Les hommes politiques français ne sont pas à l'abri d'un incident médiatique comme on a pu le voir lors des affaires Chatel au supermarché, la récente polémique Hortefeux ou le doigt égaré d'Eric Besson. Une faute d'un politique rapporté dans les médias permet de satisfaire le goût pour la mascarade de l'opinion publique, ce qui ne donne pas toujours de notre pays une image sérieuse. Dans le souci de contribuer à la bonne marche de la démocratie et d'aider les élus à mieux gérer leur communication, Slate propose sept règles de base que devraient observer les gouvernants dans la gestion de leur rapport avec le grand public. Précisons que si la plupart de nos hommes politiques les connaissent, nos lecteurs les apprécieront peut-être et pourront s'essayer à reconnaître les trucs de communication lors de leurs apparitions.
1. Ne jamais nier: le grand problème de notre époque, c'est la surinformation. Si autrefois il était possible à l'homme politique de nier en absence de témoins, il existe maintenant des yeux et des oreilles espions qui traînent partout et qui enregistrent, à coup de téléphone portable ou caméra de 12 méga pixels. Le clip a tôt fait de se retrouver sur le net et d'apporter une preuve accablante; l'homme politique perd de sa crédibilité et passe pour un menteur, ce qui n'est pas bien vu en politique. L'ex président Bill Clinton avait commis l'erreur de prétendre d'abord qu'il n'avait pas eu de relations sexuelles avec une stagiaire dodue de la Maison blanche. Les Américains, dans leur ensemble, lui en ont voulu plus pour avoir essayé de les berner que pour avoir fauté hors des sentiers du mariage. Comme l'homme politique mène une vie publique, il vaut mieux faire de son mieux pour être irréprochable dès qu'on franchit le pas de son domicile plutôt que de se croire incognito. On peut toutefois sortir de chez soi en charentaises, comme l'a prouvé Laurent Fabius avec succès: même si c'est une faute de goût, personne ne vous le reprochera et vous passerez pour proche du peuple. Au final, on peut toujours jouer sur le concept de vérité: dire la vérité, rien que la vérité mais pas forcément toute la vérité. Omettre quelques détails permet parfois de retourner une situation.
2. Détourner l'attention: si on se fait pincer dans une situation indélicate, il est toujours possible minimiser la gravité de l'incident en affirmant que des sujets plus importants devraient être à l'ordre du jour. «Pensez-vous vraiment que cela intéresse les Français? », est un argument massue que peut brandir l'homme politique lorsqu'il sent que son compte est bon. Et d'enchaîner sur des problèmes autrement plus graves en Afrique, sans compter le terrorisme, la grippe A ou encore la Crise. Par la suite, une bonne agence de relations publiques peut se charger de communiquer les sujets qui devraient être traités lors du 20 heures, selon les techniques en vigueur pour créer le phénomène dit de « Agenda setting ». Entre une guerre au Moyen-Orient et une indélicatesse d'un ministre, ne serait il pas honteux de s'intéresser à des galéjades? Allons, un peu de sérieux.
3. Citer des Grands hommes: quel argument plus définitif que d'affirmer que c'est que le Général de Gaulle aurait voulu? Ou qu'Einstein avait une excellente phase qui conviendrait parfaitement à la situation? En invoquant de grands esprits, on se nimbe de leur aura et on devient plus grand que la vie. Qu'importe que le plus souvent, la citation soit sortie de son contexte, approximative ou apocryphe. L'essentiel est de montrer que de grands anciens ont connu la même situation, et que l'on saura s'en inspirer pour se tirer d'un mauvais pas. « Il faut toujours citer de plus glorieux que sa personne, cela permet à l'homme de dépasser sa condition mortelle », avait coutume de dire Gandhi. Enfin, il aurait pu le dire. Certainement. Le candidat Sarkozy a bien cité Jaurès lors de sa campagne présidentielle, bien que ce dernier n'aurait sans doute pas approuvé l'intégralité des mesures d'un gouvernement de droite. Quant à la candidate Ségolène, elle a préféré citer « les Chinois », grand peuple s'il en est, qui considèrent que « Qui vient sur la Grande muraille, conquiert la bravitude ». A chacun ses références, l'important est de rester droit dans ses bottes.
