La fringale actuelle pour la techno, que ce soit à travers les vinyles ou le clubbing, passe étrangement à côté de la scène africaine. On entend de l'electronica venant d'un peu partout sur la planète mais un immense continent reste oublié, celui de la musique noire la plus séminale, celle qui est le début de tout. La scène d'Afrique du Sud, à l'image de DJ Mujava, est connue depuis plus de dix ans mais les autres pays restent dans une zone peu découverte. C'est la terra incognita musicale moderne, ce qui pose des questions importantes au niveau ethnique et social pour la France, pays qui vit avec une importante diaspora africaine.
J'ai découvert DJ Satelite il y a deux ans via un ami africain et j'ai reçu une grosse baffe. Ce qui m'a impressionné dès le premier mix, c'était à quel point je pouvais visualiser ce type de musique dans n'importe quel club de New York ou d'Europe. DJ Satelite est angolais, une ancienne colonie portugaise et son style pourrait être décrit comme un croisement entre le Kuduro et les musiques africaines mais aussi brésiliennes (le Baile Funk), tout en incorporant des sons des Caraïbes et du garage new-yorkais.
Histoires d'amour sur le dancefloor
De plus, sa programmation est très vocale, ce qui offre à sa musique un aspect encore plus international car on entend de l'anglais, différentes langues africaines, du portugais et c'est ce qui contribue à un confort mélodique, amical. Sa manière de mixer et de produire (il remixe pas mal) est très simple mais sa programmation rend l'ensemble luxuriant. Si on pense à sa musique, le club Djoon vient tout de suite à l'esprit puisque c'est pratiquement le seul club parisien qui promotionne depuis toujours cette fusion avec un fort contenu noir ou africain.
La musique de DJ Satelite (on dit «Satélité») est fortement sentimentale. Il y a beaucoup d'histoires d'amour avec un équilibre entre chanteur et chanteuses ce qui montre, là aussi, que cet artiste contredit beaucoup de préjugés machos sur la musique africaine. Ses mixes pourraient très bien passer dans les clubs gays les plus ouverts car c'est effectivement un son universel qui se trouve au carrefour de tout. On pense à Body&Soul car Satelite peut être spatial quand il veut mais il cartonne aussi dans les rythmes tribaux chers à Joe Claussel. Certains de ses mixes commencent par une longue intro tribale, comme une sorte d'avertissement: «Si vous avez un problème avec les rythmes africains, vous n'allez pas aimer.» Il y a une insistance musicale brute, africaine, raw. Mais la très grande majorité de ses mixes offrent d'autres entrées, tout de suite vocales, très deep, planantes.
C'est un de ses mixes le plus retenu, idéal pour le sexe car tout est espacé, groovy, avec beaucoup d'air entre les instruments et les vocaux. C'est presque un mix de warm-up mais le rythme africain est toujours présent avec des percussions qui font voyager dans plusieurs pays
Le représentant d'une génération plus humble
Sur Soundcloud, on peut découvrir de manière linéaire sa série Luanda No Horizonte en pour évaluer l'incroyable évolution de cet artiste. Les premiers sont plus rugueux mais il faut tout de suite commencer par le volume 5 où le raffinement de sa musique ne fait aucun doute. Écoutez tout de suite ce mix en lisant cet article! C'est un de ses mixes le plus retenu, idéal pour le sexe car tout est espacé, groovy, avec beaucoup d'air entre les instruments et les vocaux. C'est presque un mix de warm-up mais le rythme africain est toujours présent avec des percussions qui font voyager dans plusieurs pays. Pour ceux qui découvrent Satelite, c'est souvent la porte d'entrée avec celui, plus connu, de l'édition Gold de 2014. Mais le Vol.7 est vaporeux dès le début avec une assurance et une autorité digne d'un grand programmateur.
Quand on regarde cette musique à travers le prisme de l'immigration actuelle, il est évident que ce son est à découvrir car il est réellement un pont entre l'Afrique et l'Europe
Pourquoi Satelite? Oui, pourquoi car il est beaucoup moins connu que les stars de la house de son pays, comme Cabo Snoop du label PowerHouse. La page Facebook de Satelite est suivie par 14.000 personnes, ce qui est relativement peu, même s'il mixe régulièrement au Portugal. La house africaine a déjà ses stars et Satelite fait partie de la nouvelle génération, plus humble. Il n'a jamais joué en France malgré ses tentatives. Mais dans le journalisme musical, la découverte due au hasard est aussi efficace que la promotion. C'est quand un son, un disque ou un mix vous parviennent malgré la surenchère des liens envoyés tous les jours. Vous choisissez ce qui vient de nulle part, d'un ami, d'une surprise. Et quand déboule un titre comme «All I Am» de Sir LSG, c'est comme si Stevie Wonder surgissait dans la house africaine moderne. Il y a donc dans le style de Satélite une curiosité que l'on trouve dans les mixes du lundi de la radio anglaise Tribe Records qui sert de mégaphone pour tout ce qui est africain et caribéen. Et quand on regarde cette musique à travers le prisme de l'immigration actuelle, il est évident que ce son est à découvrir car il est réellement un pont entre l'Afrique et l'Europe.
