L’information a été reprise dans le monde entier: L’Oréal va imprimer de la peau humaine pour tester ses nouveaux produits. Science-fiction? Pas du tout. Le géant du cosmétique a noué un partenariat avec Organovo, une start-up américaine spécialisée dans la bio-impression 3D. En s’appuyant sur le boom de l'impression 3D dans le domaine médical qui permet aujourd’hui de réaliser des prothèses sur mesure, comme des implants dentaires, des hanches ou des morceaux de crâne, et même de fabriquer des médicaments, les scientifiques s'attaquent désormais à l’impression tridimensionnelle du vivant.
La bio-impression 3D utilise les principes de l’impression 3D pour assembler couche par couche –par jet d’encre, par extrusion ou par laser– des tissus humains. «Nous avons déjà réussi à imprimer des tissus de rein, de foie, de poumon, d’os, de vaisseaux sanguins, de cœur et de peau», explique Mike Renard, vice-président d’Organovo, leader du secteur. Le graal: l’impression d’organes entiers. En France, l’équipe de Fabien Guillemot, basée à Bordeaux, est la seule à travailler sur cette technologie. Ce chercheur de l'Inserm a fondé en septembre 2014 son entreprise, Poietis.
«Je préfère parler de 4D car contrairement à l'impression de matériaux inertes, quand on imprime du vivant les cellules évoluent dans le temps et doivent s’organiser elles-mêmes», explique-t-il.
Poietis s'est spécialisé dans l'impression de peau, dont les premiers échantillons sont attendus pour 2017:
«La demande est très importante. En 2009, 60 chercheurs et une entreprise travaillaient sur la bio-impression 3D. Aujourd'hui, il y a une démocratisation et une explosion de l'offre. Beaucoup de centres de recherche s'équipent de bio-imprimante, 50 équipes internationales de chercheurs travaillent sur cette technologie et 15 entreprises commercialisent des tissus bio-imprimés.»
Une étude du MedMarcket Diligence évaluait le marché de l’ingénierie tissulaire à 15 milliards de dollars en 2014. Il devrait doubler d’ici 2018. Preuve que les investisseurs ont saisi les enjeux de cette innovation.
La bio-impression, une aubaine pour les labos
Aujourd’hui, la bio-impression 3D fait fantasmer les laboratoires pharmaceutiques. Et après des années de spéculations, les premiers contrats se signent. Aux États-Unis, United Therapeutics utilise des bio-imprimantes 3D et travaille avec Organovo. En avril, c'est le laboratoire Merck qui a annoncé un partenariat avec la start-up américaine. Créée en 2007 et installée à San Diego, l’entreprise emploie 40 personnes. Son activité de bio-impression 3D de peau et d’organes lui a permis d’être introduite en Bourse en juillet 2013. Sa capitalisation atteint aujourd’hui 300 millions d’euros. Et ce n'est qu'un début.
Depuis des décennies, l’Oréal fait des recherches sur la fabrication de peau. Dans son centre Episkin, à Lyon, le leader mondial du secteur de la beauté a commencé en 2011 à produire des tissus humains reconstruits à partir de fragments de peau récupérés lors d’interventions en chirurgie plastique
Il y a six mois, Organovo a dévoilé le premier microtissu fonctionnel: un bout de foie qui produit de l’albumine et est capable de synthétiser le cholestérol. 400 échantillons devraient être commercialisés à destination des labos.
«L’accord va permettre à Merck d’acheter des tissus de foie humain fabriqués par Organovo et entraînera une collaboration pour développer plusieurs modèles de tissus personnalisés pour le développement de médicaments», indique la commission américaine de la Bourse.
En effet, imprimer à la demande des tissus humains a d’abord un but: tester de nouvelles molécules et de nouveaux médicaments. Une aubaine pour les labos pour déterminer plus rapidement leur efficacité en les évaluant de manière plus prédictive directement chez l’homme, et non plus chez l’animal, et ainsi réduire la durée et les coûts des essais cliniques.
