuses condamnations romaines de l’Action française (par Pie XI en 1926), du fascisme nazi, plus récemment de l’antisémitisme.

«Radicalement incompatible»

Dès son apparition, le Front national est rejeté par l’Eglise comme «radicalement incompatible» avec l’Evangile et les valeurs chrétiennes. Les premières condamnations explicites tombent en 1985 au lendemain d’élections européennes où le FN a atteint 11%. Aux déclarations racistes de Jean-Marie Le Pen, à sa récupération honteuse de l'identité chrétienne, le cardinal Decourtray, archevêque de Lyon et primat des Gaules, riposte énergiquement dans les murs de sa cathédrale:

«Nous en avons assez de voir grandir dans notre pays le mépris, la défiance et l'hostilité contre les immigrés. Nous en avons assez des idéologies qui justifient ces attitudes. Comment pourrions nous laisser croire qu'un langage et des théories qui méprisent l'immigré ont la caution de l'Eglise de Jésus-Christ?»

Comment pourrions nous laisser croire qu'un langage
et des théories
qui méprisent l'immigré ont la caution de l'Eglise
de Jésus-Christ?

Le cardinal Decourtray, archevêque de Lyon,
en 1985

A Paris, c’est le cardinal Lustiger, d’origine juive, qui dénonce avec vigueur et régularité les thèses «néo-païennes et anti-chrétiennes» du Front national et l’«avilissement de la pensée négationniste de Le Pen» sur les chambres à gaz. Ces deux cardinaux vont devenir les bêtes noires du chef du Front national. Il les fait huer au cours de ses meetings, les accuse d’être des complices de la gauche marxiste et des loges maçonniques, des porte-parole du «lobby pro-immigré» et du «complot anti-Le Pen». En 1996, il s'en prend bassement à Mgr Lustiger en ironisant sur ses origines juives: «Moi, je n'ai pas besoin de me convertir puisque dès ma naissance, j'ai été baptisé dans une religion catholique que, personnellement, je n'ai jamais abjuré!»

Le combat des évêques contre le Front national ne va plus se relâcher. Tout les sépare en effet: à la suspicion du FN vis-à-vis des immigrés, l’Eglise répond par l’accueil de l'étranger. Contre l'inégalité des races, elle réaffirme l'égalité entre les hommes. Contre le repli national, elle rappelle les valeurs universelles du christianisme. Contre l’antisémitisme, elle déclare que le peuple juif est le «peuple aîné» des chrétiens. Contre le rejet de l’islam, elle en appelle à l'amitié avec tous les «fils d'Abraham».

Dialogues contre nature

Faut-il penser que ce combat contre l’extrême-droite diabolisée et le vieil intégrisme catholique français a perdu de sa vigueur à la tête de l’Eglise en France? Que le «cordon sanitaire» dressé par la hiérarchie épiscopale autour du Front national est en train de tomber? Que l’audace d’un pape François, pressant les catholiques de faire bouger les lignes, de bousculer les frontières et rejoindre les «périphéries», peut risquer d’aboutir à des dialogues contre nature ?

«Le FN n’est pas un parti catholique, mais les autres non plus!», disent les initiateurs du débat, dans le Var, avec Marion Maréchal-Le Pen. Ou encore: «Il est intéressant de faire dialoguer des chrétiens qui n’ont pas les mêmes options politiques.» Car, contrairement à sa tante Marine, la présidente du FN, Marion Maréchal-Le Pen revendique sa foi catholique, va à la messe, participe, chaque année, à la Pentecôte, au pèlerinage traditionaliste entre Chartres et Paris. En 2013-2014, elle a manifesté avec la «Manif pour tous »et depuis fréquente les jeunes catholiques, qui se font appeler «veilleurs», militant toujours contre le mariage homosexuel.

Trois raisons font penser que la garde anti-FN est en train de baisser dans le catholicisme français.

1.La frilosité des évêques français

La génération des évêques aujourd’hui à la tête de l’Eglise se montre plus discrète à l’égard du parti de Marine Le Pen que celle d’il y a trente ans, dont les condamnations de Jean-Marie Le Pen étaient vigoureuses, régulières, spectaculaires. Sans doute n’ont-ils pas plus d’indulgence pour les thèses anti-immigration et anti-islam du FN et pour l’instrumentalisation d’une référence chrétienne qui demeure présente, moindre qu’il y a trente ans, précisément chez une Marion Maréchal-Le Pen. Mais pour eux, le cap a été fixé il y a trente ans, la «doctrine» n’a pas changé et il n’y a pas lieu d’y revenir.

