Dans sa tribune hebdomadaire publiée jeudi 17 septembre dans Libération, Alain Duhamel tire les leçons de «l'affaire Hortefeux». Il titre son papier «Totale transparence». «Dans cette affaire il n'y a qu'une victoire, celle de la vidéo, un triomphe, celui d'internet. Une fois de plus, la toile a imposé son règne» dit l'éminent éditorialiste. Il considère que l'excès de transparence, la multiplication des caméras, amateurs ou non, et la possibilité démultipliée de diffusion sur le net constitue une évolution nuisible.
Pour une fois, Alain Duhamel est en «totale erreur»... Son commentaire a sa pertinence mais il n'a tout simplement rien à voir avec l'affaire Hortefeux. Le document en question a été tourné, à l'ancienne par un JRI (Journaliste reporter d'images), un cameraman journaliste de la chaîne Public Sénat. Le JRI ne se dissimulait pas, il ne filmait pas dans un lieu privé, il ne violait aucune intimité. La camera a enregistré les propos d'un ministre en représentation et en discussion ouverte avec plusieurs personnes qui étaient toutes là pour assister à un événement tout ce qu'il y a de plus public et officiellement médiatisé. Le cameraman avait son badge d'accréditation, sa carte de presse en poche.
Ce qu'il a filmé et enregistré a produit un document journalistique honnête, qui permet à celui qui le regarde de très bien se rendre compte du contexte. Il n'y a absolument aucun doute sur le sens des propos du ministre mais là n'est pas la question. Le problème, c'est que ce document n'a pas été utilisé par son auteur. La pusillanimité coupable du directeur de Public-Sénat a conduit tout droit ce document sur Internet. Là, il a d'abord été diffusé dans de mauvaises conditions techniques par le site du Monde. Mais son succès n'est pas le fruit d'un acharnement voulu par je ne sais quelle organisation malveillante. Le buzz n'est pas un être vivant, un monstre de la toile qui déciderait tout seul de crucifier une personnalité pour satisfaire son appétit. Le succès de cette vidéo vient du contenu incongru et potentiellement scandaleux dans la bouche d'un ministre de la République.
J'ai été longtemps reporter politique, notamment sur RTL, la radio où officie Alain Duhamel. Si j'avais pu enregistrer, ouvertement ou même sans qu'il me voie, un ministre de la République, responsable du parti majoritaire, tenir de tels propos dans un cadre public, j'aurais immédiatement diffusé ce «son». Mes chefs à RTL m'auraient alors félicité pour ce petit scoop. Il en aurait été de même à France Inter et j'ose espérer à Europe 1. Pourquoi, sous prétexte que c'est le site Internet du Monde qui a diffusé en premier ce document, Alain Duhamel devrait-il le considérer comme nocif? Du Romanée Conti dans une bouteille, c'est peut être moins présentable que du Romanée Conti en barrique, mais une fois dans le verre, ça reste du Romanée Conti! (si tant est que la bouteille élégante soit à la barrique ce que le journal Le Monde est au site Internet lemonde.fr !)
Dans son édito de lundi dernier, sur RTL cette fois ci, Alain Duhamel défiait quiconque de pouvoir affirmer que Brice Hortefeux ne parlait pas des Auvergnats! Si Alain Duhamel n'a pas bien compris ce qui se disait, c'est sans doute qu'il a besoin d'une connexion Internet à plus haut débit. Il n'y a en revanche aucun doute possible quand on regarde le document en entier sur Public Sénat qui a fini par sortir du ridicule en diffusant son reportage.
Il n'y a dans cette affaire aucun excès de transparence. Il y a simplement eu un excès d'autocensure. Internet a été un filet de protection qui a permis de sauver un vrai document journalistique.
Thomas Legrand
Image de Une: Brice Hortefeux Robert Pratta / Reuters