A voir la couverture par les médias de la Bill & Melinda Gates Foundation, on pourrait estimer que tout le monde l’adore. Au contraire des soupçons qui accompagnent pafois les œuvres philanthropiques, Bill et Melinda Gates sont présentés «comme les êtres les plus généreux ayant jamais existé» souligne Vox.
Mais si on prend la peine d’échapper aux clichés, à l’étalage facile de bons sentiments et à la volonté de ne pas compromettre des financements considérables, la réalité est tout autre. De nombreux experts, économistes, spécialistes du développement, de la médecine, sont en fait très sceptiques et critiques sur les objectifs, les méthodes et les résultats des campagnes menées par la fondation Bill & Melinda Gates et sur son impact sur les questions de santé dans le monde.
Intouchable et incontrôlable
Certains chercheurs vont plus loin et dénoncent le manque total de transparence de la fondation, son pouvoir de veto sur le financement et l’existence même de nombreux organismes internationaux de santé et sur les priorités de ses dépenses.
La fondation est devenue si importante et si puissante qu’elle est intouchable. Il est devenu presque impossible de la critiquer ou tout simplement de s’interroger sur son efficacité et sa stratégie. Et pourtant son poids est tel dans la santé mondiale que cela est d’autant plus nécessaire.
La fondation Bill & Melinda Gates est la plus importante organisation philanthropique au monde avec des ressources qui atteignent 42,9 milliards de dollars, le double du Pib de l’Ouganda… A la date d’aujourd’hui, la fondation a versé 33,5 milliards de dollars pour faire des choses allant de dessiner de meilleures capotes anglaises à développer de nouvelles technologies d’épuration d’eau.
Plus de moyens que l'OMS
La fondation a joué un rôle majeur dans la mise en place de la GAVI Alliance, qui œuvre de façon considérable pour augmenter l’immunisation dans le monde contre les grandes maladies. Elle a aidé à la création en 2007 de l’Institute of Health Metrics and Evaluation qui est la première source de statistiques dans le monde sur la santé et sur l’évaluation de l’impact des programmes de vaccination… de la fondation. La fondation a distribué des milliards pour combattre le Sida, la tuberculose, la malaria et pour améliorer la santé des mères et réduire la mortalité infantile.
La fondation dépense plus chaque année que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et que la plupart des pays dans le monde pour la santé. La fondation est le deuxième financier de l’OMS après les Etats-Unis et un contributeur majeur de plusieurs agences de l’ONU, de la Banque Mondiale et des principaux acteurs de la santé dans le monde comme le Global Fund qui finance des traitements contre les maladies infectieuses.
«Vous avez des fondations avec des actifs plus importants que 70% des nations du monde qui prennent des décisions sur les politiques publiques et les priorités publiques sans aucune discussion publique et sans aucun processus politique» explique dans Nature Pablo Eisenberg du Georgetown Public Policy Institute.
Organisation privée, la fondation Gates ne rend des comptes qu’à ses trois administrateurs: Bill, Melinda, et Warren Buffett. «Le premier principe de la fondation est qu’elle est menée par les intérêts et les passions de la famille Gates», explique The Lancet. «Est-ce que ce type de gouvernance est suffisamment bon?» La sociologue de l’Université d’Essex, Linsey McGoey, a étudié la fondation. Quand on l’interroge sur les résultats obtenus, elle répond «honnêtement, je ne sais pas. Et c’est ce qui est inquiétant…».
Des choix contestables, des caprices
En 2008, deux chercheurs de l’Université d’Oxford estimaient dans The Lancet que la fondation Gates «finance mal la santé mondiale» fournissant la plupart de ses financements aux pays riches et en donnant la priorité aux maladies infectieuses au détriment des tueurs chroniques comme l’obésité, le diabète, le cancer.
Les autres reproches faits à la fondation sont d’accorder trop d’importance aux médicaments et aux vaccins et pas à une tâche plus ingrate et plus efficace qui est de renforcer les systèmes de santé des pays pauvres. L’épidémie de virus Ebola qui s’est répandue dans les pays qui avaient les systèmes d’alerte et de santé les moins efficaces démontre que la qualité des infrastructures de santé est essentielle et devrait être une priorité.
Mais ces critiques ont peu d’écho. Sophie Harman, une universitaire de la Queen Mary University de Londres, souligne combien les critiques contre la fondation sont peu nombreuses et inaudibles. «Toute le monde a peur de mettre en cause le rôle des Gates et de la fondation parce qu’ils ne veulent pas perdre leurs financements…».