Je suis un obsédé du road trip[1]. Et je ne suis pas le seul, étant donné que certains des meilleurs auteurs de ce pays se sont lancés dans la description de cette expérience si typiquement américaine. «Pas de meilleure manière de connaître la nation que d’y voyager, de voir de ses propres yeux ses vastes étendues, sa richesse variée et grouillante, et, par-dessus tout, son peuple résolu», écrivait il y a 150 ans le rédacteur en chef Samuel Bowles dans Across the Continent, probablement le premier vrai road trip littéraire américain.
La carte ci-dessus est le résultat d’une entreprise minutieuse et sans doute chimérique visant à cartographier le pays tel qu’il a été décrit dans la littérature américaine du road trip. Elle comprend chacune des références topographiques de douze livres évoquant la traversée du pays, de À la dure de Mark Twain (1872) à Wild de Cheryl Strayed (2012), et cartographie en superposition les itinéraires des auteurs. Vous pouvez suivre les descriptions de chaque écrivain à mesure qu’il se déplace ou zoomer pour voir comment différents auteurs ont écrit sur les mêmes lieux à différentes époques.
Mais le plus intéressant, à mes yeux en tout cas, c’est la réflexion que ces différences permettent de mener autour du voyage américain, de l’écriture américaine, de l’histoire américaine.
Un mot aux lecteurs locaux: j’ai tapé à la main la plupart de ces plus de 1.500 entrées et situé leurs coordonnées du mieux que j’ai pu. Certains de ces lieux ont été difficiles à retrouver. J’implore la tolérance de l’ermite des montagnes du Wyoming s’il découvre que j’ai épinglé la référence au Horse Creek de Mark Twain dans un lieu où il ne peut absolument pas avoir été, ou celle de l’habitant de ce que Tom Wolfe appelait avec une certaine cruauté «les terres des rats» du Mexique, s’il trouve mon estimation de l’emplacement précis de Chicalote, dans l’État d’Aguascalientes, quelque peu inexacte.
Arc narratif, chronologique et géographique
Pour y être inclus, les livres devaient avoir un arc narratif correspondant à l’arc chronologique et géographique du voyage qu’ils racontaient. Ils ne devaient pas être des œuvres de fiction, ou, comme dans Sur la route, être au moins racontés à la première personne. J’anticipe les objections: les passages de road trip dans Lolita sont épars et défient l’ordre cartographique; ceux des Raisins de la colère sont très courts comparés aux passages sur la pauvreté et les persécutions en Californie; le trajet dans Las Vegas parano est court géographiquement même s’il est prodigieusement long dans toutes les autres dimensions; et oui, Les clochards célestes vaut largement Sur la route dans tous les domaines, et si vous avez envie de cartographier les références géographiques de tous les livres de Kerouac, tout mon respect vous accompagne.

«Hell yes!» | Jo Amelia Finlay Bever via Flickr CC License by
Voici ceux qui ont réussi le test:
Wild, Cheryl Strayed. 2012. Après avoir traversé une série de crises personnelles, l’auteure se lance sur la Pacific Crest Trail et va à pied du sud de la Californie jusqu’à Portland. Accomplissement de soi garanti.
La ballade du rossignol roulant, F. Scott Fitzgerald. 1934. Les aventures farfelues de Scott et Zelda sur les routes boueuses et cahoteuses de la côte Atlantique et du Sud, lors de leur périple automobile partant du Connecticut jusqu’à Montgomery, la ville natale de Zelda, en Alabama.
Rolling Nowhere: Riding the Rails With America's Hoboes, Ted Conover.1984. Conover, le plus accompli de nos journalistes empiriques, étudie avec un manque de sentimentalisme bienvenu une sous-culture de gens du voyage longtemps regrettée et idéalisée, bien plus qu’elle n’a jamais été aimée, voire simplement tolérée.
A Walk Across America, Peter Jenkins. 1979. Jenkins et son chien Cooper partent à pinces jusqu’à la Nouvelle-Orléans depuis le nord de New York; en chemin, ils font l’expérience de la pauvreté, du racisme, rencontrent des hippies, la maladie, des flics haineux et –en tout cas l’un des deux– une mort violente dans un accident de la route. Oh, et à Mobile, Alabama, Dieu.
Cross Country: Fifteen Years and 90,000 Miles on the Roads and Interstates of America with Lewis and Clark, Robert Sullivan. 2006. Autant une histoire du road trip américain par association d’idées qu’une chronique de l’un d’entre eux, le livre de Sullivan a cela d’exceptionnel qu’il rend compte d’une traversée du continent en un temps restreint, parcourant interstates, chaînes de motels et tutti quanti. Vous qui entrez ici, abandonnez toute nostalgie.
The Lost Continent, Bill Bryson. 1989. Récit sarcastique du retour de cet exilé sur le sol natal et de sa reprise de contact avec sa patrie. Il semble que Bryson tombe à chaque page sur une des raisons qui l’ont poussé à le quitter, et nous sur celles qui nous ont incités à le laisser partir.
Blue Highways: A Journey into America, William Least Heat Moon. 1982. Pas moins critique de l’Amérique et des Américains que Bryson, mais de manière plus intéressante, l’auteur conduit sa camionnette pendant trois mois après s’être séparé de sa femme, n’emprunte que les petites routes et évite les villes. Il débat longuement sur l’histoire locale et l’actualité avec des gens rencontrés en chemin et prête une attention toute particulière aux noms de lieu bizarres –un voyageur comme je les aime.

«On reprend la route» | Guillaume Capron via Flickr CC License by
Sur la route, Jack Kerouac. 1957. Sal Paradise et Dean Moriarty à la recherche de bop, de shoots, de vitesse et de nuit.
À la dure, Mark Twain. 1872. Le livre de Twain décrivant son périple en diligence vers l’Ouest une décennie plus tôt est un incroyable récit de voyage transcontinental avant que le chemin de fer et ne le rende infiniment plus simple; ses passages sur les premiers Mormons de Salt Lake City, les camps miniers du Nevada les îles Sandwich pré-américanisées –Hawaii, donc– valent aussi largement d’être découverts.
Traité du zen et de l'entretien des motocyclettes, Robert Pirsig. 1974. L’auteur et son fils se rendent en Californie à moto; s’ensuivent de profondes ruminations philosophiques. Très 1970.
Voyage avec Charley, John Steinbeck. 1962. Le romancier vieillissant, son caniche noir et Rocinante, son camping-car customisé baptisé d’après le cheval de Don Quichotte, sillonnent le pays; Charley découvre les séquoias, ce qui le déprime, et Steinbeck découvre qu’on ne peut jamais vraiment rentrer chez soi.
Acid Test, Tom Wolfe. 1968. Ken Kesey et les extrêmement acides Merry Pranksters prennent un bus baptisé Further [plus loin] et s’enfoncent dans le pays pour «sortir en musique» les Américains de leur léthargie. Le retour de Neal Cassady.
1 — Richard Kreitner est l’auteur de cet article et Steven Melendez a réalisé la carte. Retourner à l'article