Sciences / Monde

Un gigantesque tremblement de terre peut-il vraiment rayer Seattle de la carte?

Temps de lecture : 6 min

Des Américains paniqués cherchent à se rassurer auprès de géologues. Sauf que les géologues sont les pires vers qui se tourner si on veut avoir l'esprit tranquille.

Tiffany Von Arnim Downtown Seattle via Flickr CC License by
Tiffany Von Arnim Downtown Seattle via Flickr CC License by

Le dernier tremblement de terre d'une magnitude proche des 9 à avoir touché le Nord-Ouest Pacifique est survenu 75 ans avant la naissance des États-Unis. Un jour, peut-être dans un futur pas si lointain, la croûte terrestre convulsera à nouveau dans un méga-séisme. Un événement qui ridiculisera toutes les catastrophes naturelles que notre pays aura pu connaître jusque là.

Dans le numéro daté du 20 juillet du New Yorker, Kathryn Schulz, qui vit en Oregon (dans le nord-ouest des Etats-Unis), nous a tous fait flipper notre petite race en décrivant par le menu les conséquences d'un gigantesque séisme susceptible de se produire le long de la faille de Cascadia. Rappelez-vous du séisme au Japon en 2011 et du tsunami consécutif, à l'origine de la catastrophe de Fukushima –sauf qu'en termes de niveau de préparation, la région américaine n'arrive pas à la cheville du Japon. Attention cependant si vous lisez l'article et que vous vivez à Seattle: vous aurez probablement envie de passer les prochaines nuits dehors.

En voici un extrait pour le moins éloquent:

«Quand les secousses auront cessé et que le tsunami aura reflué, la région sera méconnaissable. Kenneth Murphy, directeur pour la FEMA de la Région X, la division s'occupant de l'Oregon, de l’État de Washington, de l'Idaho et de l'Alaska, explique: "Notre hypothèse de travail, c'est que tout ce qui se trouve à l'ouest de l'Interstate 5 sera anéanti."»

Interstate 5 map

L'excellent hebdomadaire de Seattle, The Stranger, permet de résumer en une phrase ce qu'il faut retenir de l'article: le tremblement de terre sera effroyable, le tsunami sera encore pire pour beaucoup de gens, la chose aurait déjà dû se produire et la région n'y est pas du tout préparée.

Reddit à la rescousse

Quel est le degré de crédibilité de ce scénario apocalyptique? Est-ce Kathryn Schulz n'aurait pas un tantinet exagéré? Faut-il se ruer chez Tillamook pour faire des provisions de cheddar et bourrer sa cave de caisses de Black Butte Porter? Pétitionner la NFL pour qu'elle relocalise l'équipe de football américain de la ville, les Seahawks, à Omaha?

Dieu soit loué, nous avons Reddit pour faire face à de telles angoisses. Le 14 juillet, un groupe de sismologues experts du Nord-Ouest, y compris l'éminent John Vidale, a répondu aux questions des internautes sur le fil «IamA» de Reddit. La discussion allait générer plus de 800 commentaires.

L'une des premières choses à retenir de cette discussion, c'est que oui, un séisme de cette magnitude peut se produire à tout moment, mais que Kathryn Schulz s'est un peu lâchée en licence poétique pour décrire ses répercussions, notamment concernant le tsunami menaçant Seattle et Portland. Le désespoir de la foule s'est fait palpable lorsqu'un commentateur a demandé aux experts de préciser les passages où Kathryn Schulz avait le plus exagéré (un autre post a fait état des dizaines de parents paniqués qui, sur Facebook, ont envisagé de retirer leurs enfants de l'école et de leur faire la classe à la maison, histoire qu'ils ne finissent pas écrasés sous les décombres ou noyés par le tsunami). John Vidale a précisé:

«Les communications pourraient être coupées et les routes être impraticables pendant un temps, idem pour les magasins qui risquent de ne plus être réapprovisionnés, mais cela ne constitue pas un "anéantissement" dans mon esprit».

Ailleurs, John Vidale a déclaré que l'article était «un petit peu hollywoodien, mais globalement assez précis».

Peu de risque d'une destruction totale de Seattle ou de Portland

A plusieurs reprises, les experts ont souligné que le risque pour Seattle de se voir balayée par un tsunami provoqué par le méga-séisme était «insignifiant», notamment parce que la ville est protégée par la Péninsule Olympique et le Puget Sound. À Portland, qui est à 160 kilomètres de la côte, mais à une altitude plus proche du niveau de la mer, il y a peu de chance que le tsunami réussisse à remonter le Columbia avec suffisamment de force pour causer des dégâts importants.

