Le petit port de pêche cher à Bardot, Vadim et Sagan s’apprête à recevoir en juillet-août 6,2 millions de vacanciers, une statistique en augmentation de 4% par rapport à 2014. La crise larvée n’affecte pas le village peint par Signac et décrit par la grande Colette. Le mythe s’est enrichi du rêve bien vivant de séjourner sur la presqu’île varoise à l’environnement protégé: on ne construit rien, on restaure et on embellit –pas de béton envahissant.
Très apprécié des résidents à l’année, à peine 4.000, le maire, Jean-Pierre Tuveri, secondé par l’office du tourisme, a entrepris de promouvoir la cité du bailli de Suffren comme une marque mondiale de tourisme méditerranéen, durable et responsable. En 2014, plus de soixante opérations de promotion et de sensibilisation (workshop) ont été menées dans vingt-quatre pays par Claude Maniscalco, habile directeur du tourisme tropézien. Et ça paie.
Comme une multinationale de renommée mondiale
Le journal américain USA Today a désigné Saint-Tropez comme la destination la plus romantique du monde devant Bora Bora, Venise, Tahiti, Hawaï et Saint-Barth.
De plus, l’office du tourisme du village a reçu le prix de la meilleure gamme de supports imprimés: le magazine Pure Saint-Tropez, les brochures, les guides, les cartes… devant vingt-cinq grandes villes du globe, Val-Thorens en seconde position. La communication du port de pêche aux dizaines de yachts de luxe amarrés devant Sénéquier est conçue et mise en page comme pour une multinationale de renommée mondiale: le maire cherche à étendre la notoriété de Saint-Tropez à l’ensemble des métropoles et des pays développés. Et ça marche.
En pleine saison, l’été, les Français ne représentent que 15% de la clientèle vacancière et 30% au Château de la Messardière, leader. En tête, la clientèle en provenance des États-Unis, du Royaume-Uni, d’Italie, d’Allemagne, de Suisse, du Brésil… loin devant les vacanciers russes et des Émirats. En tout, quatre-vingt-cinq nationalités choisissent Saint-Tropez. Un véritable miracle économique.
Palaces légendaires et chers
Il reste à dire que les Français ne sont plus en mesure de s’offrir des séjours dans les grands hôtels de la cité, ils doivent se rabattre sur d’autres types d’hébergement: location de villas, d’appartements, de résidences, de villages vacances (VVF)…
Il faut consulter la capacité hôtelière de Saint-Tropez pour toucher du doigt la marginalisation de la clientèle française: trois hôtels palaces (248 chambres), quatorze hôtels cinq étoiles (539 chambres), neuf hôtels quatre étoiles (314 chambres), vingt-cinq hôtels trois étoiles (630 chambres) et un seul hôtel deux étoiles avec quinze chambres: les destinations de luxe (1.000 chambres) sont reines. Il n’y a que quatorze maisons d’hôtes, c’est peu, très peu.

Château de la Messardière, vue baie de Pampelonne | Château de la Messardière
Dans le haut de gamme, les tarifs hôteliers sont parmi les plus élevés de France, trois à quatre fois le prix d’une junior suite au Majestic de Cannes. Au Byblos, historiquement le premier palace légendaire de la cité, la suite (cinquante en tout) atteint 3 600 euros la nuit, l’Hôtel de Paris au centre du village, piscine sur le toit, est à 1 250 euros et trente-huit suites, la Résidence de la Pinède, cinq étoiles, à 2 450 euros, sept suites, le Yaca et Y, cinq étoiles, à 1 695 euros, quatre suites seulement, le Saint-Amour la Tartane, huit suites à 1 500 euros, le Mandala, une suite et un appartement à 3 000 euros, le White 1921 du groupe Moët Hennessy à 890 euros, trois suites… Bref, l’offre haut de gamme est bien là car du 14 juillet au 30 août, la demande croît de jour en jour : Saint-Tropez demeure le passage obligé des «rich and famous», des fous de la mer, du yachting et du «sunbathing».
