L'aviez-vous remarqué? On reprend beaucoup la main ces temps-ci. En peu de jours, on a vu Nicolas Sarkozy reprendre la main sur la taxe carbone et, grâce à un nul qui a tenu du miracle à Belgrade, aux bougonnements de Laurent Blanc et aux démentis bredouillés par Thierry Henry, Raymond Domenech reprendre la main chez les Bleus. On avait même cru, jusqu'à la publication d'un livre qui dénonce de petites magouilles et de grands tripotages, que Martine Aubry, grâce à sa prestation à La Rochelle et à son ralliement aux primaires pour la gauche, parvenait à reprendre la main à la tête du PS. Patatras! C'est partie remise —au moins jusqu'à la prochaine gaffe-étourderie-bourde-bévue-sottise-maladresse boulette (Rayer les mots inutiles) de Ségolène Royal, ou au prochain croche-pied de ceux qui soutiennent la Première secrétaire comme la corde soutient le pendu.
Ces clichés en appelant d'autres, on note tout de suite que reprendre la main permet de s'emparer des manettes pour mieux être à la manœuvre: tant qu'on y est pourquoi se priver! On ne répètera jamais assez que l'accumulation des formulations convenues bétonne la langue de bois des politiques (Saluons monsieur Fenouillard et le maire de Champignac, ces maîtres de la rhétorique et, à travers eux, rendons hommage à Christophe et à André Franquin), ni que le talent d'un journaliste (on l'a déjà dit, mais on ne se lasse pas de le redire, pour l'édification des jeunes générations en général et la formation des professionnels de demain en particulier) se mesure à sa capacité d'aligner le maximum de clichés dans le minimum de mots.
À la fois théoricien et praticien de la logologie (On vient d'inventer ce mot qui sonne bien et s'entoure, d'entrée de jeu, du halo d'imprécision qui fait le succès d'un noumène dans les milieux intellectuels), on s'est longtemps interrogé sur l'origine de l'expression et sur les raisons de sa fortune. Il nous semble qu'il faut l'attribuer au jeu de l'oie - renouvelé des Grecs, comme chacun sait -, puis à divers jeux de cartes destinés aux enfants ou au Troisième Âge, et, enfin à un jeu télévisé à la popularité inoxydable (Ce cliché-là monte en puissance, et nous aurons à nous y intéresser dans les mois à venir). Sous l'œil jamais blasé de Julien Lepers, les candidats annoncent avec solennité, à la France entière: «Je prends la main». Certains, plus cultivés ou plus chauvins, estimeront que Pierre Schoendorffer a donné ses lettres de noblesse à reprendre la main grâce aux «Je prends!» qui ponctuent son «Crabe-tambour».
Quoi qu'il en soit, reprendre la main s'impose comme une formule du dernier cri. Elle a relégué dans l'enfer des vieilles lunes «bouger les lignes», «déplacer le curseur» et «être au taquet», tous banalisés à l'excès. Déplorons au passage qu'il n'existe pas dans la Presse de chronique consacrée aux mots à la mode, au vocabulaire tendance, alors qu'il suffit d'ouvrir Elle ou Marie-Claire pour tout savoir de la mode vestimentaire ou accessoriale (Autre invention de notre cru, qui démontre que quelques jours de vacances nous ont profité). Posons en postulat, cependant, que, comme les créateurs ne l'ignorent pas, la mode se démode dès qu'elle se généralise. Écrivons: généralisation = banalité. Reprendre la main s'effacera par conséquent aussitôt que monsieur Machin et madame Unetelle se mettront à l'employer.
À moins que l'on ne se soit avisé, eussent dit les Précieuses, du péjoratif de la chose.
Tant il est vrai qu'on ne reprendrait pas la main si on ne l'avait perdue ou abandonnée. L'omniprésence de Nicolas Sarkozy garantit son omnipotence: comment pourrait-il admettre, même après son malaise vagal, d'avoir perdu la main au bénéfice de François Fillon, voire d'Henri Guaino? Raymond Domenech, éleveur de champions, accepterait-il d'avoir perdu la main sur ses sélectionnés, serait-ce le temps d'une défaite?
Allons, reprenons la main sur ce texte et cessons d'élucubrer!
Marc Menonville