Dossiers d’inscription, demandes d’allocations, déclarations d’impôts… Il y a des jours où, croulant sous la paperasse et le poids des démarches, on plaiderait volontiers la phobie administrative, comme le fit Thomas Thévenoud en son temps (de façon complètement fantaisiste, rappelons-le). J’avoue admirer sincèrement celles et ceux qui parviennent à ne pas perdre pied dans la jungle des formulaires, des cases à cocher et des justificatifs à fournir. Et quand je me tape la tête contre les murs face à un courrier incompréhensible, un bulletin de salaire indéchiffrable ou un dossier de mutuelle impossible à corriger (ma fille a un prénom de trois lettres mais ils sont tout de même parvenus à faire une faute), je me rappelle que j’ai bien de la chance d’être né dans ce pays et d’en parler couramment la langue. Je crois que je n’imagine pas bien l’ampleur du calvaire pour celles et ceux dont ce n’est pas le cas, et qui doivent se battre chaque jour pour faire reconnaître leur situation ou obtenir des droits…
Je suis administrativement défaillant mais j’essaie de me soigner. D’autres s’en sortent mieux que moi, parce que c’est dans leur nature ou qu’on ne leur a pas laissé le choix. Je ne comprends pas ce qui s’est passé: pourquoi suis-je si bon en maths et si piètre comptable? pourquoi suis-je pris par l’angoisse de la page blanche devant un simple courrier administratif alors qu’il m’est arrivé de rendre des dissertations de seize pages à mes profs de français? Je n’ai pas vraiment d’excuse, mais il m’arrive de me dire que mes parents m’ont sans doute trop couvé en accomplissant toutes les démarches à ma place jusqu’à une étape assez tardive de mon existence. J’aurais dû prendre ma vie en main plus tôt, mais je ne l’ai pas fait. Je ne peux m’en prendre qu’à moi-même.
J’ai fini par me dire que, si l’Éducation nationale assurait elle-même des cours de vie d’adulte, tout serait sans doute plus simple pour beaucoup d’entre nous. Pourquoi ne pas instaurer, quelque part entre les heures d’histoire-géographie et celles d’EPS, une séance hebdomadaire au cours de laquelle on nous apprendrait à réaliser correctement certaines démarches administratives? Cela permettrait de faire partir tous les jeunes sur un pied d’égalité face aux paperasseries qui les attendent dans leur vie future. Et ce serait au final tellement plus utile que bien des cours abstraits dispensés en terminale.
Si l’Éducation nationale assurait des cours de vie d’adulte, tout serait sans doute plus simple
Cette idée d’un cours de vie d’adulte va en fait au-delà d’une simple histoire de papiers à remplir (même si passer quelques temps sur le dossier de CAF ou les pièces légalement exigibles dans le cadre d’une location d’appartement ne serait pas un mal). Combien sommes-nous à avoir été surpris par les montants dus aux impôts lors de notre première année de contribuable? Après des années d’impôts, il semble assez logique de devoir mettre régulièrement de l’argent de côté ou d’opter pour la mensualisation afin de régler les sommes réclamées en temps et en heure. Mais dans un premier temps, à moins d’être un modèle de vertu et de prévoyance (cela existe), il serait bon que quelqu’un nous explique que, attention, si l’on parvient à trouver un job, on devra sans doute payer des impôts à partir de telle date et qu’il serait donc extrêmement sage d’y penser un certain nombre de mois à l’avance.
Se distinguer pour obtenir stage ou emploi
L’entrée dans la vie active est violente, pleine de stress, et pas seulement parce qu’il faut travailler ou chercher du travail. Ce serait une bonne chose que l’Éducation nationale se charge de faire baisser la pression et d’aider les jeunes à éviter les crises de nerfs et les situations inextricables. Ce rôle devrait probablement incomber aux parents, mais les inégalités sont importantes là aussi. Mes parents m’ont trop assisté, mais ils sont toujours là pour répondre à la moindre de mes questions concernant les formalités administratives ou les impôts. D’autres n’ont pas cette chance: parents largués, parents absents, parents connaissant mal les administrations françaises… Certains jeunes sont tout bonnement livrés à eux-mêmes, avec Google comme seule bouée de sauvetage. Mais, de sites peu fiables en forums déprimants, il n’est pas toujours simple de se repérer dans le marasme de l’Internet.
Par la même occasion, on pourrait apprendre aux lycéennes et aux lycéens à réaliser un CV et une lettre de motivation de qualité. Cette année, entre deux cours, j’ai reçu la visite d’élèves de terminale venus me demander un coup de main dans la rédaction de lettres destinées à figurer dans leur dossier. Je leur ai évidemment prêté main forte dans la mesure de mes compétences, tout en me disant que, là encore, les inégalités étaient légion. Il y a ceux dont les parents peuvent relire les courriers (voire les écrire eux-mêmes), et ceux qui n’ont personne à la maison pour corriger leur maladresses et leurs fautes d’orthographe. Je ne parle même pas du manque total de maîtrise des logiciels de traitement de texte par une partie des élèves, qui n’ont jamais pris le temps de se former sur la mise en forme de documents, et à qui aucun cours de ce genre n’a jamais été proposé (le B2i, «attestation de compétences» visant à attester de la maîtrise de l’outil informatique et de l’Internet par les élèves, est une vaste blague).
On pourrait apprendre aux lycéennes et aux lycéens à réaliser un CV et une lettre de motivation de qualité
Il est triste de raisonner dès l’adolescence en terme de compétitivité, mais il semble hélas nécessaire de penser le plus tôt possible à se distinguer positivement afin d’obtenir cursus, stage ou emploi. C’est sans doute par le biais d’un tel cours que les jeunes pourraient apprendre à montrer que, malgré leur âge peu avancé, leur détermination et leur maturité ne sont pas à prouver. Cela pourrait également leur permettre de passer leurs premières années de vie adulte sans forcément avoir envie d’éclater un type de Pôle emploi.
Cette mesure devrait d’ailleurs exister bien au-delà du simple cadre du lycée, pour être proposée à tous les jeunes gens du pays, y compris (pour ne pas dire surtout) aux élèves des filières professionnelles ainsi qu’à celles et ceux qui ont stoppé leurs études de façon précoce. On pourrait aussi profiter de ce cours pour rappeler à quelles dates s’inscrire sur les listes électorales, expliquer longuement et précisément à quoi sert le planning familial… Et pourquoi pas revoir en profondeur le contenu de la Journée défense et citoyenneté (ex-JAPD) pour la transformer en quelque chose de plus pratique et plus concret, même si une simple journée ne suffirait pas à appréhender la complexité de l’existence administrative et bureaucratique qui nous attend toutes et tous.