4. Choisir le bon canal: le politique doit utiliser les médias, et non pas l'inverse. Jacques Chirac a été rendu sympathique en grande partie par les Guignols de l'info, et il n'a donc pas eu besoin de donner des causeries au coin de feu car une marionnette en latex le faisait pour lui. Lorsqu'une explication médiatique devient inévitable, il convient d'être proactif et de donner sa version des faits, de préférence sur une chaine de télévision hertzienne car YouTube n'est pas encore regardé par nos amis les seniors. L'homme politique, sur conseil d'un spécialiste de la communication expert en unité de bruit médiatique, choisira donc une émission où il aura les meilleures chances de convaincre le public sans être malmené par un animateur trop taquin. Les Michels restent des valeurs sûres : Drucker est toujours professionnel, avec une montée en puissance de Denisot, sans oublier toute une portée de petits nouveaux qui apparaissent prometteurs pour servir la soupe sans cracher dedans.
5. Bien expliquer les enjeux: le monde est déjà suffisamment compliqué pour ne pas en rajouter. L'homme politique aujourd'hui se doit de bien expliquer qu'on a le choix, mais qu'il faut faire le bon choix. Il est possible de truquer un peu la question, comme savent très bien le faire les instituts de sondage. « Préférez-vous la peste ou la grippe A ? » est une mauvaise question qui déstabilise la personne interrogée. « Préférez-vous voter pour un candidat qui prendra en compte la question sécuritaire ou alors souhaitez-vous que des bandits de grand chemin rôdent dans les villes en quête de méfaits à commettre et puissent un jour s'en prendre à vous et à tous ceux que vous aimez ? » est une bonne question. De la même façon, il est important de ne fournir que deux réponses, trop de choix tue le choix et il faut savoir recentrer les enjeux.
6. Rester vague: l'homme politique est sage, il sait donc que le futur est aléatoire. Il a donc pour cela inventé la langue de bois qui lui permet de continuer le travail des augures de l'Ancien temps (Note pour le politique : toujours le regretter même si on regarde l'avenir avec confiance). L'outil informatique permet maintenant de ne plus avoir à passer l'ENA et ses dangereuses questions sur le Danube, et de générer des phrases suffisamment floues pour ne rien promettre tout en apparaissant pleines de sens. En utilisant ce générateur de langue de bois, on obtient ainsi des phrases solides telles que: «Une puissante divergence locale se trouve déjà à l'étape avancée d'une valorisation plus généreuse des moins aisés». Un homme politique audacieux peut même combiner plusieurs techniques et avancer que ce sont les mots exacts de Napoléon lors de la révolte des Clercs. Que celui qui ne trouve pas les références exactes avoue son ignorance publiquement.
7. Moquer l'adversaire, flatter ses partisans: comme beaucoup d'électeurs ont tendance à considérer leur parti de la même manière qu'un club de foot, il est important de ne pas les oublier lorsqu'on parle du camp d'en face. En général, on inventera une taxinomie pour les adversaires, avec si possible un surnom mesquin mais comique pour leur chef qui fera toujours rire ses partisans aux universités d'été et aux kermesses. Créer une atmosphère de «saine émulation» permet de polariser les querelles, et de rappeler à l'occasion qu'en démocratie, il est plus important de se débarrasser de l'ennemi que de faire avancer la société. Par la suite, lorsque l'homme politique se fait prendre en flagrant délit, il lui est alors plus facile de crier au complot en accusant les «autres», et il sera chaudement soutenu par ses troupes qui préféreront croire qu'on leur en veut pour leurs idées plutôt qu'accepter que leur chef puisse être un coquin. La venue de «l'ennemi» sur ses terres peut être un grand moment de puissance audiovisuelle, comme ont pu l'éprouver récemment Frédéric Mitterrand et Eric Woerth à la fête de l'huma. Le territoire a été proprement marqué, et il y a fort à parier que l'ennemi ne s'y aventurera plus de sitôt.
Au final, on pourrait également conseiller de ne pas se faire prendre en fâcheuse posture. Cela paraît difficile à première vue, mais beaucoup d'hommes politiques ont réussi à ne jamais tomber sous les coups d'une opinion publique en colère. Leurs biographies existent dans toutes les bonnes librairies, il serait dommage de ne pas étudier ces leçons de vie. Et de citer à l'occasion ces Grands hommes passés à la postérité lorsque le besoin se fait. Voici une vraie (?) citation de Napoléon qui peut conclure à merveille ces quelques conseils : « Le peuple est le même partout. Quand on dore ses fers, il ne hait pas la servitude. » Du pain, des jeux, un peu de «com», et le tour est joué. Vraiment ?
(Pour en savoir plus : le Petit traité de propagande est toujours en vente dans les bonnes librairies)
Etienne Augé
Image de Une: Brice Hortefeux Robert Pratta / Reuters
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