Tout a commencé avec le photographe suisse Robert Frank, qui, financé par une bourse de la Fondation Guggenheim, avait sillonné l'Amérique durant presque un an, entre 1955 et 1956, à travers 30 états. Il en était sorti avec 767 pellicules et plus de 27 000 photos. Ce trésor a été recueilli dans le livre Les Américains. L'Amérique qui en ressort est un pays de gens déprimés et aliénés. Les photos parlent toutes seules, aucun besoin d'y rajouter un texte, à l'exception d'une introduction voulue par le photographe et écrite rien de moins que par Jack Kerouac.
A la fin de cette introduction, Kerouac rajoute quelques lignes à propos d'une image qu'il a particulièrement aimée: celle de la Elevator Girl, qui représente une jeune fille de 15 ans, travaillant comme groom au Sherry Frontenac Hotel de Miami. Les silhouettes floues qui l'entourent focalisent l'attention sur elle et son regard perdu. Kerouac écrit alors: «A Robert Frank: tu as des yeux. Et je te dis: cette petite fille toute seule qui regarde en haut et soupire dans un ascenseur plein de démons flous, quel est son nom? et son adresse».
Pour des raison techniques, l'éditeur Robert Delpire, modifie la maquette du livre. La préface de Kérouac sera oubliée et les photos seront accompagnées des textes d'Alain Bosquet. 50 ans après, le MOMA de NewYork décide de rendre hommage à ce livre qui a vendu plus de 700 000 exemplaires dans ses différentes éditions (ce qui est étonnant pour un livre photographique). Le musée organise une exposition qui montre les 83 photos de Robert Frank dans le même ordre du livre. Le San Francisco Chronicle publie alors un article sur l'exposition avec, comme illustration, la photo de la Fille de l'Ascenseur et cite le texte de Kerouac.
C'est à ce moment là que Sarah Collins téléphone au Moma, et dit simplement: «La fille de l'ascenseur, c'est moi». Elle se rend au musée et «Je suis restée devant cette image pour au moins 5 minutes, sans savoir ce que je regardais. Après j'ai réalisé que cette fille, dans l'ascenseur, c'était moi». Elle explique alors ne pas se souvenir de Robert Frank en particulier, parce que beaucoup de touristes montaient dans cet ascenseur et prenaient des photos. Elle raconte être une fille plutôt joyeuse, souriante, mais «Robert Franck et Jack Kerouac ont vu en moi quelque chose que la plus part de gens ne voient pas, quelque chose de plus profond, que seulement les personnes proches de moi arrivent à voir». Le mystère est percé.
[Ecouter le reportage complet sur le site de NPR]
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Image de une: The Elevator Girl, Robert Franck, 1955