Humpday (Magnolia Pictures) n'est peut-être pas encore le meilleur film que j'aie vu cette année —bien qu'il soit un bon prétendant au titre— mais c'est de loin le plus surprenant. A en lire l'intrigue (deux amis hétérosexuels s'entraînent l'un l'autre à tourner et interpréter un film porno gay), on pense savoir exactement à quoi s'attendre. De même qu'on pense savoir exactement comment le film a été vendu: Zack et Miri tournent un porno aura forcément été mentionné, de même que I love you, man [sorti en France le 29 juillet], et les noms de Jonah Hill et de Jude Apatow auront été glissés au moment opportun. Mais Humpday se démarque merveilleusement des comédies de mœurs sur l'homosexualité dont ces dernières années nous ont abreuvés. Ne se posant ni en réaction ni en critique face à cette vague hollywoodienne de «bromance» (ou d'amitiés amoureuses masculines), c'est un film à part intelligent et pétillant où il est question d'amitié, de mariage, d'identité sexuelle et d'art.
Séquence d'ouverture : Ben (Mark Duplass), urbaniste dans les transports à Seattle, est au lit avec sa femme, Anna (Alycia Delmore). Tous deux semblent filer le parfait amour, mais la routine conjugale se devine à quelques détails. La caméra s'attarde juste un peu trop sur l'alliance de Ben et, quand mari et femme reconnaissent qu'ils sont trop fatigués pour faire l'amour, c'est avec un gloussement de soulagement. Alors qu'ils plongent dans le sommeil, la sonnerie de la porte retentit. C'est Andrew (Joshua Leonard), meilleur pote de Ben à l'université, bourlingueur bohème qui n'hésite pas à débarquer chez les gens sans prévenir à deux heures du matin. Logé au sous-sol pendant quelques jours, cet ami extraverti mettra la patience d'Anna à l'épreuve et replongera Ben dans une période de sa vie plus rocambolesque.
Andrew traîne donc Ben à une fête organisée par un couple de lesbiennes où, après quelques pétards et verres de vins, la discussion s'engage sur Hump!, un festival de films pornographiques amateurs organisé chaque année à Seattle par le journal The Stranger. (Vous avez jusqu'au 21 septembre pour vous inscrire à l'édition 2009 de ce festival qui existe vraiment.) Dopés au THC et à l'esprit bravache, Ben et Andrew mettent au point leur concept: se filmer dans une chambre d'hôtel en train de faire l'amour. Le résultat sera du «gay transcendé», comprenne qui pourra, et pour des raisons qui échappent à Ben comme à Andrew, ce film constituera en même temps un acte d'expression créatrice et un défi dont ils sortiront plus forts.
Alors que le grand jour approche, les deux compères tentent tour à tour de se défiler et de se motiver, tout en faisant des ronds de jambes élaborés pour annoncer la chose à Anna. C'est un film bavard, mais aux dialogues (en partie improvisés) superbement ciselés. La réalisatrice, Lynn Shelton (qui joue un rôle secondaire mais déterminant en la personne de l'hôtesse de la fête) parvient à inscrire son intrigue dans un cadre on ne peut plus réaliste. Si les motivations de Ben et Andrew, nombrilistes jusqu'à l'absurde, prêtent parfois à rire, leurs personnages ne sont pas l'objet de satire. Ce ne sont pas des homophobes ignares horrifiés à l'idée de l'intimité masculine, ni les mecs post-modernes super ouverts qu'ils aimeraient croire. Quand le jour fatidique arrive donc... Je ne révélerai pas ce qu'il se passe physiquement entre les deux hommes, mais je peux dire que la scène s'accompagne d'un dialogue hilarant, mémorable et tout à fait inattendu.
Humpday est tourné dans le style relâché et semi-improvisé associé au terme irritant de «mumblecore» (ce terme [issu de mumble, soit marmonner] m'irrite car, en plus d'être condescendant, il est impropre: loin d'être des marmonneurs de première, les protagonistes de ces films sont en général les représentants d'une classe moyenne cultivée et structurée à l'excès). Film intimiste à trois voix, Humpday repose entièrement sur la synergie entre les acteurs, qui démontrent tous un jeu remarquable. Joshua Leonard, qui aurait facilement pu faire tomber le personnage d'Andrew dans la caricature du noceur impénitent, nous donne à voir un type désarmant de fragilité. Dans le rôle de Ben, Mark Duplass, qui est aussi réalisateur (The Puffy Chair, Baghead) interprète sans fausse note le genre de personne frustrée qu'on a tous connue (ou été) un jour ou l'autre, et Alycia Delmore se distingue joliment dans le rôle a priori ingrat de l'épouse excédée et à côté de la plaque. Humpday m'a donné envie d'appeler ma meilleure amie pour, peut-être pas faire un film avec elle (du moins, pas de ce genre) mais la convaincre de ne pas rater celui-ci.
Dana Stevens
Article traduit par Chloé Leleu
Image de une: Humpday, image officielle du film