Sur les plages de Ramatuelle, genre Tiki Beach, l’arrosage des baigneuses et des baigneurs au champagne Cristal Roederer n’a plus cours ou si peu: vers le 15 août, apothéose de la saison, délires de fêtards éméchés.
Arnaques sur le port
«Oui, il faut être riche pour s’offrir des vacances de rêve sur la presqu’île», souligne le patron de ce restaurant de poissons (frais) sur le port, envahi le soir par les badauds et les flâneurs des environs, ébahis par la parade des yachts immatriculés à Panama.
À Saint-Tropez, il y a ceux qui vivent sur leurs yachts (taxe de 600 euros la journée perçue par la municipalité), et il y a ceux qui les regardent, espérant être conviés à la fête de la nuit. L’arnaque sur le port est partout, trois boules de glace Berthillon à 18 euros, le prix d’un repas dans un village varois, le tartare de bœuf aux truffes d’été (sans goût) à 110 euros, le Saint-Pierre (frais?) à 45 euros… L’an dernier, un cuistot vendait des spaghettis bolognaise cuits dans le trou d’un mur: on croit défaillir.
Le prix des loups, Saint-Pierre, dorades et barbues est intouchable: seuls les intendants et cuisiniers des yachts immobiles viennent s’y approvisionner
Songez qu’il y a 800 boutiques à Saint-Tropez, les plus fameuses marques de mode sont implantées autour du port et place des Lices: Dior, Chanel ont des villas avec salons, réceptions et défilés. Il faut voir comment les fringues ont envahi les rues, pas seulement les sandales spartiates, une spécialité locale. La cité du Bailli est devenue un vestiaire permanent, un «décrochez-moi ça» intense qui donne le tournis. Trop c’est trop.
Au marché de la place des Lices, le mardi et le samedi, les étalages de bimbeloteries, de bracelets en plastique et autres robes d’été occupent les stands autrefois dévolus aux fruits et légumes, charcuteries et fromages locaux. «Il n’y a plus que deux paysans», indique Loïc de Saleneuve, producteur de fromages, de fruits, de confitures à Colobrière (Var). Désolant.
Au marché de poissons, tout près, le prix des loups, Saint-Pierre, dorades et barbues est intouchable: seuls les intendants et cuisiniers des yachts immobiles viennent s’y approvisionner. En croisière, on ne compte pas.
Orientation «show off»
Saint-Tropez, la capitale du veau d’or, fait vendre. 70% de la clientèle des hôtels, l’été, est étrangère. La blonde de Saint-Tropez? Une bière belge née grâce au savoir-faire de brasseurs de là-bas, dans l’esprit de Saint-Tropez –elle est entièrement naturelle et produit des royalties pour la cité. Dans les années 1980-1990, la Demoiselle de Saint-Tropez a été une marque de champagne, interdite par les autorités de défense du vin blond –mais pas la bière.

Vue extérieur du somptueux Byblos | Byblos
En 2014, la haute saison voit fleurir une ribambelle d’événements plus ou moins mondains qui traduisent l’orientation «show of» de la cité si aimée d’Eddie Barclay, créateur des Nuits blanches: le Rallye automobile des Princesses, la Giraglia Rolex Cup, une fameuse course au large reliant Saint-Tropez à Genève, l’exposition Ferrari sur le port, le Paradise Porsche, une exposition des bolides allemands, l’Euro Festival Harley Davidson place des Lices… Tout cela anime la cité pendant les deux mois chauds, hyper chargés.
La culture, la vraie, chère aux Tropéziens de souche, prend place dès le printemps grâce aux sept concerts organisés par Alexandre Durand-Viel, le violoniste Renaud Capuçon et le pianiste virtuose Michel Dalberto en 2015, parallèlement au Prix Littéraire annuel de la Messardière, dont le jury, présidé par l’académicien Jean-Marie Rouart, a couronné le roman autobiographique Échapper de Lionel Duroy (Éditions Julliard).
De ce point de vue, le grand événement de juin 2016 sera l’ouverture du Musée de la gendarmerie et du cinéma dans le bâtiment municipal qui a accueilli les célèbres gendarmes et Louis de Funès dans l’un de ses rôles majeurs. La municipalité fait feu de tout bois pour créer le buzz et attirer de nouvelles couches de clientèle, en dehors des vacances d’été.
