Culture

De «Homeland» à «Jurassic World», Hollywood veut-il faire du Pakistan son nouveau méchant?

Temps de lecture : 6 min

Plusieurs spectateurs ont noté des allusions racistes au Pakistan dans «Jurassic World» alors que le pays est déjà largement brocardé par les fictions américaines. Au point d'influer sur l'image de cet État à l'international?

Jurassic World et ses dinosaures font face à des accusations de racisme (REUTERS/David McNew).
Jurassic World et ses dinosaures font face à des accusations de racisme (REUTERS/David McNew).

Hollywood, c’est bien connu, est la plus grosse industrie cinématographique du monde. Ses productions attirent des millions de spectateurs, génèrent des milliards de profits et engendrent parfois des polémiques internationales quant au véritable rôle politique, à la limite de la propagande, que jouent ces blockbusters. La dernière en date vient du Pakistan, où l’on reprocherait à Jurassic World de dénigrer sa population. Même s’il s’agit d’une monstrueuse exagération, il est difficile de nier que le pays devient l’un des nouveaux ennemis que Hollywood aime nous faire détester.

Cela vous aura sûrement échappé en regardant Jurassic World donc, mais il s’agit d’un film anti-Pakistan. C’est en tout cas ce qu’affirme le comédien britannique d’origine pakistanaise Guzzy Bear dans une vidéo postée sur YouTube. Le ton est ironique et on devine que l’acteur, qui joue notamment Mobeen dans le webshow de la BBC British Muslim Comedy, fait semblant de s’offusquer lorsqu’il appelle au boycott du film.


Il souligne que les scénaristes ont appelé l’un des dinosaures un «Pachy» (en anglais, le nom sonne comme le surnom raciste donné aux Pakistanais) et que cette insulte est répétée quatre fois par la suite. Pour Guzzy Bear, le but de cette fausse grosse colère était de parler du racisme, mais pour beaucoup, insulter les Pakistanais de façon répétée dans le film, même si ce n'est pas intentionnel, est inacceptable. De réelles menaces de boycott sont brandies contre Jurassic World, créant une polémique dont le studio Universal, producteur du film, se serait bien passé.

I want to make a heartfelt apology for whatever it is I end up accidentally saying during the forthcoming #JurassicWorld...

Posted by Chris Pratt on vendredi 22 mai 2015


Une connotation maladroite, et c'est le drame

La production américaine de Jurassic World n’avait bien entendu pas anticipé que le nom d’un dinosaure pourrait offenser les Pakistanais mais elle se trouve confrontée au même problème que toutes les entreprises mondialisées. Ainsi, les fabricants de voiture doivent réfléchir au nom que portera leur dernière création car en fonction des langues et des cultures, la signification pourra changer du tout au tout. Si on peut comprendre que Toyota ne pouvait pas savoir que son véhicule MR2 aurait une réputation «merdeuse» en France, que dire de Citroën qui affuble l’une de ses voitures du nom d’un explosif ou d’Audi qui compte se passer du marché français en annonçant la couleur?

En 2012, une athlète kazakh a même reçu sa médaille d’or lors d’une compétition
au Koweït au son
de l’hymne national non pas officiel, mais de celui délirant
tiré de Borat

Au final, les équipes de marketing inventent des noms «neutres» ou tentent de trouver des appellations qui aurait une connotation globale positive ou tout du moins qui limiteraient les jeux de mots. Mais que peut faire une entreprise mondialisée lorsqu’elle produit des objets culturels comme les films? Il est alors difficile de tout réécrire dans le but de ne pas offenser la moindre culture et les films peuvent souvent être mal compris en raison de trop grandes différences culturelles.

Dans le cas de Hollywood, on peut toutefois se demander si l’objectif n’est pas parfois d’insulter ou de ridiculiser d’autres pays. On peut multiplier les exemples de scénarios hollywoodiens ou les cultures sont moquées, ou simplement stéréotypées, les Français n’échappant pas aux nombreux clichés. Ces derniers au final ne souffrent que peu de l’image que Hollywood offre d’eux dans le monde. La France possède une culture forte, une voix qui porte et reste toujours le pays qui accueille le plus de touristes au monde, même si c’est une victoire à contraster.

Les imaginaires réécrits par Hollywood

Ce n’est pas le cas de toutes les nations et l’exemple de Borat en 2006 est resté dans les mémoires. L’histoire de ce journaliste débile, homophobe, antisémite et misogyne a durablement marqué l’image du Kazakhstan, pays issu de la chute de l’Empire soviétique et qui souffre encore aujourd’hui de son image négative venue de Hollywood. En 2012, une athlète kazakh, Maria Dmitrienko, a même reçu sa médaille d’or lors d’une compétition au Koweït au son de l’hymne national non pas officiel, mais de celui complètement imaginaire et délirant tiré de Borat.


