S'il n'est pas repris dans les prochains jours ou les prochaines semaines, Jean-Pierre Treiber, qui s'est évadé, le 8 septembre, de la prison d'Auxerre, est en passe de devenir un héros de légende - même maudite. Essentiellement pour la capacité qui est prêtée au meurtrier présumé, en 2004, de deux jeunes femmes, dont la fille du comédien Roland Giraud, à pouvoir échapper, au plus profond des forêts de l'Yonne, à ses poursuivants, plusieurs dizaines de gendarmes mobiles, guidés par des maîtres-chiens, appuyés par des hélicoptères, les uns et les autres mobilisés par le plan Milan de recherche de fuyards.
Déjà, lors de l'enquête sur le double crime, policiers et commentateurs avaient insisté sur la personnalité d'«homme des bois» du principal suspect de l'affaire. Quadragénaire robuste, ancien garde forestier, Jean-Pierre Treiber était décrit comme un familier de la nature, mutique et solitaire, expert à se fondre dans un environnement sauvage. Dès l'alerte de son évasion, un dispositif très important s'est mis en place, preuve que les pouvoirs publics prenaient au sérieux cette compétence à se cacher et à s'éloigner sans se faire voir. Huit jours après sa disparition de la prison d'Auxerre, dissimulé dans un carton qu'un camion a emporté, l'ex-détenu demeure introuvable. Les gendarmes déplorent l'étendue des surfaces boisées jouxtant la route suivie par le véhicule. Des milliers d'hectares d'ombrages feuillus qui s'enchaînent jusqu'à former une suite de forêts sur plusieurs centaines de kilomètres, vers l'est.
Dès lors, renaît une question, posée à chaque évasion qui frappe les esprits: un homme peut-il tenir longtemps en milieu naturel alors qu'il est poursuivi, cerné par des rabatteurs méthodiques et bien équipés? Des experts sont interrogés par la presse, souvent eux-mêmes gardes forestiers. Jean-Pierre Treiber peut-il trouver de la nourriture sans s'approcher de maisons, même isolées? Peut-il garder ses forces, en se terrant ou en marchant, la nuit, avec les températures qui baissent fortement en ce mois de septembre? Est-il seulement toujours dans les bois, ou bien a-t-il leurré ses poursuivants, au contraire de sa réputation, en filant droit sur une ville, un train, une gare routière, dans les premières heures de son échappée belle?
Un homme entraîné
Bien des réponses entendues, ces jours derniers, distinguent l'ex prisonnier d'Auxerre. Il sait braconner, poser des collets, faire du feu sans que les flammes se voient de loin. Il a sans doute emporté des vivres, et sait se rationner. Un homme entraîné, qui a habitué toute son existence sa vision à l'obscurité, peut courir vingt kilomètres, du coucher au lever du soleil, empruntant même le cours des ruisseaux rencontrés pour perdre les chiens, éventuellement lancés sur sa trace. Depuis des décennies, les gendarmes voient leurs chasses à l'homme rendues plus aisées par le fait que la plupart des détenus évadés sont des urbains ou des péri-urbains, sans expérience de la nature. Ils se font prendre plus vite, se découvrent pour s'alimenter, ou se rassurer, au milieu des zones de plus forte densité humaine.
Cette fois, la traque est plus compliquée. Les premières heures de sa cavale, le 8 septembre et les jours suivants, donnent un avantage à Jean-Pierre Treiber. Au moins une forme d'égalité de chances. Mais il n'en va pas de même pour les semaines, les mois qui vont suivre, et au-delà. Les enquêteurs et l'administration pénitentiaire se tranquillisent du fait que leur fuyard n'est pas un délinquant professionnel. Même si un autre détenu de la prison d'Auxerre est suspecté d'avoir aidé celui-ci à se cacher dans le carton, peut-être dans le camion, il passe pour un détenu sans complices. En tous cas à l'extérieur.