Il reste que le souci majeur du maire et de ses administrés demeure «les ailes de la saison», c’est-à-dire que d’octobre à avril, la cité du Bailli redevient ce qu’elle était avant le boom des années 1970, un village paisible et endormi. Que faire?
Créer le buzz et attirer de nouvelles couches de clientèle, en dehors des vacances d’été
L’office du tourisme mise sur les Asiatiques qui fuient le soleil, les Chinois prospectés pour les décennies à venir, un singulier challenge. Il n’y a pas de congrès ni de séminaires dans la presqu’île aux yachts et aux milliardaires logés à l’écart, dans les Villas des Parcs: la vocation tropézienne l’été, c’est le farniente dans les «sun beds», le carpe diem, les virées en mer, les fêtes privées –une certaine idée du plaisir de vivre dans un village azuréen devenu une légende sans fin.
Sénéquier, une table de qualité
L’ancienne pâtisserie de Martin et Marie Sénéquier ouverte en 1887, devenue une adresse culte sur le port, temple de la tarte tropézienne (soixante ans), du milk shake, du nougat et du club sandwich (28 euros), a été rachetée en 2013 par un restaurateur parisien, Thierry Bourdoncle, aux multiples enseignes dans les bons quartiers de la capitale: la Palette à Saint-Germain-des-Prés, le Pub Saint-Germain –et il a eu la judicieuse idée d’installer une vraie carte de restaurant sous l’auvent rouge (cent couverts au dîner), face au défilé des yachts.

Le restaurant à l’auvent rouge racheté par Thirry Bourdoncle | Le Sénéquier
En cuisine, l’ancien chef du Ritz de Paris, Maurice Guillouët, élève de Joël Robuchon, a mis en place avec le cuisinier Thierry Devert, pilier de Sénéquier, un ensemble de plats méditerranéens: la daurade en carpaccio (39 euros), le pavé de loup à la plancha, basilic (44 euros), le tartare de bar à la coriandre et citron vert (42 euros), les pâtes aux truffes d’été (48 euros), le bœuf Paris-Bangkok épicé (49 euros), l’entrecôte du fameux boucher parisien Desnoyer, 800 grammes (135 euros pour deux ou trois personnes), le foie de veau épais (45 euros). Le soleil ne freine pas l’appétit des touristes.
Tout cela est copieux et mitonné avec un bon savoir-faire. Le client est respecté même si les prix ne sont pas donnés. Pêche Melba classique (21 euros) et glace vanille expresso (21 euros). Le service est piloté par le directeur Jean-Robert de la Cruz qui connaît le petit et le grand monde de Sénéquier revivifié, à l’aube d’une seconde vie active après une période de triste déclin.
Quai Jean Jaurès 83990 Saint-Tropez.
Tél.: 04 94 97 20 20.
Carte de 40 à 90 euros.
Hôtels et restaurants de bon rapport prix-plaisir
1.Le château de la MessardièreProduits et plats sudistes
Nichée sur les hauteurs du Village, sur une île verte de dix hectares de jardins arborés, l’ancienne demeure aristocratique de style kitsch vient d’être classée parmi les quinze meilleurs hôtels de luxe français. Loin de la foule des badauds, bénéficiant d’un site bucolique, la Messardière, patinée par le temps, reste un oasis de sérénité qui a affiché complet dès les premiers jours de juillet.
Le meilleur de Saint-Tropez est ici, dans ce château rénové
Si la fidélité des clients est exemplaire, c’est que ce palace à la façade jaune conjugue de nombreux atouts: la piscine turquoise chauffée, le SPA en sous-sol, la plage Tropezina dans le quartier du Pinet, navette gratuite, et les deux restaurants. Le premier en plein air, salade niçoise et rosé frais pour les déjeuners après les longueurs dans la piscine et le bronzage. L’autre table, l’Acacia, est réservé aux dîners élégants sur la magnifique terrasse, un balcon sur la campagne varoise dans la douceur de la nuit, un beau moment: le meilleur de Saint-Tropez est ici, dans ce château rénové.