La peau humaine intéresse également les grands groupes de cosmétique. Il s'agit de mieux évaluer la toxicité de leurs produits avant leur commercialisation et trouver, là aussi, une alternative à l’expérimentation animale, interdite en Europe en 2013. «Le potentiel de ce nouveau secteur de technologie et de recherche est sans limites», pense Guive Balooch, directeur de l’Incubateur de la beauté connectée à L’Oréal.
Depuis des décennies, l’Oréal fait des recherches sur la fabrication de peau. Dans son centre Episkin, à Lyon, le leader mondial du secteur de la beauté a commencé en 2011 à produire des tissus humains reconstruits à partir de fragments de peau récupérés lors d’interventions en chirurgie plastique. Grâce à cette technique, 130.000 spécimens de peau sont produits chaque année. Mais le procédé est coûteux et fastidieux: compter une semaine pour produire un échantillon de 0,5 cm2 sur un millimètre d’épaisseur.
Avec la bio-impression 3D, L'Oréal –qui a dépensé 1 milliard de dollars après des décennies de recherche et développement– compte bien gagner du temps et de l’argent. Aucun montant n’a été annoncé pour ce partenariat mais le géant du cosmétique est déjà assuré de prendre une avance sur ses concurrents. Surtout que cette technologique ouvre des marchés encore plus ambitieux: ceux de la médecine personnalisée et de la médecine régénératrice.
Une espoir pour la médecine régénératrice et personnalisée
D’ici quelques années, les chercheurs espèrent pouvoir créer des tissus bio-imprimés à partir de cellules des patients afin de pouvoir sélectionner les solutions thérapeutiques les mieux adaptées en fonction de leur patrimoine génétique.
«Cette médecine personnalisée permettra, comme dans les cas de cancer, d’étudier les tissus pour choisir la chimiothérapie la plus adéquate», explique Fabien Guillemot.
Autre enjeux de taille: produire des greffons sur mesure. Le nombre de personnes en attente d’une greffe d’organe est en constante augmentation –plus de 20.000 personnes en France. Les tissus bio-imprimés, étant fabriqués à partir des cellules du patient, les chercheurs pourront produire des greffons anti rejet.
Nous développons un projet intermédiaire entre la bio-impression et l'impression 3D. Nous allons imprimer des plaques et des vis en titane, le métal le plus bio-compatible avec l'humain
Narcisse Zwetyenga, du CHU de Dijon
La bio-impression 3D devrait aussi permettre de pallier au manque de greffons naturels grâce à des greffons artificiels, comme la cornée, le cartilage ou la peau. C’est le pari des chercheurs du Wake Forrest Institut, aux États-Unis, qui expérimentent une imprimante capable d’imprimer directement des tissus sur le corps des patients pour réparer les blessures, en cas de brûlures notamment. Dans les hôpitaux, comme au CHU de Dijon, à la pointe de l'impression 3D, la bio-impression est déjà d'actualité.
«On s'intéresse beaucoup à cette technologie, explique Narcisse Zwetyenga, chef de service maxillo faciale, chirurgie plastique et réparatrice. Nous développons un projet intermédiaire entre la bio-impression et l'impression 3D. Nous allons imprimer des plaques et des vis en titane, le métal le plus bio-compatible avec l'humain. La bio-impression n'est donc pas une révolution car les découvertes arrivent les unes après les autres.»
Bio-imprimer un organe entier, une utopie ?
Pourra-t-on un jour bio-imprimer en 3D des organes complexes entiers, comme un cœur, un rein ou un foie? Difficile à dire. En tout cas, chez les scientifiques, la course est lancée, quitte à s'arranger quelque peu avec la réalité. En 2011, Anthony Atala, médecin et directeur du Wake Forest Institut, avait présenté en grande pompe lors d’une conférence, face à un public crédule, un prototype de rein bio-imprimé en sept heures. L’emballement médiatique avait été immédiat. Mais en réalité ce rein n’était absolument pas fonctionnel. Il s’agissait d’un organe synthétique sur lequel des cellules de rein avaient été déposées. Dans ce qui ressemble à un rétropédalage, Anthony Atala assure continuer à travailler sur son projet et explique qu’«une partie de la confusion est venue d’un journaliste qui a écrit qu’un patient, présent à la conférence, avait un rein artificiel alors qu’il s’agissait d’une vessie artificielle».