Abou Dhabi se souvient également du traitement qui lui a été réservé dans le film Sex and the City 2. La leçon est claire: soit un pays raconte son histoire en utilisant des films, une chaîne de télévision globale ou tout autre moyen de diplomatique publique, soit d’autres s’en chargeront, le plus souvent Hollywood, prompt à réécrire l’Histoire et imprimer une image de marque sur des États qui s’en seraient volontiers passés. Il s’agit en général de nations trop petites pour se faire entendre, trop jeunes pour faire partie de l’imaginaire international ou encore qui font entendre une voix discordante dans le «concert des nations».

«Pays le plus dangereux du monde»

Dans le cas du Pakistan, ce n’est ni un petit pays, ni un nouvel arrivant à l’échelle mondiale. Les réactions véritablement outrées à la sortie de Jurassic World, au contraire de celle de Guzzy Bear, reflètent le sentiment que le pays est devenu le nouvel ennemi à la mode à Hollywood. Le Pakistan semble souffrir d’un problème d’image depuis que Newsweek le déclarait «Pays le plus dangereux du monde» en 2007, comme le montrait un sondage effectué à l’échelle internationale par la BBC en 2014. Interrogés sur l’influence du Pakistan, 85% des sondés américains en possédaient une image négative, 77% des Français, 71% des Britanniques et même 29% des Pakistanais !

En matière de «country brand»,
le Pakistan parvient à se hisser à
la 99e place,
ce qui est moins bien que… le Kazakhstan à la 85e place

Le grand rival indien s’en tirait mieux avec une image positive chez 45% des Américains, 49% des Français, 46% des Britanniques mais seulement 21% des Pakistanais. Le Pakistan serait donc considéré comme un pays à l’influence plus négative que l’Iran, et même la Corée du Nord (La France s’en tire plutôt bien avec une perception positive globale de 48%, moins bien que le Royaume-Uni et ses 56% mais le réflexe cocardier consiste alors à rappeler que la BBC est britannique. Good game…). En matière de «country brand», selon Bloom Consulting, le Pakistan parvient à se hisser à la 99e place, ce qui est moins bien que… le Kazakhstan à la 85e place, alors que la France se hisse tout de même au 5e rang.

Fort de cette mauvaise image, Hollywood peut dès lors utiliser le Pakistan pour symboliser le Pays du mal. En 2012, la série télévisée Last Resort a envisagé la destruction du Pakistan par armes nucléaires pour protéger les États-Unis. Heureusement, l’équipage du sous-marin nucléaire chargé de l’attaque a désobéi mais le pays apparaît comme une menace crédible. La même année, G.I. Joe: Conspiration a été interdit au Pakistan pour avoir montré que son arsenal nucléaire pourrait être utilisé par des terroristes pour terrifier la planète.

La Troisième Guerre mondiale

Homeland, la série paranoïaque mettant en scène espionnage et contre-espionnage, a également utilisé en 2014 le Pakistan pour le dépeindre comme un endroit atroce, déclenchant la fureur officielle du gouvernement. Et plus récemment, en juin dernier, la nouvelle série HBO The Brink mettait en scène des personnages incapables et dépravés du côté américain qui luttent contre la Troisième Guerre mondiale lancée par le Pakistan. Un État décrit une nouvelle fois comme un enfer dirigé par des fous (le nouveau dirigeant a été officiellement déclaré bon pour l’asile par son psychiatre).

En 1997, le film Des Hommes d'influence présentait le nouvel ennemi de l’Amérique: ce serait l’Albanie, à la suite d’un scénario machiavélique qui permettrait de présenter dans les médias ce petit pays comme digne d’un conflit avec la première puissance militaire mondiale. La fable faisait rire par son absurdité, surtout lorsqu’un personnage demandait «Pourquoi l’Albanie» et que le spécialiste des relations publiques lui répondait «Pourquoi pas?».

Les ennemis «réels» des films hollywoodiens font moins rire. Que le Pakistan représente un danger pour l’ordre mondial semble aujourd’hui, à tort ou à raison, avoir été accepté par une grande partie de la planète. De nombreux films et séries télévisées en témoignent. Reste à espérer que le Pakistan ne deviendra pas un nouvel Irak ou Afghanistan. Il est parfois bon que la réalité ne rejoigne pas les fictions. Comme bombarder un pays qu’on imagine dangereux ou faire revenir à la vie des créatures disparues il y a des millions d’années, quel que soit leur nom.

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