Le traitement réservé aux couples divorcés reste l'un des grands sujets de scandale au sein de l'Eglise catholique et au delà. Un sondage réalisé par l'hebdomadaire catholique Pèlerin, publié le 17 septembre, vient une nouvelle fois d'en administrer la preuve. Il souligne, s'il en était besoin, le décalage complet entre l'attitude raide de l'Eglise, qui condamne le divorce et interdit tout remariage religieux, et la tolérance réclamée par l'opinion, y compris - et c'est la surprise de cette enquête - au sein de la population catholique.
Réalisé par l'Institut Sofres-Logica, ce sondage indique que 85% des Français disent ne pas comprendre pourquoi l'Eglise interdit non seulement le divorce, mais aussi le remariage religieux de personnes divorcées qui avaient déjà été mariés devant un prêtre. Mais la doctrine catholique va plus loin: elle affirme le caractère indissoluble du mariage et, du coup, elle assimile le remariage, après un divorce, à un adultère. Pour cette raison, elle exclut le fidèle de toute vie sacramentelle et lui interdit l'accès au banc de la communion. 80% des Français manifestent leur réprobation pour tant de sévérité.
Dans la population catholique, les chiffres rejoignent presque ceux de la population française dans son ensemble: moins d'un quart seulement (24%) des pratiquants réguliers (qui vont à la messe au moins une fois par mois) considèrent que «l'Église a raison d'interdire» le remariage religieux et 16% qu'«elle a raison d'interdire la pratique de la communion». Soit des pourcentages faibles qui expriment la grande souffrance des personnes concernées et une insoumission à l'autorité de l'Eglise. Insoumission qui va loin: si les chiffres indiquent que les catholiques divorcent un peu moins que l'ensemble des Français (13% contre 17%), ils se remarient (civilement) dans les mêmes proportions.
Le divorce frappe une personne retraitée sur cinq et la moitié des retraités divorcés se remarient ou vivent en union libre: un chiffre «explosif», selon Nicolas de Bremond d'Ars, sociologue qui commente ce sondage pour Pèlerin, étant donné que les retraités forment la grande majorité des catholiques pratiquants.
Même si, dans la pratique, beaucoup de prêtres ferment les yeux, l'interdiction du banc de la communion pour les divorcés-remariés reste donc une source de grand scandale. «Dans le monde sécularisé, la communion apparaît comme un rite d'appartenance auquel tous les chrétiens devraient pouvoir prétendre», note Nicolas de Bremond d'Ars, le sociologue. Quoiqu'il en soit, de cette enquête il résulte une grande attente de changement. Pour 79% des catholiques pratiquants, «l'Eglise devrait adopter une attitude plus souple pour tenir compte de l'évolution des mœurs».
Ce fossé qui sépare l'opinion et l'Eglise confirme l'inadaptation du discours catholique sur la notion d'indissolubilité du mariage. Celle-ci résiste de moins en moins à la pratique: le mariage est un lien qu'on noue ou qu'on dénoue librement, une relation qui ne vaut la peine d'être maintenue que si elle apporte aux partenaires le bonheur attendu. Dans les sociétés occidentales, le modèle dominant valorise le droit au plaisir, la volatilité des sentiments, la précarité des engagements. Ce modèle est aux antipodes de celui que prône l'Eglise arc-boutée sur sa tradition et sa discipline. Qu'elle ne veuille reconnaître le divorce dans aucun pays est source de malaises et de conflits.
Peut-on imaginer qu'elle revienne un jour sur sa position et accepte enfin que les divorcés-remariés soient mieux tolérés dans ses rangs? Ceux-ci ne sont plus excommuniés comme autrefois, mais on peine à comprendre pourquoi l'Eglise continue de refuser la communion à une femme ou un homme remarié qui, abandonné par son conjoint, n'a pas voulu la séparation et n'a donc pas de responsabilité directe dans la rupture du lien conjugal.
Coupable surdité, Rome n'a jamais voulu céder aux pressions venues de beaucoup de pays, de mouvements de laïcs et de religieux, voire d'évêques — en Allemagne, en France, en Italie (comme le célèbre cardinal Martini, ancien archevêque progressiste de Milan) — qui, sans remettre en cause la caractère sacré du premier mariage, plaident en faveur d'un assouplissement et d'un examen, au cas par cas, de la situation de ces couples divorcés-remariés.
Henri Tincq
Image de Une: Gil Cohen Magen / Reuters