Dans un document confidentiel révélé lundi 22 septembre, le commandant des forces internationales en Afghanistan, le général américain Stanley McChrystal, a prévenu lundi 21 septembre que sans augmentation des moyens militaires dans ce pays, la coalition risque d'y subir «un échec». Christopher Hitchens, chroniqueur de Slate.com, défend la présence américaine en Irak et en Afghanistan dans l'article ci-dessous.
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Même si cela m'arrive souvent, je n'aime pas m'apercevoir que je suis du même avis que la majorité. Il y a quelques semaines, j'ai évoqué les doutes de Rory Stewart sur la stratégie de l'OTAN et des États-unis en Afghanistan. J'accorde beaucoup de crédit à l'opinion de Stewart, car j'estime qu'il est à la fois le partisan le plus convaincu et le critique le plus pertinent de la lutte menée contre les Talibans.
A lire la presse, on constate que la plupart des spécialistes, de George Will à Tom Friedman, estiment que le président afghan Hamid Karzai est en train de nous mener en bateau. Plus grave, selon eux, nous sommes en train de tomber dans un piège tendu par les Talibans, qui seraient parvenus à se poser en représentants légitimes de la population pachtoune. Certaines révélations consternantes à propos des élections qui viennent de se tenir là-bas semblent venir accréditer ces conclusions.
D'un autre côté, il y a quelques mois, ma plus grande source d'inquiétude était l'effondrement du gouvernement pakistanais et la dislocation imminente du pays suite à l'agression pachtoune organisée par les Talibans. En effet, une immense vallée fertile et prospère du district de Swat, située à quelques kilomètres de la capitale, venait d'être abandonnée à l'ennemi sans la moindre résistance. Le torrent de réfugiés qui s'en est suivi semblait annoncer le début d'une période bien sombre pour toute la région.
Optimisme
Aujourd'hui, même s'il est encore un peu tôt pour l'affirmer avec certitude, quatre développements permettent d'être plus optimistes. En premier lieu, et c'est un élément crucial, de nombreux habitants de la région se sont mobilisés pour protester et résister face aux horreurs régulièrement perpétrées par les Talibans. Deuxième point, l'armée pakistanaise semble, en tout cas pour le moment, avoir repris ses esprits et retrouvé le courage de faire face aux Talibans. Troisième progrès, les drones américains sont parvenus à localiser et à tuer un chef taliban particulièrement dangereux, Baitullah Mehsud, qui est soupçonné, entre autres choses, d'avoir organisé l'assassinat de Benazir Bhutto. Enfin, plusieurs sources crédibles indiquent que des luttes intestines divisent les Talibans pakistanais, qui n'arrivent pas à se mettre d'accord sur la nomination du successeur de Mehsud. Aucun de ces points n'était imaginable il y a six mois.
Rien n'est joué, loin de là. Mais ces quatre éléments indispensables sont désormais une réalité. La population rejette la théocratie et son inévitable corollaire, le crime organisé. L'armée nationale se bat pour des motivations qui lui sont propres. Les bombardements américains sont précis et efficaces. Et les jihadistes commencent à s'entre-déchirer. C'est la conjonction de ces quatre facteurs qui a permis de stabiliser l'Irak, ou du moins de redéfinir le conflit en des termes plus avantageux pour les Américains. Une issue semblable est encore envisageable en Afghanistan.
Le rôle de l'Iran
Défendre, directement ou de plus loin, des régimes susceptibles de devenir des démocraties, même s'ils en sont encore loin, ce n'est pas faire du «baby-sitting», comme le prétendent avec condescendance certains adversaires de notre politique actuelle. C'est raisonner à long terme en prenant en compte deux données importantes. La première est évidente: sans alliés, nous ne pourrons pas gagner notre guerre contre le terrorisme. La seconde, c'est la question de plus en plus pressante du rôle et du poids de l'Iran dans la région.
Lorsqu'elle parle de l'armée américaine, la presse aborde souvent le sujet sous l'angle de l'insuffisance des effectifs ou des troubles dus au stress post-traumatique. S'il y a toute légitimité à évoquer ces problèmes, cela ne doit pas faire oublier le fait que nous disposons désormais d'une génération de soldats qui ont combattu, et souvent vaincu, les adversaires les plus redoutables sur les terrains les plus difficiles de la planète.
Cela signifie que si, par exemple, les Philippines, l'Indonésie ou l'Inde étaient amenés à réclamer notre aide face à un ennemi de ce type, nous pourrions leur fournir une expertise et une force de frappe d'une efficacité inégalable. Quelles que soient les réserves que l'on puisse avoir face à des régimes comme ceux de Karzai ou de Maliki en Irak, les avantages à long terme que nous apportent les sacrifices consentis pour entraîner et endurcir notre armée sont incalculables. Et je ne parle pas seulement de l'expérience concernant le combat proprement dit, mais aussi de notre capacité accrue à isoler, discréditer et diviser les terroristes.
Respecter notre parole
Notre présence en Irak et en Afghanistan signifie également que le récent coup d'État perpétré par les Gardiens de la révolution en Iran aura des conséquences limitées sur la région. Le régime doit désormais compter avec deux importantes garnisons américaines installées de l'autre côté de ses frontières. Considération qui ne pourra prendre que plus d'importance au fur et à mesure que le pouvoir des Mollahs va s'amenuiser. Il y a peu de temps encore, le régime aurait pu sortir de la crise actuelle grâce à une recette éprouvée: attaquer un pays voisin, de préférence gouverné par des Sunnites. Ainsi, les extrémistes de Téhéran commencent à donner de la voix contre le Bahreïn, une petite monarchie dont la population est majoritairement shiite et qui feraient partie des anciennes possessions de la Perse.
Au vu des progrès rapides qu'il a fait vers le nucléaire, et de l'hostilité grandissante de la population, le gouvernement Ahmadinejad pourrait être tenté d'occuper les esprits avec une nouvelle guerre, en tirant les cordes du patriotisme et de la religion. Prenez la peine d'envisager cette situation sans la présence américaine dans la région et vous constaterez qu'il est important de rester.
Bien sûr, la menace iranienne ne justifie pas à elle seule de maintenir des forces importantes dans deux pays voisins. De même, l'Irak et l'Afghanistan ne sauraient être considérés comme des terrains d'entraînement pour les forces américaines. Mais nous n'avons pas le droit d'oublier pourquoi nous sommes en Afghanistan et en Irak. Nous nous battons là-bas pour réparer les très graves erreurs que nous y avons commises par le passé et pour défendre des démocraties qui, aussi embryonnaires soient-elles, doivent affronter les mêmes ennemis que nous. Des démocraties auxquelles, faut-il le rappeler, nous avons donné notre parole.
Christopher Hitchens
Traduit par Sylvestre Meininger
Image de Une: Un soldat américain se repose après une opérations dans la vallée de Pesh en Afghanistan REUTERS/Carlos Barria