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Iran nucléaire: où sont passés les stratèges américains de la guerre froide?

Temps de lecture : 4 min

Barack Obama présente l’accord sur le nucléaire iranien aux côtés du vice-président, Joe Biden, depuis la Maison Blanche, à Washington (États-Unis), le 14 juillet 2015 | REUTERS/Andrew Harnik/Pool
Barack Obama présente l’accord sur le nucléaire iranien aux côtés du vice-président, Joe Biden, depuis la Maison Blanche, à Washington (États-Unis), le 14 juillet 2015 | REUTERS/Andrew Harnik/Pool

Confrontés à une menace mortelle pour le monde occidental qu’étaient l’URSS et la Chine de Mao, les Etats-Unis ont mené pendant 45 ans une stratégie opiniâtre et résolue qui consistait à combattre sans cesse sur le plan idéologique, à construire des alliances puissantes en Europe et en Asie, à tenter de contenir en Asie et en Afrique l’URSS et dans le même temps de l’amadouer par la détente et à essayer d’empêcher les deux géants du totalitarisme communiste d’être trop proches. Une stratégie qui a connu des hauts et des bas mais a fini par être victorieuse.

«Confrontés à deux formes d’islamismes totalitaires, la forme chiite et la forme sunnite, nous avons choisi de soutenir la première pour se défaire de la seconde. Nous nous aliénons nos alliés, les sunnites modérés et les Israéliens. Et en faisant cela, je le crains, nous renforçons les flammes des conflits sectaires à tous les niveaux du local au national en passant par le régional. Et pendant ce temps-là, le Président Obama répète ce mantra vide de sens que «l’Islam est une religion de paix»», écrit dans le Wall Street Journal l’historien britannique, professeur à l’Université d’Harvard Niall Ferguson. Il est l’auteur d’une biographie récente d’Henry Kissinger.

Gagner du temps pour améliorer sa position stratégique

Niall Ferguson souligne que Barack Obama en défendant l’accord sur le nucléaire iranien devant l’opinion et le Congrès présente un choix qui n’en est pas un. «Il y a seulement deux alternatives» a déclaré le Président des Etats-Unis lors d’une conférence de presse. «Soit la question de l’Iran se dotant d’une arme nucléaire est réglée diplomatiquement au travers d’une négociation, soit elle est réglée par la force et la guerre».

Le résultat est un accord qui, s’il est respecté, retarde de dix ans la possibilité pour la République islamique de se doter de la bombe atomique. Pour Niall Ferguson, Barack Obama cherche avant tout à gagner du temps dans l’espoir «d’améliorer la position stratégique relative des Etats-Unis et de leurs alliés et d’ici 2025 d’être plus fort pour empêcher l’Iran d’entrer dans le club des puissances nucléaires. Mais comment les Etats-Unis peuvent-ils y parvenir? Pourquoi l’Iran soudain changerait de comportement? En récompense pour à peine ralentir sa poursuite de l’arme nucléaire, le pays vient d’obtenir près de 150 milliards de dollars d’actifs gelés, un bonus commercial avec la levée des sanctions et la perspective de la fin de l’embargo sur les armes conventionnelles et les missiles balistiques après respectivement cinq ans et huit ans». Et il ajoute qu’il n’y aura pas de «snap back» (retour) des sanctions si l’Iran utilisent ces nouvelles ressources pour doubler ou quadrupler son soutien au Hezbollah, Hamas, au régime d’Assad en Syrie et à la rébellion Houthi au Yémen. La position stratégique relative des Etats-Unis et de leurs alliés face à l’Iran n’est pas prête de s’améliorer.

«Et comment vont réagir les adversaires de Téhéran avec ce calendrier pour perspective: un soutien accru aux alliés de l’Iran dès maintenant, une considérable amélioration de son armement conventionnel en 2020, des missiles balistiques en 2023 et l’arme atomique en 2025? La conjecture du Président est qu’en gagnant du temps il peut construire un équilibre régional. L’alternative et le scénario le plus probable et qu’il y est une course aux armements et une escalade des conflits».

Des voeux pieux et des bons sentiments

Barack Obama vit dans un monde de fantaisies comme le montre l’explication de sa stratégie au Moyen-Orient qu’il avait donné au magazine New Yorker en janvier 2014. «Ce serait dans l’intérêt profond des citoyens du Moyen-Orient si les Sunnites et les Chiites ne cherchaient pas à se tuer les uns les autres… Et si nous étions capables d’amener l’Iran à se comporter de façon responsable –en ne finançant pas des organisations terroristes, en n’essayant pas d’alimenter les tensions sectaires dans d’autres pays et en ne développant pas une arme nucléaire-on pourrait voir un équilibre se développer entre les Etats sunnites du Golfe ou majoritairement sunnites et l’Iran».

Barack Obama prend ses désirs pour la réalité et choisit aussi la solution de facilité en espérerant que le temps lui donne raison tout en prenant des risques auxquels il n’aura pas à faire face. Pour Niall Ferguson, c’est exactement ce que Henry Kissinger avait décrit en 1963 comme le «problème des conjectures». Quand un homme d’Etat «agit sur la base de suppositions, il ne sera jamais en mesure de prouver que l’effort demandé était nécessaire, mais il peut s’épargner à lui-même beaucoup de regrets plus tard… S’il attend, il aura de la chance ou bien il n’aura pas de chance». Le problème est qu’une action préventive n’est jamais récompensée et perçue en fonction de ces bénéfices parce que la «postérité oublie facilement ce qui aurait pu se passer». L’homme d’Etat qui agit de façon préventive a même de grandes chances d’être condamné pour les coûts de cette action plutôt que pour les calamitées ainsi évitées. En revanche, gagner du temps ne mène pas forcément au désastre. Quelque chose peut bien tourner.

Chamberlain et Daladier cherchaient aussi à gagner du temps en 1938

Henry Kissinger pour illustrer son propos donnait comme exemple la politique d’apaisement menée à la fin des années 1930 par les puissances envers l’Allemagne nazie. Elle était destinée à ralentir, pas à arrêter ou inverser le réarmement et l’expansionnisme de l’Allemagne. Si les démocraties avaient agi plus tôt pour contenir et contrer l’Allemagne, «nous ne saurions pas aujourd’hui si Hitler était un nationaliste mal compris et s’il avait des objectifs limités ou s’il était un fou furieux qui appliquerait à la lettre son programme sanguinaire. Les démocraties ont appris qu’il était un fou furieux. Elles en ont obtenu la certitude mais ont du payer pour cela avec des millions de vies».

Comme Barack Obama aujourd’hui, le Premier ministre britannique Neville Chamberlain et le Président du Conseil français Edouard Daladier avaient tenté en 1938 de gagner du temps estimant qu’un conflit à ce moment là avec l’Allemagne de Hitler serait pire qu’un conflit éventuel dans l’avenir. La conjecture, pour reprendre le terme de Kissinger, était que le temps… améliorerait leur position stratégique relative.

La question avec l’Iran est la même qu’en 1938. La République Islamique d’Iran est-elle un acteur rationnel ou est-elle dirigée par des fous furieux qui mettront à exécution leurs menaces sanguinaires… Réponse dans quelques années.

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