Mise à jour: le papier était initialement illustré par une photo d'abeilles. Nos excuses aux lecteurs.
J'ai longtemps pensé que les frelons et les guêpes étaient les enquiquineurs numéro 1 du règne animal. Ces Vespinae gâchent un nombre incalculable de pique-niques avec leur appétit insatiable pour les douceurs, les fruits et les sodas. Ils piquent chaque année des milliers d'Américains; cent personnes en meurent des suites d'un choc anaphylactique. Et, un été, l'un d'eux m'a piqué le visage par trois fois alors que je sortais d'une douche de camping. Des enfoirés de première, pas vrai?
Eh bien non, pas tout à fait –à en croire les entomologistes. Dix ans ont passé depuis ces trois piqûres, et je me sens plus sereine. Assez sereine pour me pencher sur cette question estivale des plus pressantes: pourquoi les frelons et les guêpes sont-ils si agressifs à la fin de l'été?
Ouvrières dévouées
En réalité, les Vespinae ressemblent à bon nombre d'êtres humains –ils doivent leur caractère insupportable à leur famille. Une grande partie des frelons et des guêpes vivent en société. Contrairement aux insectes solitaires telles que les abeilles charpentières, les insectes sociaux vivent en colonies, où des essaims d'ouvrières stériles s'occupent de leurs jeunes sœurs et de leur mère fertile. Véritables incarnations des pires cauchemars d'Ayn Rand, ces insectes sociaux sont entièrement dévoués au bon fonctionnement de la colonie.
Les colonies de frelons ou de guêpes peuvent abriter jusqu'à mille ouvriers, même si elles n'en donnent pas l'impression pendant la majeure partie de l'été
Mais contrairement aux militants communistes (et contrairement aux abeilles mellifères, leurs lointaines parentes), les frelons et les guêpes doivent rebâtir leur colonie chaque année: au printemps, une jeune reine émerge du sommeil hivernal pour aller construire un nouveau nid à l'aide de bave et de pulpe de bois.
Son travail solitaire se poursuit jusqu'à ce qu'elle ait élevé sa première couvée de filles ouvrières, qui prendront sagement soin des œufs, des larves et des nymphes qui vont suivre. Et ils seront nombreux: selon l'entomologiste Donald Lewis (université d'État de l'Iowa), les colonies de frelons ou de guêpes peuvent abriter jusqu'à mille ouvriers –même si elles n'en donnent pas l'impression pendant la majeure partie de l'été.
À la chasse aux chenilles, mouches, criquets
Pourquoi les remarquons-nous si peu? Cette discrétion est due en grande partie à de petites créatures remuantes et affamées: les larves. Ces ouvrières en devenir ont de grands besoins en protéines pour se transformer –mais ce n'est pas seulement une question de taille. Comme si l'enfance et l'adolescence n'étaient pas assez compliquées, ces larves fraîchement écloses subissent plusieurs métamorphoses intégrales, se transformant en nymphes avant de se muer en adultes volants. Pendant ces transformations, le frelon ou la guêpe en maturation doit digérer son ancien corps et bâtir le nouveau en repartant de zéro –et c'est uniquement grâce aux matières nutritives brutes qu'on leur apporte qu'elles y parviennent.
Grâce à cet appétit juvénile, les ouvrières adultes sont si occupées à tuer des insectes qu'elles ont à peine le temps de boire une gorgée de nectar ou de picorer un aliment sucré
Pour récupérer les protéines nécessaires à la métamorphose de leurs sœurs, certaines espèces telles que Dolichovespula maculata ou Vespula germanica, chassent lez chenilles, les mouches et les criquets (entre autres insectes ravageurs). Vespula pensylvanica puise ses protéines dans les insectes morts et les charognes. Elle mâche ces bouts de bestioles et d'animaux écrasés pour en faire une délicieuse purée faite à partir d'ingrédients locaux, qui ira nourrir l’insatiable marmaille.
À peine le temps pour une gorgée
Grâce à cet appétit juvénile, les ouvrières adultes sont si occupées à tuer des insectes qu'elles ont à peine le temps de boire une gorgée de nectar ou de picorer un aliment sucré –ce qui signifie qu'elles s'attaquent rarement à vos tartes et autres jus de fruit au début de l'été. Mais ces ouvrières harassées ont assez d'énergie pour combattre si le besoin s'en fait sentir.
