Le tribunal correctionnel de Paris rend jeudi 28 juillet à 10H30 dans l'affaire des faux listings de la société Clearstream, notamment à l'encontre de Dominique de Villepin, un jugement lourd de conséquences pour l'avenir politique de l'ancien Premier ministre. S'il est relaxé, Villepin pourrait s'affirmer à droite, en vue de la présidentielle de 2012, comme un opposant au président Nicolas Sarkozy. Le chef de l'Etat est partie civile contre lui, une «première» en matière judiciaire. Le jugement, qui tombe le jour du 55e anniversaire du président de la République, suscite une telle attente que le tribunal de Paris a prévu une retransmission en vidéo dans une salle d'audience spéciale. Nous republions à cette occasion un article de Jean-Marie Colombani sur la fascination de Dominique de Villepin pour les pratiques de basse police et les cabinets noirs.
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Cette fois nous y sommes: le grand duel tant attendu a commencé. Un duel dont John Ford, ou Raoul Walsh, n'auraient pu imaginer qu'il puisse être à ce point scénarisé. Une première dans notre histoire politique, celle qui voit s'affronter dans un prétoire un président en exercice et un ancien Premier ministre, l'un et l'autre étant censés appartenir à la même famille politique.
A «OK Coral», Nicolas Sarkozy et Dominique de Villepin se font face. Tandis que le pays est au balcon. Ce spectacle, à nul autre pareil, et qui à lui seul devrait rassurer le Parti socialiste —dont les dirigeants ont encore du chemin à faire s'ils veulent atteindre ce degré de haine— est en fait à multiples niveaux et multiples enjeux. Premier niveau: le procès lui-même. Deuxième niveau: la réalité historique. Auxquels il faut ajouter un troisième niveau, plus subjectif celui-là, à savoir la conviction que chacun peut avoir ou a déjà sur ce sujet.
L'a-t-on assez répété, écrit, et énoncé sous toutes ses formes: Nicolas Sarkozy est censé avoir promis de suspendre le coupable de la machination Clearstream «au croc d'un boucher». Ce qui a fait dire à l'un des avocats de Dominique de Villepin, Maitre Metzner, que de tels propos n'avaient qu'un précédent dans l'Histoire: Adolf Hitler (excusez du peu!). Ces échanges renseignent sur le degré de haine qui sépare Nicolas Sarkozy et Dominique de Villepin, mais, à aucun moment, sur l'enjeu juridique du procès.
Machination
Au départ, et cela ne semble être contesté par personne, il y a bel et bien une machination, un véritable montage destiné à compromettre un certain nombre de personnalités, et avant toute chose à barrer la route de l'Elysée à Nicolas Sarkozy. Dès le départ, puis, les témoignages venant, notamment celui du général Rondot, les projecteurs ont été braqués sur Dominique de Villepin. Deux juges d'instruction ont conclu qu'il était l'instigateur de l'opération Clearstream.
On s'en souvient, il s'agissait de fichiers prétendument extraits d'un listing de comptes bancaires situés au Luxembourg. Alors que Clearstream n'est pas une banque, mais une chambre de compensation et que, lorsque l'on regarde lesdits listings, on aperçoit clairement des noms et des numéros rajoutés. Les deux juges d'instruction n'ont cependant pas été suivis, faute d'éléments suffisamment probants, par le Parquet, qui, après avoir envisagé un moment de dégager celui qui était alors Premier ministre, Chirac régnant, de toute responsabilité, a décidé de le poursuivre. Mais sur une base juridique ténue: il s'agit pour le Parquet d'une manipulation à laquelle aurait consenti Dominique de Villepin, mais «par abstention». C'est-à-dire en omettant de prévenir les intéressés qu'ils faisaient l'objet d'une manipulation.
Les spécialistes du droit et de la procédure qui entourent Dominique de Villepin vont donc s'efforcer de démontrer que le délit d'abstention n'existe pas. Ils tablent aussi sur le fait que le président de la République est partie civile. Nicolas Sarkozy l'était avant de devenir Président. Il l'est logiquement demeuré pendant, puisqu'il veut obtenir réparation devant la justice. Mais, pour les défenseurs de Dominique de Villepin, ce point peut faire l'objet d'une contestation devant la Cour européenne des droits de l'homme.
En tout état de cause, comme dans tous les procès modernes, il y a le droit, la bataille juridique, l'art plus ou moins consommé des avocats des deux parties. Et puis, ce qui se dit du procès, notamment dans la presse et à la télévision. C'est un film dans le film. Et c'est le plus souvent celui-ci qui influe sur l'opinion publique.
