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Sur le Tour de France, le silence est d’or comme un maillot jaune

Temps de lecture : 4 min

Cette épreuve est une ode à la tranquillité ouatée et aux après-midis somnolentes. Elle nous parle clairement en ne nous disant rien, ou pas-grand chose.

Sur le Tour 2014, entre Bourg-et-Bresse et Saint-Etienne. REUTERS/Jacky Naegelen.
Sur le Tour 2014, entre Bourg-et-Bresse et Saint-Etienne. REUTERS/Jacky Naegelen.

Le Tour de France, qui s’élance des Pays-Bas samedi 4 juillet pour se terminer dimanche 26 juillet sur les Champs-Elysées, est, chaque année, une parenthèse enchantée de l’actualité française, comme une carte postale qui nous est envoyée tous les étés avec ses banalités d’usage, mais qu’il serait inimaginable de ne pas recevoir, quel que soit son intérêt pour le cyclisme.

Le Tour de France, c’est, bien sûr, une collection d’images à couper le souffle, notamment de paysages depuis les hélicoptères et les drones des équipes de France-Télévisions, mais c’est aussi une ode à la tranquillité ouatée d’après-midis suspendus aux vacances ou à l’imminence de celles-ci. Qui n’a pas somnolé devant une étape?

En effet, peu importe le bruit des affaires émaillant parfois la course comme des sauts de chaîne déréglant le rythme huilé ou saccadé des champions de la route, la Grande Boucle est la plupart du temps une affaire de silencen au-delà de la loi du même silence qui a pu, et peut encore, régler la musique quasi-militaire du peloton. Le décor est planté, immuable, avec les persiennes tirées et le doux ronflement d’un ventilateur qui traverse le salon ou le bureau.

Univers capitonné

Lors du Tour de France, mais dans le cyclisme de manière générale, le son semble toujours comme étouffé dans le lointain de l’autre côté de l’écran. A l’inverse de sports comme le football, le rugby, le basket ou le tennis, où les phases de contacts et les cris des protagonistes nous reviennent comme amplifiés dans nos oreilles sous l’effet des micros qui en exagèrent la portée, le cyclisme est un univers capitonné, pratiquement sans écho, dans lequel les coureurs évoluent et souffrent sans voix, parfois la gueule ouverte, mais dans l’apnée de leurs difficultés. Et il y a toujours comme une incongruité, si ce n’est un scandale, à les voir assaillis par les micros aussitôt la ligne d’arrivée franchie, comme s’il ne servait à rien de mettre des mots sur ce qui vient de se dérouler puisque tout a été explicité par les images.

Le Tour de France, c’est un film muet qui n’a pas besoin de sous-titres ou d’explications technico-tactiques et dont le message n’est jamais brouillé par la décision indéchiffrable d’un arbitre. Le Tour de France nous parle clairement en ne nous disant rien ou pas-grand chose.

Le Tour de France, c’est un film muet qui n’a pas besoin
de sous-titres

ou d’explications technico-tactiques

Même le bruit des pales des hélicoptères, comme le souffle de la foule au bord des routes ou les coups de klaxon des voitures qui slaloment, nous revient assourdi, presque éteint, quand la mise en scène de la télévision dérive soudain pour prendre de la hauteur loin du goudron en nous présentant une abbaye ou en nous montrant des bottes de foin aux couleurs des maillots de l’épreuve. Là encore, la discrétion reste de mise avec les quelques mots, rapides mais essentiels en guise de légende-image, comme savait les porter Jean-Paul Ollivier, journaliste encyclopédique du sport cycliste, dont la qualité première et l’élégance ont toujours été la rareté de sa parole, pourtant puissante, comme le parfait relais de cette compétition taciturne.

Ces prises de vue aériennes sont devenues d’ailleurs de plus en plus nombreuses au fil du temps et de l’amélioration des modes de diffusion, mais leur augmentation progressive a coïncidé aussi avec les malheurs de l’épreuve, dans ses crises les plus sombres liées au dopage, comme s’il s’était agi de regarder passer un ange au-dessus du peloton. Parlons peu, mais parlons d’autre chose.

«Je me force parfois à ne rien dire pendant trente secondes»

Le son, ou plutôt l’absence de celui-ci, n’est pas le maillon faible du Tour de France comme le croit Jean-Maurice Ooghe, le réalisateur de l’épreuve pour France Télévisions, qui voudrait essaimer des caméras émettrices parmi les coureurs et qui s’y essaie cette année par le biais d’un test diffusé en différé. C’est, au contraire, sa force à l’heure des bavardages à tout propos et sur tous les sujets des retransmissions sportives, au temps de ces «immersions» systématiques au coeur des événements majeurs ou à l’époque de la recherche frénétique du mot incongru qui peut faire frissonner la Toile. Le Tour de France, c’est aussi l’ennui qui peut s’y attacher lors d’étapes sans grand relief à tous les niveaux et c’est un droit de téléspectateur de goûter à cette léthargie et de l’apprécier.

Voilà cinq ans, au quotidien L’Equipe, Thierry Adam, journaliste en charge des directs du Tour de France sur France Télévisions, s’était confié, lucide, sur sa mission et sur la façon de la mener au mieux:

«Quand tu es commentateur sportif, tu penses souvent que tu es bon quand tu es capable de parler sans interruption. En cyclisme, tu peux laisser parler les images. Pendant le Tour, j’ai un post-it devant moi avec "silence" écrit dessus en rouge. Je me force parfois à ne rien dire pendant trente secondes, quand il ne se passe pas grand-chose. J’en profite pour boire un café.»

Dans la kermesse d'un critérium, le cyclisme devenait un spectacle bruyant qui avait traversé l’écran de la télé

Le café, c’est aussi l’heure des goûters de mon enfance quand il n’était surtout pas question de moufter devant les images du Tour de France à l’époque où Bernard Hinault, l’idole de toute la Bretagne, portait l’honneur de la région au sommet des cols alpins et pyrénéens. «Tais-toi», me suis-je souvent entendu répondre de la part d’un père pour qui le vélo était une religion célébrée, tendu comme un arc devant le poste et, deux jours après l’étape des Champs-Elysées, par le très réputé alors Critérium de Callac qui, chaque année, non loin de chez moi, réunissait alors la crème de la crème du cyclisme mondial dans ce village des Côtes d’Armor. Dans cette kermesse, le cyclisme devenait alors un spectacle bruyant qui avait traversé l’écran de la télé. Un jour, dans l’encadrement de la porte, j’ai vu surgir un Allemand transpirant, grand comme une armoire bretonne, Dietrich Thurau, qui avait porté plusieurs fois le Maillot jaune, et qui, par je ne sais quel concours de circonstances, venait utiliser la salle de bains familiale avant de repartir vers le Critérium suivant prévu le soir à Dinan, en nocturne. Un silence de stupéfaction avait alors rempli la maison devant cette apparition du Tour de France.

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