Patrick Swayze est mort, emportant son déhanché mythique avec lui. Mais il laisse à ses fans plus que quelques productions hollywoodiennes à succès et des souvenirs de sex appeal pour midinettes: il avait livré, avec Dirty Dancing (1987), un film véritablement féministe.
Pour ceux qui n'auraient jamais vu Dirty Dancing (pour vous rattraper, cliquez ici), voici un petit résumé: 1963, Frances, alias Bébé, arrive dans un Club med à l'américaine avec sa famille pour passer les vacances. Elle y rencontre Johnny (Patrick Swayze), dieu de la danse qui l'éblouit aussitôt, et qu'elle va éblouir aussi. Un peu moins tôt.
Qu'y a-t-il de féministe là-dedans?
Tout. D'abord Bébé est moche. Avec son nez proéminent et ses cheveux qui frisottent, elle n'est vraiment pas très attirante, et ne donne pas envie de s'identifier à elle. Faire d'une fille peu gracieuse l'héroïne d'une comédie romantique, c'est déjà souligner que ce n'est pas le physique qui compte. Thèse peu défendue dans les studios californiens.
Bébé est aussi intelligente. L'accent est mis dès le début du film sur son ambition de faire le bien, de sauver le monde (c'est quand même un film à l'Américaine, une touche de naïveté ne nuit pas). Elle suit à la fac des cours d'économie des pays en développement, ne s'intéresse pas comme sa soeur aux vêtements, au maquillage et aux apparences.
Son vrai prénom, Frances, vient de celui de Frances Perkins, secrétaire d'Etat au travail de 1933 à 1945, et surtout première femme à siéger au cabinet présidentiel aux Etats-Unis.
Sa sœur est d'ailleurs, par opposition, le personnage repoussoir. Très jolie, très attachée à son physique, Lisa est un personnage fort désagréable. Pensez: dès le début du film, elle se plaint de n'avoir emporté en vacances «que» dix paires de chaussures. Ça ne s'arrange par la suite: quand elle se décide de chanter, pour le spectacle du club, c'est «I feel pretty» (Je me sens jolie) qu'elle choisit.
Il y a bien une autre jolie fille, qui n'est pas odieuse, Penny, mais qui est bien naïve: elle tombe enceinte après avoir cru que l'un des serveurs du club, qui couche à droite à gauche sans discontinuer, s'était épris d'elle.
La question de l'avortement
Penny tombe enceinte donc, et veut se faire avorter. La question se pose d'ailleurs à peine, cet avortement est comme une évidence, et c'est déjà là une élément féministe de la narration. Mais c'est Bébé qui trouve l'argent pour cet avortement. Surtout, c'est elle qui permet à Penny de se rendre au rendez-vous en dansant à sa place lors d'un spectacle — avec Johnny comme partenaire.
Elle fait alors montre de son courage et de son fort tempérament en relevant le défi de devenir danseuse professionnelle en moins d'une semaine (qui a dit que le féminisme allait de paire avec le réalisme?). A peine Johnny déclare-t-il qu'elle ne pourrait y parvenir, la voilà à faire des entrechats pour démarrer l'exercice.
Alors que Bébé s'apprête à danser, Penny lui déclare son admiration. Bébé, dans une robe rouge qui la met au premier plan, la rassure sur l'opération à venir. Elle est, malgré son sobriquet, dans le rôle de la mère et de la personne en charge. Dans la séquence en question, Penny est d'ailleurs plus basse que Bébé, surélevée: symbole de sa position dans tout le film.
Si le spectacle se passe bien, l'avortement beaucoup moins. Encore une fois, Bébé trouve le courage d'aller chercher son père (médecin), et de lui demander de l'aide tout en sachant qu'il réprimandera cette affaire dans laquelle elle s'est impliquée. Elle résout encore une fois la situation puisque Penny est soignée.
Le cheval sauvage et la dompteuse
Les hommes du film contribuent aussi au féminisme de Dirty Dancing. Le père de Bébé, qui pendant la première moitié du film décide de tout, essaie de pousser sa fille dans les bras d'un jeune premier horripilant, parle à la place de sa femme, présente un visage assez conservateur. Mais au fur et à mesure, il laisse de plus en plus la parole aux personnages féminins, se repent lorsqu'il comprend qu'il a dénigré Johnny à tort. Et ce sont les femmes qui prennent le dessus puisque l'une des dernières apparitions de ce père se clôt par un «Reste assis, Jake» que lui adresse sa femme — et qui équivaut à un «Ferme-la, Jake».
Johnny (qui «court toujours après son destin comme un cheval sauvage», mythique non?) incarne un gigolo. Il l'explique à Bébé, soulignant que les femmes, dans sa vie, l'ont «utilisé». Ce n'est donc pas, pour une fois, la faible femme sauvée par un riche prince (comme dans Pretty Woman, qui ne sortira que trois ans plus tard, avec l'exquise Julia Roberts dans le rôle de la faible prostituée éplorée). C'est Bébé la sauveuse.
Soyons clair, Johnny n'est pas une chiffe molle pour autant: il est sexy, il a du caractère mais il n'a pas ce culte misogyne de la domination et laisse Bébé mener la danse. C'est elle qui vient le voir dans sa chambre, elle encore qui lui déclare sa flamme, elle surtout qui lui met la main aux fesses la première quand ils commencent une danse qui terminera dans un lit.
Johnny n'a pas non plus cette obsession de la violence si souvent revendiquée pour mettre en avant la virilité: lorsqu'il a l'occasion de mettre à terre celui qui a mis Penny enceinte — le prince charmant n'est jamais loin, il finit par lui déclarer: «tu n'en vaux pas la peine». Surtout, c'est un défenseur des femmes, avec cette réplique (tout aussi mythique que celle du cheval) dans les dernières minutes du film: «Nobody puts Baby in a corner» (Personne ne peut laisser Bébé dans un coin), qu'il prononce avant de l'attirer sur la scène pour une dernière danse.
Patrick Swayze, déjà atypique en ce qu'il était un acteur sans frasque et sans scandale, le fut aussi par ce rôle. Il s'en est donc allé, comme un cheval sauvage peut-être, mais un cheval sauvage féministe. Et il fallait pour cela — et pour son déhanché — lui rendre hommage.
Charlotte Pudlowski
Image de une: photo officiel du film Dirty Dancing