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Le Tour de France, une affaire de géopolitique?

Temps de lecture : 4 min

La presse anglo-saxonne s’indigne des suspicions contre Froome et attaque Jalabert pour ses insinuations. Ce n’est pas la première fois que la presse française est visée par ses homologues étrangers pendant le Tour. Une opposition qui verse vite dans une espèce d’antagonisme historico-nationaliste.

Chris Froome, attendant le départ de la 15e étape du Tour de France 2015, dimanche 19 juillet 2015 | REUTERS/Benoit Tessier
Chris Froome, attendant le départ de la 15e étape du Tour de France 2015, dimanche 19 juillet 2015 | REUTERS/Benoit Tessier

Dimanche 19 juillet 2015 au matin, un journaliste britannique de la chaîne ITV s’approche de Laurent Jalabert pour l’interroger sur ses déclarations à propos de Froome lors de sa victoire à la Pierre Saint-Martin. En plein direct de France 2, il avait mal caché son doute quant au possible dopage du leader du Tour. Face au refus d’interview de l’ancien cycliste français, aujourd’hui commentateur à France TV, le journaliste le tacle sur sa propre histoire:

«Sur le sujet du dopage, vous n'avez pas été entièrement transparent sur votre dopage…»

En 2013, un rapport du Sénat relatif à l’affaire Festina de 1998 l’accuse d’avoir été contrôlé positif à l’EPO. Jalabert a dit assumer ses responsabilités mais il n’a jamais avoué s’être dopé.

«Merci @ITV d’avoir mis en lumière les problèmes auxquels je suis confronté.»

Le présentateur de l’émission s’indigne des allégations du Français et repasse à l’antenne une deuxième fois le fameux enregistrement où Laurent Jalabert avoue se sentir «mal à l’aise» face à une telle performance. L’insinuation va trop loin pour la chaîne anglaise. Et, selon les Britanniques, cette remarque du Français n’a pas sa place sur France 2, chaîne la plus regardée lors du Tour de France. D’autant plus que la veille, le «Kényan blanc», tel qu’on surnomme Froome, s’est pris un verre d’urine en plein visage de la part d’un spectateur.

La presse française accusée

Si l’on suit le raisonnement des journalistes d’ITV, Froome n’aurait pas subi une telle humiliation si les journalistes français ne l’avaient pas implicitement accusé d’être dopé. Pour une partie de la presse britannique, leurs confrères font ainsi de lui le bouc émissaire du Tour probablement par nationalisme, parce que, comme chaque année depuis 1985, les coureurs français n’arrivent pas à prendre le dessus, et la jalousie primerait dans les colonnes de quelques-uns de nos journalistes sportifs.

Pour la presse britannique, les journalistes sportifs français font de Froome le bouc émissaire du Tour par nationalisme

Dans un article du Sunday Times publié samedi soir, David Walsh, journaliste officiel de la team Sky, où évolue Christopher Froome, réagit ainsi à la victoire du Britannique Steve Cummings (Team MTN-Qhubeka) devant deux jeunes Français, Thibaut Pinot (FDJ) et Romain Bardet (AG2R la Mondiale):

«Vous pissez sur nos leaders, nous gâchons votre fête. Tout va bien sur le Tour de France.»

Selon Pierre Carrey, journaliste à Libération, l’article suit une logique d’opposition franco-anglaise fondée sur l’histoire entre nos deux nations. Le goût amer qui pousse un journaliste d’ITV à attaquer Laurent Jalabert sur son propre dopage, c’est ce côté rancunier qui a de tout temps caractérisé l’opposition entre Français et Anglais, «La France arrogante face à la perfide Albion», selon les mots du journaliste.

Un nationalisme pas propre au Royaume-Uni

Ce genre d’envolée anti-française dans la presse étrangère à cause du traitement du Tour de France n’est pas nouveau. Chaque fois qu’un doute de dopage est émis par les commentateurs français, la presse étrangère réagit au quart de tour pour défendre les sportifs si chers à leur pays. Lance Armstrong, par exemple, était victime des mêmes critiques que Froome en 2002. Le jour de sa victoire en 2002, USA Today appelait la presse française «à la mettre en veilleuse». Pour le Washington Post, l’explication était relativement claire: les Français «ne sont vraiment bons nulle part, sauf lorsqu'il s'agit d'affirmer leur supériorité sur les autres». Et pour la touche historique, on pouvait lire plus loin dans l’article:

«Les Français filent un mauvais coton depuis qu'ils ont laissé leur pays à un cinglé à moustache venu d'Allemagne. Ils marcheraient encore au pas de l'oie sans la puissance de l'Amérique.»

Les Français ne sont vraiment bons nulle part, sauf lorsqu'il s'agit d'affirmer leur supériorité sur les autres

Le Washington Post, en 2002

On pourrait développer d’autres exemples. Il y a l’affaire des Guignols de l’info qui se moquaient d’Alberto Contador en 2012, provoquant une levée de boucliers dans toute la presse espagnole, qui accusait une France «jalouse». Déjà, en 1975, le coup de poing asséné à Eddy Merckx par un spectateur déséquilibré avait provoqué la fureur de la presse belge, qui fustigeait les journaux français d’avoir dressé le public du Tour contre le coureur.

Le spectre du dopage

Certains comportements violents d’une minorité de spectateurs sont probablement le fait d’un chauvinisme primaire, mais il apparaît un peu exagéré d’attribuer la «suspicion permanente» de la presse sportive française à des faits historiques comme la guerre de Cent Ans ou le débarquement en Normandie. Pour Sandrine Viollet, qui publie en 2007 Le Tour de France cycliste: 1903-2005, la «suspicion permanente» naît en 1998 dans le cadre de l’affaire Festina. Après ce scandale, où toute l’équipe Festina, menée par le français Richard Virenque, est accusée d’un dopage d’une ampleur industrielle, une partie de la presse française ne fait plus confiance aux coureurs «trop bons».

Lorsque l’on apprend en 2013 grâce aux révélations du dossier de l’Usada que Lance Armstrong était bel et bien dopé, l’information n’est présente dans presque aucun média nord-américain selon LeMonde.fr. Seul CNN international en fait sa une de rubrique. Ce genre d’événements contribue à raviver le spectre de 1998 et pousse chaque année des commentateurs à émettre des doutes quant aux performances de certains coureurs. Froome l’a déjà vécu en 2013, même chose pour l’italien Vincenzo Nibali l’année dernière. C’est un constante dans le Tour de France.

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