Économie

Les banquiers veulent se débarrasser de l'Etat

Temps de lecture : 3 min

Après avoir croqué dans les aides publiques, les banques sont sommés de rendre des comptes. Elles en ont perdu l'habitude.

A écouter Baudouin Prot, président de la FBF (Fédération Bancaire Française) et directeur général de BNP Paribas, il faut mettre définitivement un terme aux rumeurs sur le manque d'appétit des banques dans leurs activités de crédit. «L'ensemble des banques est mobilisé sur le terrain pour aider à la fois les ménages et les entreprises » a-t-il déclaré la semaine dernière lors d'une audition au Sénat.  Et d'ajouter avec force et autorité, «il n'y a rien de plus important pour nous (les banques) que de faire du crédit».

Les sénateurs dubitatifs ont tout de même montré quelques réserves. Ce n'est apparemment pas le discours que leur tiennent les citoyens de leurs circonscriptions. Certaines entreprises restent sans réponse de leurs banques durant des mois pour leur demande d'aide de trésorerie. «Des cas isolés», rétorque Baudouin Prot qui balaie d'un revers de main la problématique des sénateurs. Etonnant pour quelqu'un qui se dit très concerné par le financement de l'économie...résultat, le fossé se creuse entre la classe politique et le secteur bancaire.

Pourtant,  le président de la FBF s'est plié bien volontiers à l'exercice visant à rassurer l'opinion publique. « Nous allons rencontrer 1 000 entreprises dans les deux prochains mois pour évoquer avec eux les questions d'accès au crédit, de gestion de trésorerie, de financement export, etc...», a -t-il mentionné. Sans tenir compte de la méthode pour présenter ses résultats ni même les projets pour une meilleure régulation, il a écarté avec fermeté et avec un agacement perceptible tout reproche. Mais, lorsqu'un sénateur lui rappelle à juste titre que la Banque Centrale Européenne (BCE) avait livré en juin dernier 442 milliards d'euros aux banques commerciales au taux record de 1% et lui demander où cet argent est allé ? Baudouin Prot répond: «le nom des banques qui ont bénéficié de cette offre doit rester confidentiel. Je ne peux donc pas répondre pour elles». Une belle façon de botter en touche, non?

Nous savons qu'il y a eu plus de 1 200 banques commerciales qui en ont bénéficié - soit en toute logique l'ensemble des plus grandes banques françaises.  Entre le soutien de l'Etat au travers de la SFEF (la Société de Financement de l'Economie Française) qui a émis sur le marché obligataire pas moins de 75 milliards d'euros pour aider les banques à  se financer, et les prêts à taux défiant toute concurrence de la BCE (il semblerait même que dans les prochains mois la banque centrale offre des prêts à taux zéro pour les banques européennes...), les banques françaises ont été mises sous perfusion depuis un an.  Mais, ces mêmes établissements annoncent une augmentation moyenne de 3,2% de prêts à l'économie française. Soit un niveau de croissance du crédit qui aurait été techniquement atteint sans plan de soutien, expliquent certains experts. De quoi faire enrager les élus.

Aujourd'hui, la classe politique en France semble ne plus vouloir lâcher l'affaire, la puissance publique a refait surface dans le système financier.  L'État, devenu le prêteur en dernier ressort du secteur bancaire, se sent en mesure de demander des comptes aux établissements qui ont reçu un soutien public en capital.  Mais, les banques ne sont plus habituées à un tel traitement, la période des nationalisations remonte à plus de vingt ans, c'est un piètre souvenir et personne n'a envie d'y retourner.

Pour autant, le gouvernement et les élus ont raison de s'emparer du sujet. Les banques ont croqué dans la pomme, elles se sont précipitées pour bénéficier du soutien des différentes instances publiques.  Maintenant, elles pourraient s'en mordre les doigts et veulent effacer de leurs comptes cet épisode qui pourrait les empêcher de renouer avec leurs profits et rémunérations d'hier.

Baudouin Prot s'est empressé d'expliquer que l'activité de la SFEF n'avait pu lieu d'être: «dès le mois d'octobre, les grands réseaux bancaires devraient pouvoir se financer sur le marché sur leur propre signature sans passer par la garantie de l'Etat.» Le secteur financier regretterait-il le temps béni où tout se calculait dans leur monde virtuel et en secret?  Les banquiers français ont donc beaucoup à attendre du G20: que rien ne se passe et ne se décide au niveau international.

Oriane Claire

Lire également: Banques: nationalisez les toutes!, Banques: le triomphe des coupables par Jacques Attali et Les banquiers n'ont peur ni de l'opinion ni des politiques.

Image de Une: Baudouin Prot directeur général de BNP Paribas  Reuters

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