Que cette musique ne soit pas connue du grand public, ce n'est pas surprenant puisque la variété française occulte toujours ce qui se passe au-delà de nos frontières, elle fait même office de mur culturel
La musique de l'immigration
Dans un pays comme le notre, la musique africaine a un fort potentiel de séduction non seulement pour la population immigrée mais aussi tout ce qui touche au melting pot culturel. Que cette musique ne soit pas connue du grand public, ce n'est pas surprenant puisque la variété française occulte toujours ce qui se passe au-delà de nos frontières, elle fait même office de mur culturel. Alors qu'aux États-Unis par exemple, les fêtes d'enterrement de la communauté ghanéenne font déjà parler d'elles depuis plusieurs années en attirant de plus en plus le public blanc (lire cet article du New York Times).
Il y a donc un défi à faire connaître la musique des minorités qui vivent en France, surtout quand elles dépassent la qualité de ce qui est produit dans notre pays. À force de demander à mes amis DJ s'ils connaissaient Satelite, j'ai fini par comprendre que la musique africaine était peu jouée par ces derniers. Si Djoon a été et reste précurseur, l'exemple devrait être suivi par des structures plus nombreuses comme fêtes de quartier, clubs communautaires (comme ça se passe déjà pour les concours de street dance et surtout évènements officiels). Par exemple, si l'on veut vraiment décloisonner Paris de sa banlieue, il faudra s'attacher à programmer ces DJ africains pour ouvrir le public à d'autres sons.
Un éventail musical très large
Prenons un exemple. Weather est un succès, mais Weather a 5 scènes de techno... pour les blancs. Si on cherche une meilleure mixité (pour que le public ne soit pas constitué à 90% de jeunes étudiants), pourquoi ne pas créer une scène afro house? Concrete serait alors l'ambassadeur de la scène africaine auprès d'un très grand public, ce qui permettrait à la diaspora africaine de se sentir invitée des évènements majeurs.
Il s'agit d'un continent entier qui rejoint, trente ans après la création de la house, ses principes les plus fondamentaux. Pour nous qui avons connu la house à ses débuts, la voir renaître en Afrique est un rêve depuis toujours
De même pour les grands festivals à travers le pays. Frédéric Gallianio est un des ambassadeurs de ce mouvement en France, comme Ivan Diaz. Mais à travers l'Europe, d'autres s'intéressent à l'Afrique comme les italiens Souldynamic ou le belge Boddhi Satva et le hollandais Pascal Morais (très joli ici!) dont le remix du «Righteous Way» avec Maikail X est un de mes disques préférés de 2014.
Car finalement l'afro house ne se limite plus aux Africains sub-sahariens mais aussi au Maghreb comme ce mix de Jarod Abdallah, un Marocain peu connu et pourtant d'un niveau international évident. Ce mec est vraiment vraiment bon! Il s'agit d'un continent entier qui rejoint, trente ans après la création de la house, ses principes les plus fondamentaux. Pour nous qui avons connu la house à ses débuts, la voir renaître en Afrique est un rêve depuis toujours. Cela s'était déjà passé en 1998 avec le remix acide du «Yeke Yeke» de Mory Kanté qui fut un tube européen. Mais il s'agissait alors d'une vision européenne de la musique africaine par les Allemands Hardfloor.
Le son du XXIe siècle
Quatre ans plus tôt, Youssou N'Dour réussissait un cross-over pop mondial avec Neneh Cherry. Il ne s'agit pas non plus du grand mouvement de tribal house des années 1990 qui a, en grande partie, détourné les rythmes africains pour les coller sur un beat 4/4 typiquement new-yorkais. L'ironie de ce parcours musical étant que les clubs gays les plus blancs, ceux des circuit parties, ont adopté une musique noire en oubliant totalement son origine. Finalement, il y a vingt ans, la musique africaine a failli devenir mondiale.
Surtout, c'est la culture africaine qui évolue extrêmement vite avec dans toutes les grandes capitales
Le rythme s'est énormément accéléré depuis deux ou trois ans, comme l'atteste ce très bon article de Paola Audrey dont le compte Twitter a plus de 60.000 abonnés. Aujourd'hui, les artistes et DJ fusionnent avec les sons électro pour élargir leur public mais aussi pour cesser de se faire pirater par le les pays riches. Surtout, c'est la culture africaine qui évolue extrêmement vite avec dans toutes les grandes capitales et les quartiers une nouvelle génération qui mélange les influences américaines aux sons de leur pays ou du pays voisin. Les pas de danse de quartier réapparaissent comme par magie dans les vidéos du R&B américain. L'urbanisation des pays riches comme le Nigéria nourrit une scène club middle class. L'Afrique du Sud n'est plus le seul pays à produire de la dance music. Il ne reste plus qu'un grand tube international pour faire exploser l'afro house.