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Les sex-toys ne ressemblent plus vraiment à des pénis: faut-il s'en inquiéter?

Temps de lecture : 2 min

Les godemichets modernes ont des formes rondes, épurées, très «design». La fin du kitsch ou le retour d’une pudeur exacerbée?

Des sextoys au Mode City trade show à Paris en 2007 | Benoit Tessier/REUTERS
Des sextoys au Mode City trade show à Paris en 2007 | Benoit Tessier/REUTERS

Si vous êtes familier des boutiques de sex-toys, vous l’aurez sûrement remarqué. Et même sans en être un adepte, vous n'avez pu passer à côté: les sex-toys en forme de pénis ressemblent de moins en moins à des pénis. Ils ont maintenant des formes rondes, épurées, très «design». Mais pourquoi? et est-ce une bonne nouvelle? La réponse est oui, pour le magazine Fusion, qui a interrogé (surtout) des designers et entrepreneurs.

«L’industrie du sex-toy a longtemps été dominée par les mâles», avance Ti Chang, cofondatrice de la marque de sex-toy ultra-design Crave. «Et c’est pour cela que c’est très centré sur l’anatomie masculine. Ils se sont juste dits “oh, elle veut une grosse bite, alors nous allons tout simplement en reproduire une et lui donner différentes couleurs», ajoute-t-elle.

Des sex-toys dans un Love hotel de Tokyo en 2004 | Issei Kato/REUTERS

Archaïsme....

Ti Chang estime qu’«aucune femme n’a jamais désiré le genre de sex-toy en forme de pénis réaliste et de lapin» qui inondait le marché jusqu’au début des années 2000. Pour Robert Rheaume, le président d’une autre ligne de sex-toys de luxe, JimmyJane, ces jouets réalistes sont «intimidants et effrayants pour la plupart des gens». Kitsch et grotesques, résume Fusion. Il y avait donc là un remarquable marché pour des designers qui auraient absorbé les leçons d’Apple et d’Ikea, et les appliqueraient au marché du sexe.

Aucune femme n’a jamais désiré le genre de sex-toy en forme de pénis réaliste et de lapin

Ti Chang, co-fondatrice de la marque de sex-toy ultra-design Crave

C’était la fin du skeuomorphisme: cette tendance à reproduire des aspects visuels des objets que la technologie veut imiter, comme lorsque les premiers concepteurs d’outils de prise de note ont essayé d’imiter le papier, ou lorsque le curseur de la souris se transforme sur certaines applications en main. Une imitation qui peut sembler naturelle au premier abord, mais se révélerait en fait inutile et naïve, voire contre-productive, et caractériserait le premier âge des produits, selon certains commentateurs.

Jimmyjane sex toys Semi-Annual Sale! | Rachel Kramer Bussel via Flickr CC License by

... ou puritanisme?

Voici donc enfin venu le sex-toy moderne, prenant en compte le désir des femmes et la sensibilité des consommateurs. Peut-être, mais, comme le soulignait dès 2010 la blogueuse Camille dans un article au titre assez explicite –«Les sex-toys sont-ils devenus coincés du cul?»– difficile de ne pas y voir aussi une sorte d’opération puritaniste, pour rendre ces objets «acceptables». «À force de vouloir pondre des concepts “innovants” ou “dégenrés”, des formes censées ne rien évoquer de sexuel, les fabricants montrent-ils qu’ils sont plus coincés qu’ils en ont l’air?» se demandait la cofondatrice de Rue69.

Difficile de ne pas y voir aussi une sorte d’opération puritaniste, pour rendre ces objets «acceptables»

Ces nouveaux sex-toys répondent sans doute aux demandes des consommateurs, mais flattent aussi un réflexe somme toute assez conservateur, qui voudrait qu’on estime que les organes sexuels sont laids. «Primitivement la “beauté” et le “charme” sont des attributs de l’objet sexuel; il y a lieu de remarquer que les organes génitaux ne sont pourtant presque jamais considérés comme beaux», faisait remarquer le docteur Freud dans son livre Malaise dans la civilisation, cité par la psychanalyste Simone Korff-Sausse dans un article sur la laideur.

Si l’on trouve les organes sexuels laids, c’est parce que nous avons intégré le tabou de la nudité et que nous reportons la honte que nous ressentons à être nus sur nos sexes. Ces nouveaux sex-toys, qui ne ressemblent pas vraiment à des sexes, nous réconcilieront sans doute avec notre plaisir. Mais pas avec l’image de notre corps.

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