Parler de capitulation pour la Grèce après les dernières propositions remises par le gouvernement d’Alexis Tsipras le 9 juillet, procède d’une abusive approche réductrice et binaire. Et c’est une provocation dangereuse et inutile pour tout un peuple et un gouvernement qui ont eu raison de défendre leurs intérêts, mais doivent aussi reconnaître les règles qui régissent la communauté des dix-neuf membres de la zone euro s’ils veulent en faire partie. Ce qu’ils ont réaffirmé.
Capitulation: ce commentaire laisse supposer qu’il y aurait un vainqueur – les créanciers – et un vaincu – la Grèce. Il n’en est rien. Le nouveau plan proposé s’inscrit dans le cadre d’un compromis, avec des concessions de toutes les parties. Comme dans toute négociation. En l’occurrence, celle-ci aura été menée jusqu’à son extrême limite. Mais pour conclure, il faut que les parties se fassent confiance. Or après les rebondissements à l’initiative de la Grèce et les promesses non tenues dans le passé, cette confiance ne semble pas suffisamment rétablie chez les interlocuteurs d’Athènes.
Le maintien dans l’euro serait une victoire pour tous
On ne doit pas s’étonner de la dramatisation qui aura présidé à l’élaboration de ce compromis. C’est le principe de toute négociation. Quand l’enjeu est important, l’intensité est plus élevée. Là, il s’agissait de l’avenir de la Grèce! Et le mandat donné par deux fois à Alexis Tsipras par les électeurs grecs impliquait que son gouvernement aille le plus loin possible dans l’élaboration d’une position commune, fût-ce au prix d’un véritable psychodrame européen.
Si, une fois arrivée à ce stade, la Grèce pouvait rester dans l’euro, alors il n’y aurait pas de vaincu. Car c’est ce que souhaite la majorité du peuple grec, et Alexis Tsipras s’est d’ailleurs bien gardé de poser la question d’une sortie ou non de la zone euro à l’occasion du référendum du 5 juillet. Une sortie de la zone euro infligerait aux Grecs une double peine: d’abord celle de devoir redresser l’économie et de réformer la Grèce, ensuite de devoir le faire avec une monnaie dévaluée qui renchérirait les importations, dégraderait les conditions de vie et compliquerait les moyens d’un redressement.
La réforme de l’Etat et le redressement économique seraient moins durs pour les Grecs sans «Grexit». Vaincus, les Grecs le seraient si la seule issue possible était une sortie de la zone euro. Mais vaincue, l’Union européenne le serait aussi si elle se révélait incapable de donner à l’un de ses membres les moyens de rester dans la communauté. Le maintien de la Grèce dans la zone euro constituerait au contraire une victoire pour Athènes comme pour l’Union. Encore faut-il faire émerger le compromis.
Standard européens
De nombreuses propositions présentées par le gouvernement grec au Mécanisme européen de stabilité (MES) sont en fait des remises en cause des dérogations non justifiées dont profitent certains acteurs économiques grecs comme les armateurs ou les exploitants touristiques… à travers des taux réduits de TVA ou une fiscalité qui s’apparente pour certains à des privilèges hérités d’une époque révolue. Par exemple, un alignement du taux de TVA sur certaines îles dont la valeur ajoutée touristique ne provient pas de pratiques commerciales low cost mais de leurs richesses culturelles et du climat, tient plus de l’équité que du sacrifice.
Même chose pour les activités maritimes, avec une caste d’armateurs qui ne doit pas compter que sur la complaisance pour consolider sa prospérité. Même chose aussi pour l’impôt sur les sociétés qui restera moins élevé qu’en France.
La lutte contre l’évasion fiscale? Toute l’Europe s’y est engagée. Dans les propositions Tsipras, la Grèce ne fait rien d’autre que de s’aligner sur les politiques de ses partenaires. La collecte de l’impôt? Là encore, il s’agit seulement d’une mise à niveau de ce qui se pratique ailleurs, souvent à plus haute échelle que ce qui est réclamé à la Grèce. C’est une question d’équité. Un parti de la gauche radicale tel que Syriza ne devrait pas cautionner le clientélisme induit par les anciennes pratiques.