Avant le plein été, la plupart des rencontres entre l'homme et le Vespinae surviennent lorsqu'une personne trouble la quiétude du nid de la colonie. Les Dolichovespula maculata ont tendance à construire leurs nids dans les arbres et sous les combles des maisons, tandis que les «guêpes à papier» préfèrent les poutres apparentes. Les guêpes américaines peuvent être particulièrement pénibles, dans la mesure où elles construisent leur foyer dans les murs des maisons ou dans les trous du jardin –en un mot, là où les humains ont tendance à marcher et à tondre la pelouse.
Un dard lisse et venimeux
L'entomologiste Seán Brady explique avoir «personnellement dérangé des nids» de guêpes en réalisant des études de terrain, ce qui l'a forcé à «courir un bon bout de temps», parce qu'«elles vous pourchassent beaucoup plus longtemps que les abeilles mellifères». Sans oublier qu'elles nous piquent beaucoup plus que ces dernières, grâce à leur dard aussi lisse que venimeux, qui ne s'accroche pas à votre tendre chair dès la première piqûre (contrairement au dard dentelé des abeilles).
Une fois la fratrie fertile envolée, les sœurs laissées pour compte se contentent de se défendre elle-mêmes et de manger ce qu'elles veulent. C'est pourquoi les mois d'août et de septembre sont ceux où les guêpes piquent le plus
Mais lorsque la reine pond ses dernières couvées, les choses changent pour ces guêpes jusqu'ici focalisées sur la défense de la communauté. Arrivés à maturité, les derniers rejetons deviennent des rois et des reines fertiles, qui s'envolent pour, un jour, fonder leurs propres colonies. Une fois la fratrie fertile envolée (soit à la fin de l'été ou au début de l'automne), les sœurs laissées pour compte n'ont plus à défendre la colonie ou à chasser pour nourrir les plus jeunes. Elles se contentent de se défendre elle-mêmes et de manger ce qu'elles veulent –c'est pourquoi les mois d'août et de septembre sont ceux où les guêpes piquent le plus. Les Vespinae adultes visent alors les aliments sucrés pour faire le plein d'énergie aussi vite que possible: notamment les glaces, les sodas et les fruits tombés de l'arbre qui fermentent au soleil.
«En effet, explique Lewis, la sève en fermentation les rend ivres.» Difficile de leur refuser un petit verre. Ces ouvrières ont consacré l'essentiel de leurs courtes vies au bien-être de leur reine et de leur colonie, et elles seront toutes mortes de froid ou de vieillesse d'ici la fin novembre. Seules les jeunes reines qui se sont récemment accouplées survivront à l'hiver, recroquevillées derrière des revêtements muraux ou sous des souches en décomposition, attendant le retour du printemps pour perpétuer le cycle.
Gare aux nids et aux parfums floraux
Vous ne pouvez pas attendre de les voir succomber aux mortels frimas hivernaux? Vous souhaitez absolument écrabouiller ces piquantes pique-assiettes? Alors voici quelques conseils pour échapper à leurs derrières venimeux et acérés. Brady recommande de bien faire attention à leurs nids, qui peuvent se cacher dans nombre d'endroits apparemment inoffensifs (trous dans le jardin, combles, etc.). Lewis suggère d'éviter les parfums particulièrement floraux –et nous conseille de ne pas agiter les bras en tous sens lorsque l'un de ces insectes est à proximité. Quant aux Centres pour le contrôle et la prévention des maladies, ils nous recommandent de placer notre nourriture et nos déchets dans des récipients hermétiquement fermés –et d'être prêts à courir en cas d'attaque groupée.
Mais en vous carapatant, gardez bien une chose en tête: tout ceci est temporaire. Contrairement aux fous du volant, aux trolls de Twitter et aux tueurs de lions (en un mot, aux humains), les Vespinae ne se comportent en enfoirés qu'une partie de l'année. Mais je comprends qu'il soit difficile de s'en souvenir dans le feu de l'action –surtout si l'un d'eux vient de vous piquer la joue.