Économie / Monde

La Grèce humiliée par ses créanciers? C'est une fable

Temps de lecture : 6 min

Le gouvernement Tsipras entretient l’idée d’un pays victime d’un chantage de la part de l’Europe, Allemagne en tête. Un discours assez éloigné de la réalité.

REUTERS/Kai Pfaffenbach.
REUTERS/Kai Pfaffenbach.

D’un point de vue strictement économique, le texte sur lequel les électeurs grecs vont devoir se prononcer le 5 juillet n’est pas enthousiasmant: on ne relance pas une économie en l’obligeant à procéder à de nouvelles ponctions fiscales et à comprimer les dépenses publiques. Mais la réalité grecque ne prête guère à l’enthousiasme et, en interrompant brutalement le processus de négociation, Alexis Tsipras complique encore un peu plus la situation: tant qu’une discussion n’est pas terminée, des arrangements nouveaux peuvent encore être trouvés; ensuite, une fois le texte adopté, on peut convenir de rendez-vous réguliers pour vérifier si le texte est effectivement appliqué et si les résultats obtenus sont satisfaisants; si des aménagements s’imposent, les dispositions les plus contestables peuvent être modifiées ou abrogées. Bref, la remise à flot d’un pays est un travail de longue haleine et un accord entre «adultes», comme dirait Christine Lagarde au FMI, n’est pas immuable.

De ce point de vue, il y a des précédents. La France est bien placée pour en juger, elle qui a obtenu à plusieurs reprises des délais pour rétablir sa situation budgétaire. Depuis le début de la crise financière, en 2008, les Européens ont été amenés à reconsidérer leur politique à plusieurs reprises. Même les dirigeants allemands, réputés pour leur orthodoxie financière, ont considérablement assoupli leur position au fil des années. C’est d’ailleurs une des caractéristiques de la méthode Merkel: intransigeante sur les principes, mais capable de s’adapter aux réalités.

Qui est le maître chanteur?

Alexis Tsipras, avec son idée de référendum, compromet la poursuite de ce processus. Si la réponse est «non», comme il le souhaite, ses partenaires risquent fort de se raidir face à ce coup de force: ce sont eux qui vont se sentir victimes d’un chantage et ils vont être tentés de laisser la Grèce se débrouiller seule, hors de la zone euro. Si le «oui» l’emporte, il y a encore une chance de trouver un accord, mais on voit mal le gouvernement Tsipras le négocier, comme il prétend le faire quelle que soit la réponse au référendum; il faudra de nouvelles élections et beaucoup de temps aura été perdu inutilement.

Ce serait d’autant plus stupide qu’Alexis Tsipras, moins de 24 heures avant d’annoncer son référendum, semblait penser qu’un accord était possible sous réserve de quelques modifications. Ce qui semble démontrer que le projet, tel qu’il se présentait le 25 juin, n’était pas aussi scandaleusement humiliant pour la Grèce que cela n’est dit aujourd’hui. De fait, si l’on regarde de près ce texte, on constate qu’il comporte beaucoup d’éléments très positifs et que les obstacles qui restaient à franchir n’étaient sans doute pas insurmontables.

Conforme au programme Syriza sur beaucoup de points

Pour l’essentiel, en effet, ce recensement des tâches prioritaires à accomplir porte sur l’amélioration du fonctionnement de l’Etat; est d’abord concernée l’administration fiscale –de façon à faire rentrer l’argent des impôts de façon équitable, en supprimant une foule d’exemptions–, mais aussi la justice pour renforcer la lutte contre la corruption. De même, il est prévu de mieux encadrer le marché du travail pour lutter contre l’économie souterraine, préserver la compétitivité des entreprises déclarées, protéger les droits des travailleurs et assurer la rentrée des impôts et cotisations sociales. Sur tous ces sujets, il ne saurait être question d’accuser la Commission européenne, la BCE et le FMI d’ingérence dans les affaires intérieures du pays et d’exigences insupportables: ils figuraient dans le programme électoral du parti Syriza.

Il faut d’ailleurs souligner que si le gouvernement Tsipras juge les propositions européennes «à la limite de l’insulte», selon une expression employée par son ministre des Finances Yanis Varoufakis, les autres Européens, de leur côté, ont été très déçus de voir le peu d’intérêt pour ces problèmes de bonne gouvernance administrative et économique manifesté par les dirigeants grecs alors que, soulignait Benoit Coeuré, membre du directoire de la BCE, dans Les Echos le 30 juin, tout laissait penser que ce gouvernement serait «très engagé dans la lutte contre les rentes».