Des policiers expliquent qu'à moins de s'organiser effectivement une vie d'homme des bois pour longtemps, avec le risque d'être tout de même repéré un jour par des promeneurs ou des chasseurs, et de devoir reprendre sa course précipitamment, toute solution d'éloignement de la zone d'évasion nécessite assistance et moyens financiers. Ce dont, en principe, l'ex garde forestier est dénué. Les grandes cavales, celles qui durent, exigent la plupart du temps de quitter le territoire national. Tanger, après-guerre, l'Espagne et l'Italie puis le Mexique et l'Amérique du Sud, plus récemment, ont marqué l'histoire des évasions réussies. Les policiers précisent: provisoirement réussies. Car leur expérience témoigne de la victoire de la loi, sur le long terme, dans une très grande majorité des cas.
Exil
Un jour, les exilés commettent une erreur de débutant, ou bien ils craquent, fatigués de l'errance, nostalgiques de leur famille ou de la France; ils reviennent; où ils sont toujours attendus. Ou alors des enquêtes internationales sur la drogue ou les filières d'anciens nazis, des échanges d'informations entre pays, même de routine, les ramènent dans leurs filets, parfois par inadvertance.
Des générations de policiers et de gendarmes patientent aussi, entêtés, même bien après la prescription des procès pour contumace. François Besse, par exemple, l'ex-complice de cavale de Jacques Mesrine, a fini par se faire reprendre, après avoir forcé l'admiration de tous ses poursuivants, en Espagne et en France, pour ses dons d'homme invisible. Il n'avait jamais tué, et certains, même au sein de l'appareil judiciaire, estimaient qu'il avait peut-être gagné un droit à l'oubli. Mais la traque a sa logique, ses saisons froides et ses saisons chaudes, les chasseurs ont la passion de la chasse, et François Besse, devenu père, avait voulu visiter son enfant au Maroc...
D'autres sont localisés, on les garde à l'œil, comme si rien ne pressait. L'appareil répressif ne se réactive parfois que juste avant la clôture du délai de prescription. Ainsi Hélène Castel, ex-sympathisante du mouvement Action directe, qui avait participé à un braquage, rue Lafayette, à Paris, le 30 mai 1980. Jugée en 1984 par contumace, condamnée à une peine de réclusion criminelle à perpétuité, cette jeune femme avait réussi à gagner le Mexique, et à y disparaître. Secrètement repentie, devenue Florencia Riviera Martin, maman d'une petite fille, elle exerçait la profession de psychologue dans la ville de Xalapa, jusqu'à un jour de 2004, quand elle a ouvert sa porte à des policiers mexicains et français, venus la quérir chez elle. Un cas voisin, mais plus politique: celui de l'écrivain Cesare Battisti, ancien terroriste italien, repenti et réfugié en France, qui a dû fuir au Brésil devant le risque d'être rendu aux autorités italiennes. Il n'a été opportunément repéré et arrêté à Rio qu'à quelques semaines de l'élection présidentielle de 2007.
En définitive, les statistiques de la cavale sont très en défaveur de Jean-Pierre Treiber. L'histoire récente des traques ne retient vraiment qu'une affaire célèbre pour plaider de la réussite possible de sa fuite. La disparition, en 1977, d'un autre «homme des bois»: Pierre Conty. S'il est vivant, son échappée dure toujours. Fondateur d'un communauté rurale en Ardèche durant la difficile épopée du «retour à la terre», après 1968, ce militant anarchiste avait peu à peu glissé dans le banditisme. Après une attaque de banque, à Villefort, le 24 août 1977, avec son complice, Stéphane Viaux-Pecatte, il avait tué un gendarme et deux automobilistes pendant sa fuite. Son comparse a été retrouvé en Hollande, et jugé.
Mais on a bel et bien perdu la trace de «Pierrot» Conty sur les monts de l'Ardèche. Des centaines de gendarmes et de volontaires l'ont cherché, des mois durant. Pendant des années, les agriculteurs locaux, hostiles aux «hippies», ont cru avoir souvent repéré son visage hirsute et sa silhouette menaçante. L'Ardèche s'était donné un croquemitaine. L'Yonne aura peut-être le sien.
Philippe Boggio
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Image de Une: Reuters