La Grèce rechigne-t-elle à mener des privatisations? Il ne s’agit que de se soumettre au même régime que la plupart des autres membres de l’Union européenne. La Grèce, qui avait un programme de privatisations, n’eut de cesse de revoir ses objectifs à la baisse. Aujourd’hui, elles semblent relancées. On peut être idéologiquement contre, mais on ne peut demander l’assistance de partenaires sans s’engager soi-même lorsqu’on dispose ainsi d’actifs à vendre. D’autant que des cessions sous forme de concessions sont possibles comme pour le port du Pirée, qui permettent d’envisager un retour ultérieur des actifs cédés dans la sphère publique. Il ne s’agit pas de dépecer la Grèce, mais d’envoyer des signaux aux partenaires sur la volonté de redressement.
Le recul de l’âge de la retraite? Il est de rigueur partout en Europe, compte tenu des nouveaux équilibres économiques induits par l’augmentation de l’espérance de vie et la démographie. Et l’âge de départ en retraite ne serait pas plus pénalisant qu’il ne l’est en France. Une modulation du niveau des retraites? C’est également le cas dans d’autres pays (à commencer par la France avec le gel des retraites complémentaires, par exemple).
Athènes fait évoluer l’Europe et ses institutions
Le gouvernement Tsipras n’a pas capitulé, mais il a rapproché la Grèce de standards européens. Et en acceptant de se réformer, la Grèce recevrait des compensations puisque le nouveau plan prévoirait une aide de plusieurs dizaines de milliards d’euros: pas loin de 90 milliards d’euros si l’on additionne les aides pour faire face aux obligations liées à la dette et celles qui doivent soutenir la croissance. Sans parler des aides déjà versées à l’occasion des précédents plans de relance.
On rétorquera que les Grecs n’ont pas profité des précédentes aides, et n’ont eu que l’austérité en échange. Certes, le pays fut mal géré et les réformes ne furent pas menées. Mais qu’auraient dit les citoyens de ce pays si les gouvernements de l’époque avaient été placés sous tutelle européenne pour remplir leurs obligations…
En outre, le dossier grec ne va pas s'arrêter là. On va reparler de la dette, de sa restructuration, et il y a fort à parier que le sujet ne sera pas analysé demain comme il l'était hier. Le sujet n’est plus tabou. Le FMI a changé de doctrine, des prix Nobel d’économie et des institutions réclament de ne plus lutter contre la dette par l’austérité. Ce qui montre que Tsipras a fait progresser ses interlocuteurs dans sa direction.
Il ne s’agit pas de valider toutes les dérives budgétaires, mais de réviser la position du curseur des économies à réaliser pour ne pas étouffer la relance. Une partie de la dette initiale (la moitié) a déjà été effacée en 2012. Tsipras réclame 30% supplémentaires. Athènes aura amené ses interlocuteurs – Commission européenne, BCE et FMI - à reconsidérer leur position. Vous avez dit capitulation? Ce n’est pas l’avis des tenants de l’orthodoxie budgétaire, avec à leur tête le ministre allemand des Finances qui juge les propositions grecques «loin d’être suffisantes».
Le Parlement grec a apporté sa caution au plan d’Alexis Tsipras. Syrisa, son parti, aura dû revoir ses ambitions. Immanquablement, des dissensions sont apparues dans la majorité parlementaire. Mais entre un programme électoral à dimension nationale qui promet plus qu’il ne peut tenir et une négociation à l’échelle européenne pour obtenir des aides, il existe de nécessaires adaptations. C’est le rôle du politique de proposer une vision et d’indiquer la voie, c’est aussi le sien de savoir évaluer les principes de réalité pour progresser dans cette direction plutôt que de se placer dans une impasse.
Encore faut-il convaincre maintenant les dix-huit autres membres de la zone euro de la sincérité des engagements grecs. Mais quelle que soit l’issue finale, l’Europe elle-même n’échappera pas à une remise en question pour faire évoluer un mode de gouvernance qui, de toute évidence, a montré une nouvelle fois ses limites.