Le papier-peint dans le dos de Jacques Delors, sur la vidéo ci-dessus, le proclame bien haut: ce sujet a été tourné en 1983, et plus précisément le 25 mars. La mine est aussi grave que l’heure, les lèvres serrées, les mots pesés et soupesés. Bref le malaise est palpable car le ministre de l’Economie et des finances du gouvernement de Pierre Mauroy présente son plan pour remplir les caisses de l’Etat, ou éviter qu’elles ne se vident trop vite. L'une des mesures du plan Delors fait écho à la Grèce de 2015, qui doit imposer un contrôle des capitaux pour éviter que ses banques en viennent à manquer de liquidités et à faire faillite: le ministre français décide le durcissement du contrôle des changes. Pour les déplacements des Français, un carnet de changes aux devises est instauré: le change est alors limité à 2000 francs par personne pour une année.
Une mesure décidée sous les turbulences européennes
Le 10 mai 1981, la France de l’alternance ne coupe pas magiquement avec son passé immédiat. Le chômage de masse est déjà présent, comme l’inflation. La politique économique pour laquelle Mitterrand opte, dans la lignée du Programme commun, autant pour soutenir les ménages que pour redresser les finances, est une politique de la relance par la consommation.
Mais l’inflation persiste, le plein-emploi s’éloigne et la balance commerciale est très défavorable à la France. Pire, l’Etat doit faire face à la fuite de certains capitaux. Mitterrand dévalue le Franc une fois (octobre 1981), Mitterrand dévalue deux fois (juin 1982). Mais le Franc perd encore de la distance face au Mark allemand.
L’exécutif est bientôt devant une alternative: soit le gouvernement stoppe les réformes sociales, soit il les poursuit mais doit alors quitter le système monétaire européen. A cette époque où l’interaction économique des partenaires européens a commencé sans être aussi approfondie qu’elle ne l’est aujourd’hui, le SME est l’organe chargé de la coopération des Etats-membres de la Communauté économique européenne.
Mitterrand envisage de le quitter, comme l’y encourage notamment Jean-Pierre Chevènement. Les oppositions à cette idée sont nombreuses, portées notamment par Jacques Delors. Finalement, c’est la voix de l’orthodoxie européenne qui a le dernier mot. Sous la pression d’une éventuelle nécessité de sortir du SME, Mitterrand fait marche arrière et décide donc de durcir le contrôle des changes, en même temps qu’il baisse les dépenses publiques, et que la prise en charge de l’économie par l’Etat recule. C’est le désormais fameux «tournant de la rigueur».
Par la vigilance sur les devises, moins étendue que l’actuel contrôle des capitaux grecs (conformément auquel les Grecs ne peuvent pas retirer plus de 60e par carte et par jour), le gouvernement espère juguler le départ des capitaux et attirer de nouveaux investisseurs. Comme François Stasse, ancien conseiller économique du président Mitterrand, le note auprès de l’Institut Mitterrand, les gouvernements européens ont bien tenu un rôle prépondérant dans le développement du contrôle des changes comme les autres mesures:
«C’est à partir de ce moment-là seulement que l’ancrage européen de la France a été d’un poids certain. D’abord parce que, tant que nous restions membres du SME (Système monétaire européen), nous étions tenus à une certaine discipline de nos comptes publics, et nos partenaires ne manquaient pas de nous le faire observer, parfois avec vigueur.»
Un parallèle franco-grec limité
On relève souvent que l’inflation ralentit alors ce qui est vrai: de 9,6% en 1983, elle n’est plus que de 2,7% en 1986. Mais elle avait déjà commencé à décélérer en amont, en pleine politique de la relance par la consommation: de 13,4% en 1981, l’inflation était passée à 11,8% l’année suivante.
Si le parallèle entre la France mitterrandienne et la Grèce d’Alexis Tsipras peut se justifier autour du contrôle des capitaux et des changes et du point de vue du contexte continental, il existe une différence de nature: le contrôle des changes français apparaissait comme la condition sine qua non au maintien de la France dans le jeu européen, le contrôle des capitaux auquel la Grèce a été poussée ressemble davantage aux préparatifs d’un départ.