Culture / Société

«Aferim!»: les figures oubliées d'une Histoire voisine

Temps de lecture : 2 min

Ce western roumain, qui a valu à Radu Jude l'Ours d'argent du meilleur réalisateur en 2015, est aussi un roman picaresque européen, avec poursuites, bagarres, rencontres étranges et moments de grâce.

Mihai Comanoiu, Teodor Corban, Toma Cuzin dans «Aferim!» © Silviu Ghetie
Mihai Comanoiu, Teodor Corban, Toma Cuzin dans «Aferim!» © Silviu Ghetie

Les chevaux et les pierres. La lumière et la voix. Dans le creuset d’un Scope noir et blanc somptueux, mythologique, ce sont ces éléments concrets, sensibles, qui vont faire advenir le miracle Aferim! Soit un film d’aventures comique et violent, historique et onirique, où personnages et situations existent constamment à plusieurs titres.

Ces personnages sont les protagonistes d’un western roumain, qui est aussi un roman picaresque européen, avec poursuites, bagarres, rencontres étranges, moments de grâce suspendus à un rayon de soleil entre les branches, à la pénombre d’une auberge, à l’intensité d’un regard.

Mais ces personnages (hommes d’armes, paysans, nobliaux, tsiganes, tavernier, idiot du village, servantes, châtelaine, prostituées, artisans…) sont aussi les figures oubliées, niées, d’une histoire si voisine de la nôtre et restée si étrangère, histoire occultée aussi, là même où elle a pris place. L’histoire de l’esclavage des Tsiganes dans une partie de l’Europe du XIXe siècle, l’histoire proche de la misère insondable, de la brutalité des rapports de domination imposés par les prêtres et les seigneurs locaux, des bains de sang qui ont noyé les révoltes, émeutes de la fin et aspirations démocratiques.

Les incarnations de la haine

Aferim! © Silviu Ghetie

Et ces personnages sont encore, mais du même mouvement, les incarnations de la haine raciste, de l’ignorance meurtrière qui commence par l’emploi permanent des mots de mépris, de la détestation des «autres», tous les autres, les Juifs, les Russes, les Turcs, et ceux qu’on n’appelait pas encore les Roms –maltraités en paroles et en actes pire encore que tous les autres, jusqu’aux extrêmes de la cruauté.

Ils sont des êtres de fiction d’il y a 180 ans joués par des hommes et des femmes d’aujourd’hui. Des hommes et des femmes qui appartiennent à un pays (la Roumanie), à une région (l’ex-Europe de l’Est), à une Union européenne, à un monde où, avec d’autres mots et des règles différentes, le mépris, la peur et la haine des autres prospèrent toujours, humilient et maltraitent, regagnent du terrain, tuent encore.

En cet an de disgrâce 1835, le gendarme Costandin au service d’un potentat de Valachie traque un esclave tsigane en fuite. Il est accompagné de son fils, adolescent dont il fait l’éducation, éducation fondée sur l’affirmation de son pouvoir de dominer et de rabaisser, par les mots, par les actes, à l’occasion par les armes.

Parcourant à cheval villages misérables et campagnes somptueuses, au fil de péripéties émaillant son périple de dictons burlesques et terrifiants, Costandin poursuit une quête qui est aussi traversée de multiples situations fourmillant de récits annexes et d’échos avec le présent.

Ce qui caractérise le troisième long métrage de Radu Jude est la vitalité du mouvement constant qui le porte de bout en bout

Après le film, si on revient sur la richesse des éléments qui le composent, on risque de se perdre dans leur multiplicité de sens et de natures. Alors que ce qui caractérise le troisième long métrage de Radu Jude est au contraire la vitalité du mouvement constant qui le porte de bout en bout.

Une vitalité qui tient aux acteurs, aux dialogues, à la beauté des images, mais surtout à une sorte de joie de filmer, de bonheur communicatif de rendre présents des êtres, des mots, des lieux, des idées. Ce bonheur, loin de la contredire ou de l’instrumentaliser, donne toute sa puissance à l’horreur des situations décrites.

Véritable bonheur de cinéma à découvrir au milieu de cet été, Aferim ! (dont le titre veut dire «salut», ou «bravo», en langue tsigane) a été salué d’un juste Ours d’argent pour la mise en scène au dernier Festival de Berlin. Il confirme avec éclat le statut de Radu Jude comme « quatrième mousquetaire » de ce jeune cinéma roumain qui s’est imposé au monde depuis une décennie grâce à Cristian Mungiu, Corneliu Porumboiu et Cristi Puiu.

Aferim!

De Radu Jude, avec Teodor Corban, Mihai Comanoiu, Cuzin Toma.

Durée: 1h45. | Sortie le 5 août.

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