Un séisme plus modéré risquerait
en réalité d'accroître la pression sur
la ligne de faille
et d'augmenter par
la même occasion
les risques d'un méga-séisme

Reste que sur la côte, c'est une tout autre histoire. Les habitants seront pleinement exposés au tsunami. Ici, en fonction de la localisation des principales lignes de faille, le séisme pourra être si violent par moments qu'il surpassera la force gravitationnelle et enverra des immeubles (et des gens) valser dans les airs. A Seattle, les secousses seront probablement assez fortes pour décapiter au moins un gratte-ciel (mais pas la Space Needle). La situation pourrait être encore pire à Portland, selon les experts. Le truc le plus effrayant que j'ai pu apprendre du fil Reddit est même contre-intuitif: un séisme plus modéré risquerait en réalité d'accroître la pression sur la ligne de faille –et d'augmenter par la même occasion les risques d'un méga-séisme. Et il ne fait absolument aucun doute qu'un énorme séisme touchera un jour ou l'autre le Nord-Ouest.

#Cascadia Le tsunami orphelin de 1700: Des indices japonais font le lien avec un tremblement de terre en Amérique du Nord

Simulation d'un séisme de magnitude 9 par l'Institut d'études géologiques des États-Unis #Cascadia #tremblementdeterre

Un méga-séisme tous les 300 ans, en moyenne

Oui, mais quand? Selon John Vidale, les chances que le scénario du pire se réalise de votre vivant, si vous prévoyez de ne pas mourir d'ici 50 ans, s'élèvent à peu près à 15%. Ce qui est sans doute un meilleur moyen d'analyser des statistiques récurrentes que de donner des prédictions annuelles.

Historiquement, la fréquence d'un tremblement d'envergure dans la région est de l'ordre d'une occurrence tous les 300 ans, intervalle que nous avons aujourd'hui dépassé si l'on fait la moyenne des 10 000 ans écoulés de la géologie du Nord-Ouest. Mais l'espacement entre deux séismes de magnitude 9 varie entre 200 et 900 ans. Si le système de failles reste sur ce même modèle, le prochain méga-séisme pourrait survenir entre demain et 2600. Sans qu'il y ait aucun moyen de gagner en précision.

Il y a un scénario qui n'a pas été envisagé par Kathryn Schulz, mais qui aura été visiblement un énorme sujet de préoccupation pour les redditeurs: qu'un méga-séisme provoque une éruption volcanique (ce qui se comprend quand on sait qu'à peu de n'importe quelle grande ville de la région, on a vue sur un volcan). Selon John Vidale:

«Environ 10 % des séismes d'envergure provoquent des éruptions volcaniques, qui sont le plus souvent mineures, donc le risque volcanique est bien moindre comparé au risque sismique.»

Pas si mal préparés que ça

En plus des questions sur l'impact du méga-séisme et sur l'invasion de hipsters dont souffre depuis trop longtemps la région, les questions les plus plébiscitées ont été celles concernant notre degré de préparation. Kathryn Schulz a raison de souligner la supériorité du système d'alerte japonais, qui détecte les ondes les plus rapides, et les plus relativement inoffensives, d'un début de séisme. Un tel système est aujourd'hui testé dans le Nord-Ouest. «En réalité, je l'ai aujourd'hui sur mon téléphone», a précisé John Vidale.

Même si la région pourrait souffrir de graves difficultés économiques, et voir beaucoup de ses habitants l'abandonner après un séisme catastrophique (comme cela a pu se passer à la Nouvelle Orléans après l'ouragan Katrina), il n'y a aujourd'hui pas de raison de déménager ou de refuser de vous y installer si vous y avez des perspectives d'emploi. La ville de Seattle est dotée d'un programme post-séisme et envisage de dédommager les propriétaires qui voudraient mettre leur logement aux normes.

Ces quatre dernières années, au moins trois livres sont parus sur les risques sismiques du Nord-Ouest Pacifique et ont rencontré un beau succès éditorial, mais la vague de panique provoquée par l'article du New Yorker prouve que beaucoup de gens n'ont toujours pas conscience du danger. Et c'est là que réside le gros du problème: faut de pression de l'opinion publique, les gouvernements ne sont pas trop incités à des modifications en profondeur des codes de construction et des systèmes d'alerte d'urgence. Kathryn Schulz a fait un super boulot en mettant en lumière de telles lacunes, mais les experts ont aussi souligné que les quelques millions de dollars nécessaires annuellement pour qu'un tel système soit pleinement fonctionnel sont difficiles à rassembler. Espérons que ce petit souci soit vite réglé.

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