Plat servi au restaurant de la Messardière | La Messardière
En cuisine, Alexandre Durand-Viel, le directeur général, un bienfaiteur cultivé de la cité du Bailli, a fait venir Pierrick Berthier, formé par Jenny Jacquet à Neuilly, prince de la truffe mélano, et par Charles Barrier, qui fut le grand trois étoiles de Tours. Ce chef d’expérience s’attache à privilégier les produits et les plats sudistes: l’aïgo boulido, la soupe de poissons à l’ail et sauge, jeunes légumes glacés (34 euros), les gambas sauvages et encornets poêlés à la crème d’ail, tempura de fleurs de courgettes (29 euros), le risotto «acquarello» à la truffe d’été (34 euros), le blanc de bar rôti en viennoise d’ail doux et asperges vertes (38 euros) et, rareté absolue, les poissons de pleine mer entiers, grillés, escortés de pommes de terre écrasées, jeunes pousses d’épinards (52 euros). Il devrait se passer des noix de Saint-Jacques venues des États-Unis.
Toutes ces réjouissances sont concoctées avec le jeu des saveurs et des goûts, le respect du produit de base, jolie découpe en salle du loup et des viandes.
Le bœuf est cuit au sautoir, toast de mœlle, ou grillé aux carottes (46 euros), le carré d’agneau de l’Aveyron est rôti au thym et petits légumes (48 euros). Aucun artifice décoratif, un style lisible, classique qui titille les papilles. Desserts de Thomas Civalleri: soufflé à l’abricot (22 euros), assiette tout chocolat (24 euros). Champagne Ruinart blanc de blancs au verre (25 euros).
2, route de Tahiti.
Tél.: 04 94 56 76 00.
Menus à 80 et 120 euros.
Au déjeuner, Caesar salade à 26 euros.
Chambres à partir de 600 euros.
2.Le ByblosCucina italiana
En dehors des chambres et suites à des tarifs terrifiants, parmi les plus somptueux de Saint-Tropez, Alain Ducasse supervise le Rivea at Byblos, une table très animée le soir de «cucina italiana» dont les plats de la Botte sont dressés avec doigté par Vincent Maillard: les hors-d’œuvre antipasti à partager, le pain à la tomate au lardo di Colonnata, le vitello tonnato coupé trop fin, les tranches de sériole marinées et le jambon Culatello, inégalable en France, comme la bresaola et la pissaladière (de 26 à 38 euros).
À ne pas négliger, les linguine aux palourdes (33 euros), les gnocchi à la sauge et parmesan (21 euros), les gamberoni, supions et raviolis au fenouil (35 euros), ainsi que les petits niçois farcis au moment (36 euros). Délicates fraises au naturel, sablé et crème glacée à la ricotta (17 euros). Assortiment de vins du Piémont à des prix humains. Singulière ambiance de bonne gaieté au dîner tardif, 180 couverts les grands soirs. De la restauration soignée en dépit de la pression des mangeurs.
Et aussi...
Une adresse célèbre à l’époque de Romy Schneider, l’art de vivre dans un quartier préservé.
5, rue des Remparts
Tél.: 04 94 97 02 53.
Menu à 35 euros. Chambres à partir de 350 euros.
Le premier hôtel de Saint-Tropez, du charme et des souvenirs. Cuisine de la Botte.
1, boulevard d’Aumale
Tél.: 04 94 55 81 00.
Carte de 56 à 99 euros. Chambres à partir de 400 euros.
En plein cœur du Village, un hôtel bien fréquenté par des fidèles qui ont leurs habitudes.
10, avenue Augustin Grangeon
Tél.: 04 94 97 28 28.
Chambres à partir de 400 euros.
Dans une petite rue, proche du port, un petit hôtel de dix clés, calme et repos.
17, impasse des Conquettes
Tél.: 04 94 97 05 31.
Chambres à partir de 250 euros.
Une belle bâtisse trois étoiles, bien située, sur la place des Lices.
34, boulevard Vasserot.
Tél.: 04 94 97 01 61.
Vingt-cinq chambres à partir de 280 euros.