Le sujet qui fâche : les impôts

En fait, tout le débat porte sur quelques points sensibles. Le premier est celui de la TVA, sur lequel Alexis Tsipras a fait des concessions qu’il semble regretter car elles sont peu populaires. La norme sera un taux normal de 23%, avec un taux réduit de 13% et un taux super-réduit de 6%, avec la fin du régime particulier pour les îles. Le sujet qui fâche le plus est celui de la TVA applicable au tourisme. L’inquiétude grecque est compréhensible: compte tenu de l’importance de cette activité pour le pays (de l’ordre de 15% du PIB), il est important que le secteur reste compétitif face aux autres pays méditerranéens. Précisons toutefois que si la restauration doit être taxée à 23% à partir de cet été, il a été finalement accordé à la Grèce que le taux réduit puisse être appliqué à l’hôtellerie, ce qui ne représente qu’un écart de 3 points avec la France, l’Espagne ou l’Italie.

Si l’on regarde dans le détail, on peut trouver d’autres dispositions qui peuvent déplaire, comme la fin des subventions aux agriculteurs pour l’achat de carburant. Au total, ces seules considérations fiscales pourraient inciter un certain nombre de professions à se mobiliser autour du «non». Quand on demande à des électeurs s’ils sont d’accord pour qu’on augmente leurs impôts, on risque fort (ou on a des chances non négligeables, du point de vue de Tsipras) d’obtenir un refus…

Parmi les autres mesures peu populaires figure également la limitation des départs en préretraite et la suppression progressive d’ici à 2019 d’une prime pour les petites retraites. Là encore, le gouvernement Tsipras a obtenu des aménagements par rapport aux propositions initiales, mais ceux-ci risquent d’être jugés insuffisants par les principaux intéressés.

Une politique budgétaire soutenable?

Pour le reste, l’élément essentiel est le calendrier des ajustements budgétaires à effectuer, avec des excédents primaires (écart entre les recettes et les dépenses, hors service de la dette) de respectivement 1%, 2%, 3% et 3,5% pour les années 2015, 2016, 2017 et 2018. C’est effectivement très lourd et contraignant, mais, sur ce point aussi, la Grèce a obtenu des aménagements substantiels par rapport au projet initial. Il y a bien eu négociation, et non pas imposition d’un diktat.

Cette politique budgétaire stricte est-elle soutenable et compatible avec le retour de la croissance? C’est évidemment la grande question. Mais qu’on l’appelle austérité ou rigueur, la Grèce ne peut éviter un programme de désendettement et on aborde là la deuxième partie de la question qui va être posée aux électeurs:

«Acceptez-vous le projet d’accord soumis par la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international lors de l’Eurogroupe du 25/06/2015 et composé de deux parties, qui constitue leur proposition unifiée? Le premier document est intitulé "Réformes pour la réussite du programme actuel et au-delà" et le second "Analyse préliminaire de la soutenabilité de la dette".»

Une dette très lourde... mais déjà substantiellement allégée

Sur la soutenabilité de la dette, un document publié par le FMI le 2 juillet est très clair: la Grèce aura besoin d'une restructuration importante de sa dette, par le biais d’une prolongation «significative» des prêts consentis par les Européens et de nouveaux prêts à faibles taux d'intérêt, voire de l'annulation d'une partie importante de cette dette si certaines réformes ne sont pas mises en œuvre. Les Européens en sont conscients: il a toujours été dit, même si ce n’est pas écrit noir sur blanc dans le projet d’accord, que ce serait l’objet d’une discussion cet automne à l’issue des négociations en cours.

Il ne faut cependant pas oublier que beaucoup a déjà été fait: avec les deux plans d’aide de 2010 et 2011, la Grèce a obtenu le transfert de l’essentiel de sa dette du secteur privé au public (Etats européens, Fonds européen de stabilité financière, BCE, FMI) et l’annulation de 107 milliards d’euros de dette portée par les banques et les fonds d’investissement. A court terme, elle doit trouver à refinancer les prêts du FMI et les obligations détenues par la BCE arrivant à l’échéance, mais, soulignent Christian Parisot et Jean-Louis Mourier, économistes à Aurel BGC, «la maturité moyenne pondérée des prêts de la zone euro à la Grèce est de 32,5 ans et aucun intérêt ou principal n’est dû avant 2023»! De surcroît, ajoutent ces économistes, la Grèce s’est refinancée auprès du Mécanisme européen de stabilité (le MES, qui a succédé le 1er juillet 2013 au FESF, Fonds européen de stabilité financière) au taux de 1,35%, alors que le FMI lui prête à 3,6%.

Il sera sans doute inévitable de reporter les échéances et d’abaisser encore les conditions de crédit, mais dire que l’Europe étrangle la Grèce est un mensonge pur et simple. L’Italie et l’Espagne, par exemple, doivent faire face aujourd’hui à une charge de la dette plus importante qu’elle.

Un autre mensonge consiste à faire croire au peuple grec que s’il vote «non», son gouvernement sera plus fort pour discuter avec les «institutions». Peut-être nos amis grecs vivent-ils encore sous le charme d’Ulysse, «le beau menteur». Malheureusement, là, on n’est pas dans la mythologie, mais dans le réel. Et il est toujours dangereux de refuser de voir la réalité.

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