Villepin en victime
Devant elle, on a compris que Dominique de Villepin a tout fait pour se transformer en victime. On a, au point de départ, une affaire simple: une manipulation est mise au jour. Et Dominique de Villepin fait partie des personnes qui doivent en répondre devant la justice. Tout au long de la préparation de cette échéance, l'ancien premier ministre s'est posé en victime d'un «acharnement». Renversant en quelque sorte les rôles. Et s'appuyant pour cela sur le fait que, spontanément en France, le pouvoir est soupçonné :de vouloir faire pression sur la justice, de vouloir écarter ses rivaux par tous les moyens, etc...
Mais reconnaissons que les médias n'ont pas été chiches de leur assiduité auprès de celui qui veut, à toute force, transformer l'audience en procès politique. En quelque sorte après Hitler, Staline.....Hitler qui, selon l'avocat de Dominique de Villepin, se serait réincarné en Nicolas Sarkozy, lequel serait à ce point imbu de son pouvoir qu'il n'hésiterait pas à fabriquer de faux procès pour éliminer ses adversaires politiques, comme Staline, lors des sinistres procès de Moscou.
La réalité historique finira peut-être par l'emporter. Elle est encore une fois celle d'une manipulation destinée à empêcher Nicolas Sarkozy de concourir à l'élection présidentielle. Et doivent résonner encore dans quelques oreilles des incitations, injonctions, admonestations de toutes sortes reçues de Dominique de Villepin: «c'est du lourd, on le tient!» Tel était en effet, en substance, le message dit et répété, avec l'insistance qu'on lui connaît, par Dominique de Villepin à suffisamment de journalistes pour que soit établie, sinon l'implication directe du Premier ministre comme donneur d'ordres, du moins sa totale adhésion à ladite machination.
On objectera que ce sera au tribunal d'établir les faits, de dire le droit. S'il en était ainsi en effet, je ne doute pas — mais ce jugement n'engage que l'auteur de ces lignes — que la culpabilité de l'ancien Premier ministre puisse être établie.
Ceux qui le connaissent peuvent témoigner du double aspect de sa personnalité: porté très vite à l'exaltation, que reflète parfaitement son culte napoléonien; mais aussi sa fascination pour la basse police: Joseph Fouché n'est jamais très loin. A Matignon, sa mission politique était clairement d'«empêcher» Nicolas Sarkozy. Mission qu'il a sans doute aussi interprétée comme devant le conduire lui-même à incarner son mouvement politique. Mais c'est à l'intérieur de ce mouvement, et plus précisément dans sa mouvance chiraquienne, dont Dominique de Villepin, s'il était reconnu coupable, incarnerait la quintessence, que l'on trouve la tentation permanente du coup tordu.
«Des hommes de sacs et de cordes», combien de fois ai-je entendu Raymond Barre, puis Edouard Balladur, le dire de certains cercles qui entouraient Jacques Chirac. Raymond Barre, victime d'un cambriolage d'intimidation, alors qu'il s'apprêtait à mener campagne lors du scrutin présidentiel de 1988 contre Jacques Chirac; Edouard Balladur victime d'un autre montage, l'opération Schuller-Maréchal, dont il rappelle cette semaine dans l'Express à quel point celle-ci lui fut préjudiciable.
Menaces
J'y ajouterai un témoignage personnel. C'était pendant la cohabitation Chirac-Jospin, Dominique de Villepin étant Secrétaire général de l'Elysée. Ce dernier m'avait convoqué au bar du Bristol, es-qualité. Et pendant une heure, j'eus droit à une série de menaces sur le thème: «nous savons tout ce que vous faites, à qui vous parlez, qui vous parle, ce que l'on vous dit, etc, bref on vous tient»! Méthodes d'intimidation classiques, dira-t-on? Il suffit en effet d'y résister et de passer son chemin. Ou plutôt de ne pas dévier de son chemin. Ce que je n'ai eu aucun mal à faire. Mais il n'empêche: j'avais aperçu ce jour-là, de très près, le goût de Dominique de Villepin pour ladite basse police....
Bien sûr, ce micro témoignage ne peut à aucun moment induire la culpabilité de Dominique de Villepin dans l'affaire Clearstream. On laissera donc les juges juger. En espérant que la lumière soit vraiment faite. Car si l'on pouvait à cette occasion, par la seule vertu de l'exposition des incivilités commises par ceux qui se parent des plus belles qualités, séparer le bon grain de l'ivraie et disqualifier celui ou ceux qui doivent l'être, on rendrait un grand service à notre vie démocratique.
Jean-Marie Colombani
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Image de une: Nicolas Sarkozy et Dominique de Villepin REUTERS