Si les organes bio-imprimés restent donc au stade de prototypes, les chercheurs sont désormais capables de bio-imprimer des micro-tissus. Organovo est parvenu à créer un tissu de rein –1 mm d’épaisseur, 4 de largeur–, qui a survécu cinq jours hors du laboratoire. Des chercheurs de l’université de Louisville, qui ont déjà réussi à imprimer un vaisseau sanguin, ont eux annoncé qu’ils prévoyaient d’imprimer un cœur fonctionnel d’ici dix ans. En 2010, l’équipe de Fabien Guillemot avait été la première à imprimer des cellules osseuses sur la fracture au crâne d'une souris. Après quelques semaines, les cellules osseuses qui avaient été déposées s’étaient recalcifiées. Le crâne s’était refermé. Mais le chemin est encore long et Fabien Guillemot reste prudent:
Quand nous saurons créer des tissus fonctionnels personnalisés, nous pourrons fabriquer des tissus améliorés. Il y aura alors la tentation de créer un homme augmenté, ce que souhaitent les transhumanistes
Fabien Guillemot d'Organovo
«La production d'organes complets implantables prendra plusieurs décennies et ça reste utopique. C'est dangereux de raconter n'importe quoi car des milliers de patients sont en attentes de greffe. Le plus probable, c'est que dans une dizaine d'années, on sera en mesure de fabriquer des morceaux d'organes, qui intégrés aux organes entiers du patient, rempliront des fonctions précises.»
Pour l'instant, la complexité du vivant n’a pas encore relevée tous ses secrets. «Du point de vue technologique, nous connaissons beaucoup de choses, mais le vrai verrou reste la manière dont les tissus se forment», insiste Fabien Guillemot. Anthony Atala pense lui que «la bio-impression 3D n’en est qu’à ses balbutiements».
Vers un homme augmenté?
Alors jusqu'où ira cette technologie? La tentation de passer des organes imprimés aux organes améliorés est alléchante pour ceux qui rêvent d’un surhomme. Fabien Guillemot alerte: «Quand nous saurons créer des tissus fonctionnels personnalisés, nous pourrons fabriquer des tissus améliorés. Il y aura alors la tentation de créer un homme augmenté, ce que souhaitent les transhumanistes», un mouvement de pensée qui prône une amélioration de l'humain par le biais des technologies.
Il n’est d'ailleurs pas étonnant que le labo United Therapeutics investisse dans la bio-impression. Sa fondatrice, Martine Rothblatt, est une figure de proue du transhumanisme. Certaines recherches, qui mêlent cellules humaines et composants nano-électroniques, laissent déjà penser que l'homme-cyborg n'est pas loin: en 2013, Michael McAlpine à Princeton, aux États-Unis, est parvenu à imprimer une oreille bionique, capable de détecter un champ de fréquences un million de fois plus élevé qu’une oreille normale.
«La bio-impression va soulever de réelles questions éthiques, même si notre champ d’application est très cadré, les statuts de mon entreprise précisant par exemple que notre activité ne concerne que les réparations des tissus, pas leur amélioration, prévient Fabien Guillemot. Je comprends les questionnement face à ces recherches mais notre objectif est d'abord de proposer des solutions innovantes pour améliorer la santé des gens. Mais effectivement, si nous ne sommes pas encore capables de modifier les propriétés des tissus, ce sera le cas un jour. La société devra alors débattre des limites de ces avancées technologiques.»
Florent Boissonnet, porte-parole de Technoprog, association française transhumaniste, relativise: «À terme, la bio-impression pourra certes créer des organes plus performants mais pour l’instant, c’est avant tout un outil de transformation du corps dont le but est de guérir. On reste dans l’homme soigné, pas dans l’homme augmenté.»