Un dimanche soir pas comme les autres, je me suis retrouvée à assister à un match de foot, PSG-OL, au Parc des Princes. C'était une surprise de mon mari, pourtant pas un passionné de foot, qui voulait me faire voir le stade parisien. Le match ne m'intéressait point et j'ai donc pris le parti de profiter d'un spectacle, celui des tifosi (magnifique) et de l'ambiance générale. Pour une soirée qui ne se répétera pas, elle fut fort sympathique. Mais dans la voiture, en quittant la porte d'Auteuil, j'ai eu une petite pensée pour mes amies italiennes, qui sont pour la plus part femmes ou compagnes d'Italiens, et, pour ne pas avoir oublié les moeurs de mes compatriotes, je les ai plaintes.
Jouant un peu avec nos clichés, imaginons être une femme italienne, par exemple, et d'être en couple avec un homme italien et de passer avec lui une entière semaine. Il y a quelques années, seul le dimanche était consacré au football. Désormais, avec l'arrivée du câble et du pay perview, ce sont les sept jours qui lui sont consacrés. Une semaine ponctuée d'événements sportifs, tels que matchs de foot, courses de Formule 1, compétitions de vélo ou de rugby. Sept jours potentiellement volés aux moments d'intimité d'un couple, sept jours durant lesquels notre jeune femme imaginaire devra jouer de tous ses atouts pour garder son homme loin du sport.
Dimanche
Commençons donc par le dimanche, jour où convergent plusieurs piliers sociaux: la famille, le sport et le couple. Le scénario probable: le couple se rend chez la famille, chez la grand-mère, par exemple. C'est un moment sacré. Elle apporte les paste (pâtisseries) pour être gentille. Le déjeuner dure une ou deux heures, la grand-mère se déchaîne et cuisine tout son livre de recettes. Le mari/compagnon profite de la cuisine de sa nonna (grand-mère) ou à défaut de la mamma (qui est évidemment mille fois supérieure à celle de sa moitié) et se gave. Le repas terminé, quelqu'un pense à allumer la télévision. Un son familier: le bruits des moteurs. Le Grand Prix de Formule 1 commence. D'un mouvement sinueux et discret, tous les hommes présents dans la pièce se déplacent de la table au canapé, les ventres remplis et le premier bouton du pantalon ouvert. Ils passeront trois heures à digérer et contempler un groupe de voitures faisant en moyenne 70 fois le tour du même circuit. La jeune fille compose et papote avec mère et grand-mère des enfants et petits-enfants qu'elle ne leur a pas encore donnés.
Dimanche soir, si elle a proposé à son ami/mari de regarder un film, elle aura entendu cette phrase célèbre: «Ma, amore, ci sono i gol!» (Mais, chérie, il y a les buts). Traduction: je vais regarder un résumé de tous les buts de tous les match (ligue 1 et 2) du championnat qui se sont déroulés dans l'après-midi.
Lundi
La jeune femme compte sur le lundi pour se rattraper. Pourquoi aller à ce dîner de collègues ou cette pièce de théâtre, alors qu'on est déjà fatigué. «Pourquoi a-t-on acheté un super écran plat, si après on sort tous les soirs?» Les chaînes Sky Sport, Eurosport et RaiTre offrent toute une série de rediffusion de matchs de basket, de foot et de catch.
Mardi
La jeune femme reçoit un appel de son chéri, la prévenant de bloquer sa soirée: il a une surprise pour elle. Une fois à la maison, la jeune femme pense enfin avoir son homme tout pour elle. Elle découvre avec horreur que sa moitié lui a concoctée une soirée Ligue des champions. Souriant et fier de sa trouvaille, il lui annonce: «On reste tous les deux à voir le match, j'ai même fait la pizza maison, t'es pas contente? Pour une fois qu'on passe du temps ensemble...». Elle obtempère desperée, en se disant qu'une fois fini le match, elle aura un peu de temps avec lui. A la première mi-temps, l'interphone sonne et brise tout son espoir: «Ah oui, j'avais oublié de te dire que Matteo passe voir la deuxième mi-temps, il n'a pas le câble chez lui».
Mercredi
La jeune femme, tenace, tente encore sa chance: elle propose de regarder un DVD sur le super écran plat. «Mais, chérie, tu sais bien que j'ai l'asta du fantacalcio ce soir!». Kesakó? Le Fantacalcio est un jeu très répandu en Italie, qui se base sur un championnat virtuel de football. Les joueurs composent en début d'année une équipe virtuelle, formée de joueurs de différentes équipes de la Serie A, à travers une enchère (mercato). Ensuite, cela consiste à noter les scores des matchs réels, qui donnent à l'équipe virtuelle un score général, en fonction des buts marqués, des actions, des penalties ou des cartons attribués. Il en suit un classement et un gagnant du championnat. Les hommes se retrouvent donc souvent pour le mercato et pour confronter leurs scores. Et si jamais pas Fantacalcio? Facile! Re-Ligue des Champions.
Jeudi
Le jeudi, c'est une évidence: partita di calcetto (petit match entre amis). C'est une institution: les garçons se retrouvent pour jouer au foot à 7. Terrains de banlieue, équipes locales et provinciales, plus ou moins organisés, ils entretiennent le mythe: un homme italien joue au football. Les copines auront donc le choix de passer la soirée toutes seules, entre copines de joueurs, ou, pire pour les plus dévouées, aux bords du terrain, dans la brume humide, à regarder les prouesses de leur compagnons. Papoter entre elles, fumer une cigarette et les attendre en dehors des vestiaires qu'ils terminent de se doucher. Et puis en rentrant «Ah, je vais me coucher, le match m'a crevé»...
Vendredi
La question ne se pose pas car l'Italien possède, depuis nombreuses années, un abonnement au stade qui lui permet de suivre son équipe du coeur. Sur le coup de 19h donc, il va retrouver ses immanquables amis et, enroulés dans leurs écharpes, ils se rendront dans le temple du dieu Calcio. Avant de partir, la jeune femme propose à son compagnon de prendre un apéro ensemble, discuter, se raconter la semaine. Elle le surprendra à ce moment là, concentré sur son téléphone portable, à taper sur les touches frénétiquement. Il est en train de donner sa formation. Pour le Fantacalcio. C'est essentiel: demain il y aura tous les matchs et, en bon entraîneur, il doit réfléchir à sa stratégie de jeu.
Samedi
La jeune femme, qui osera une dernière tentative et proposera un week-end enflammé à sa moitié, se verra rire au nez. La passion du sport gagnera encore contre la sienne: le samedi est une fleuraison de match de championnat.
Le taux de natalité italien, déjà un des plus bas d'Europe, serait-il donc condamné? Il serait d'ailleurs intéressant de comparer audience du sport à la télé et taux de natalité en Europe...
Enfin lucide, la fille décide de laisser tomber son obsedé du ballon. Elle sort avec ses amies: apéro, dîner, boîte de nuit, rencontres, liberté. Peut-être elle tombera sur un de rares hommes qui se désintéressent du sport. Le lendemain, au lieu du déjeuner chez la nonna, elle passera son dimanche au lit. Pas forcément seule.
Federica Quaglia
Image de Une: REUTERS/Max Rossi