On ne peut pourtant éviter de penser que cette plus grande frilosité est le reflet d’un catholicisme français qui vieillit et change. Il se montre plus soucieux de discipline et de sécurité, plus sensible à la «permissivité» ambiante, plus inquiet des évolutions familiales, des confusions sur le «genre», plus crispé par la présence des étrangers et surtout la peur de l’islam. A la ligne «progressiste» qui, en France, avait précédé et suivi le concile des années soixante, a succédé une ligne «néo-conservatrice», appuyée sur la défense des valeurs chrétiennes traditionnelles, sur l’éducation, le mariage, la famille, le genre, la sexualité et sur le retour à des formes anciennes de discipline catholique, de rite et de dévotion.

Le poids sociologique et politique des évêques français s’en ressent. Certains d’entre eux –comme précisément l’évêque du Var, Mgr Dominique Rey, qui a approuvé l’invitation de la dirigeante frontiste– sont des francs-tireurs, militants des combat contre l’homosexualité et l’avortement, voyageant dans la Russie de Poutine et la Syrie d’Assad. Familier des dérapages, Mgr Rey a un jour comparé le droit à l’avortement à «l’idéologie nazie» sur le blog intégriste Le Salon beige.

2.La «droitisation» plus prononcé du vote catholique

C’est sans doute la conséquence de l’observation précdente. Le temps semble lointain où l’intellectuel catholique René Rémond, commentateur avisé des soirées électorales, répétait que plus la pratique catholique était forte en France, moins on votait Front national. Cet axiome n’a sans doute pas fondamentalement changé, mais les dernières enquêtes électorales attestent d’une résistance moins grande du vote catholique au Front national. Aux élections départementales de mars 2015, les catholiques ont voté à 16% pour le FN (9% chez les pratiquants réguliers), mais, dans cet électorat, le vote pour la droite classique et le centre reste archi-majoritaire: 55% (et 69% chez les pratiquants les plus réguliers), contre 36% au plan national.

Dans une jeunesse désinvestie,
la stratégie de banalisation de Marine Le Pen porte ses fruits

Autrement dit, selon les politologues, les catholiques résistent plus que la moyenne nationale à la séduction qu’exerce le parti de Marine Le Pen. Mais ils n’échappent pas au vent qui souffle partout en faveur des thèses du Front national et des valeurs identitaires qu’il prétend incarner. Si les digues tiennent du côté catholique chez les plus anciens, des fissures apparaissent dans les jeunes générations. Dans une enquête d’OpinionWay publiée fin 2013 dans l’hebdomadaire La Vie, 10% des catholiques pratiquants de moins de 35 ans se disaient proches du Front national (contre 1% chez les plus de 65 ans) et 35 % disaient «apprécier Marine Le Pen». Il faut sans doute en conclure que, dans une jeunesse désinvestie par rapport à la politique, la stratégie de banalisation de cette dernière porte ses fruits. La «destructuration» des jeunes générations –perte de marqueurs idéologiques à droite comme à gauche, manque de repères religieux ou éthiques– facilite cette évolution.

3.La dédiabolisation du FN

Les évolutions et les crises, y compris familiale, internes au Front national, rebattent le jeu à droite et peuvent toucher, à terme, des populations conservatrices comme celle des catholiques. On sait que deux lignes apparaissent aujourd’hui: l’une, incarnée par Marine Le Pen et son bras droit Florian Philippot, est souverainiste, étatiste, protectionniste, ultra-laïque, anti-immigration et anti-islam. La deuxième, dans laquelle on peut retrouver, outre Marion Maréchal, des nostalgiques de la première période du FN et du patriarche Le Pen, reste fidèle à l’extrême-droite classique, nationale, de tradition catholique. C’est ce courant «national-catholique» du FN qui reproche par exemple à Marine Le Pen ses hésitations dans le combat contre le mariage homosexuel ou son refus d’abroger, dans le programme du parti, la loi autorisant l’avortement. Il ne se reconnaît pas non plus dans ses appels aux valeurs républicaines et à la laïcité. Ce courant pourrait devenir plus rassurant pour des catholiques désorientés.

C’est entendu: pour la hiérarchie de l’Eglise, le FN reste un parti infréquentable. Ce n’est pas parce qu’elle invite une Marion Maréchal-Le Pen à parler dans une enceinte catholique qu’elle se rend complice de son discours. Comme dit Olivier Ribadeau-Dumas, secrétaire de la conférence des évêques, le parti de Marin Le Pen est «clairement en opposition avec l’Evangile». Mais, à force de discours dédiabolisants et séduisants d’un côté, de mains tendues de l’autre, on risque de penser, un jour, qu’«être catho et au FN» peut aller de soi!

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