L'affaire s'achève dans un avion conduisant le pape au Cameroun. Elle commence à l'aube -ou presque - de l'humanité avec des caecums (fractions du côlon) issus d'entrailles de boucs ou de moutons. Il y avait celle (récente, bienveillante mais bien évidemment troublante) de la masturbation heureusement proposée par les éditions Odile Jacob (1). Et voici que nous est offerte (par les éditions Stock) une nouvelle et voisine «petite histoire»: celle du préservatif; un matériau que l'on oublie, bien trop souvent, de qualifier de «masculin» (2).
Faisons court, autant que faire se peut. Car c'est bien peu dire que Béatrice Fontanel et Daniel Wolfromm cherchent ici à embrasser une bien vaste période: celle de toutes les tentatives humaines de faire en sorte que les relations sexuelles (entre hommes et femmes) soient dissociées de la reproduction. Vaste feuilleton dont seuls les derniers chapitres sont véritablement écrits.
Benoît XVI
Ainsi donc ce charmant ouvrage s'achève-t-il avec les désormais célèbres paroles prononcées en mars dernier à l'adresse des journalistes par Benoît XVI dans l'avion qui le conduisait au Cameroun: «On ne peut pas régler le problème du sida avec la distribution de préservatifs. Au contraire, leur utilisation aggrave le problème». Nous nous souvenons encore du tohu-bohu que ces deux phrases générèrent; une nouvelle fois, le Vatican replongeait dans les obscurités d'avant les Lumières. Et, pour la première fois de manière à ce point explicite, le pape condamnait le préservatif pour des raisons non seulement théologiques mais, qui plus est, sanitaires. La médecine sanctionnée par le goupillon.
Ah, le préservatif! Avec cette «petite histoire» comme viatique un mécréant contemporain ne manquerait sans doute pas de rapprocher les deux phrases papales de celle (visionnaire ?) attribuée, au choix, à la marquise de Sévigné ou à Mme de Staël: «C'est une cuirasse contre le plaisir, une toile d'araignée contre le danger». Et le même mécréant y ajouterait peut-être cette définition émanant de libertins (anonymes, comme souvent) du XVIIIème siècle : «un bouclier qu'on oppose aux traits empoisonnés de l'amour et qui n'émoussent que le plaisir».
Les infinis perfectionnements apportés à sa confection depuis le recours aux coecums d'autres mammifères ont-ils changé la donne? Sans doute le latex a-t-il autorisé une réduction considérable de l'épaisseur de la cuirasse et resserré dans des proportions équivalentes les mailles de la toile arachnéenne. Mais pour autant? Sur le fond, quelles significations, plus ou moins conscientes, plus ou moins sensorielles, peuvent bien prendre -et quelle que soit sa «finesse»- la présence de ce «film» entre les muqueuses des deux partenaires ?
Condom, dans le Gers
Cette «Petite histoire du préservatif» ne nous donne pas la réponse ; et c'est bien heureux. Les auteurs nous proposent en revanche une grande et belle promenade historique et anatomique, physiologique et religieuse. Avec, en prime, quelques traversées étymologiques. On ne saura sans doute jamais l'origine de «condom» ; au grand dam des gentils bouchers, sinon du prêtre, de cette belle ville occitane ; Condom, sous-préfecture du Gers qui propose un «musée du préservatif» ouvert, dit-on, durant l'été. Condom dont la légende veut qu'un noble revenant de Palestine ait été envoyé par un pape, avec des reliques de la croix, «dans une région boisée, pour y fonder une ville sur une colline».
Les méchants délais imposés comme toujours par les éditeurs n'ont pas permis aux deux auteurs d'inclure dans leur ouvrage quelques-uns des derniers développements d'actualité concernant cet objet mis à l'index par le Vatican. Ainsi n'apprend-on pas sous leur plume qu'il y a quelques jours la cour d'appel d'Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône) condamnait un homme âgé de 42 ans à trois ans de prison ferme pour, il y a dix ans, avoir transmis le virus du sida à sa compagne d'alors. Les magistrats aixois aggravaient en l'espèce le jugement (trois ans de prison dont un avec sursis) prononcé en première instance par leurs collègues marseillais.
Pourquoi trois ans? Le condamné avait vécu quelques mois avec cette femme en 1998. Ce toxicomane accepta, au début de leurs relations sexuelles, d'user de préservatifs. Puis il décida d'en faire l'économie invoquant la gêne sensorielle née de cette frontière dressée à des fins préventives. Sa partenaire découvre qu'elle est séropositive en juin 1999. Elle porte alors plainte pour «tentative d'homicide involontaire» et «mise en danger d'autrui». La justice, bonne fille, retiendra en définitive le délit d'«administration de substance nuisible ayant entraîné une infirmité ou une incapacité permanente». Car c'est ainsi: la justice c'est aussi (c'est surtout) mettre des mots (les siens) sur des faits qui lui sont apportés sur ses plateaux.
On retrouvait à nouveau le préservatif masculin, ces derniers jours, dans la polémique déclenchée par le projet de programme mondial de l'Unesco pour l'éducation sexuelle ; un programme qui suscite l'ire des milieux conservateurs américains. Ces derniers y voient une promotion inacceptable de la masturbation, de la contraception et de l'avortement. Ce programme, qui vise à donner aux jeunes les moyens de «faire des choix responsables dans leurs relations sexuelles et sociales», traite (comment pourrait-il en être autrement ?) du rôle que peut jouer le préservatif en matière de prévention comme de contraception. Un rôle que certains tiennent toujours comme moralement insupportable, inacceptable.
Brisons-là! Ne restons pas trop longtemps sur la trop lourde et trop rigide «capote» (née en 1688 de «capot» -1576 - dispositif destiné à protéger) et prenons un menu plaisir à découvrir que le préservatif fut, à compter de 1725, baptisé «redingote». «Redingote»? Les auteurs nous expliquent que le terme avait été choisi par nos aïeux francophones au motif qu'il venait de l'anglais «riding coat». Riding coat? Oui: un «manteau pour chevaucher». La redingote c'est aussi (s'en souvenir toujours ; l'oublier le moins longtemps possible) un «manteau de femme, ajusté à la taille».
Jean-Yves Nau
(1) Humbert P, Palazzolo J. Petite histoire de la masturbation. Préface de Brigitte Lahaie. Paris : Editions Odile Jacob, ISBN 978-2-7381-2173-8.
(2) Fontanel B. Daniel Wolfromm. Petite histoire du préservatif. Paris. Editions Stock, ISBN 978-2-234-06182-8.
Image de Une: Jean-Paul Pelissier / REUTERS