La Fête de l'Humanité a pulvérisé cette année ses records de fréquentation: 600.000 visiteurs. Pourtant, le Parti Communiste français dépasse péniblement la centaine de milliers d'adhérents, et le désamour du peuple de gauche l'a conduit sous la barre des 2% à la dernière présidentielle. Le quotidien l'Humanité, malgré un frémissement du nombre de ses lecteurs, ne se porte pas mieux. Il se pose dès lors une question pour comprendre l'équation: le communisme a t-il déserté la Fête de l'Huma pour attirer les jeunes ou bien les communistes sont-ils des animateurs de fêtes hors pair?
«Il ne faut pas se laisser emporter par l'émotion qui succède à chaque Fête de l'Huma. Une fréquentation importante de cet événement populaire ne traduit pas une renaissance mécanique du PCF. On constate chaque année une vague d'adhésions, cependant elles traduisent un engagement d'émotion qui ne dure que rarement. Le public présent est aussi varié que la programmation. Depuis les années 60, une forte dimension commerciale émerge dans la Fête. On voit cohabiter trois types de visiteurs: les militants, les sympathisants et les fêtards, largement majoritaires», analyse Marc Lazar chercheur au centre d'histoire de Science Po, spécialiste de l'histoire du communisme et chroniqueur de Slate.fr. «Ceci dit, la Fête de l'Huma porte une forte charge politique pour les militants qui se ressoudent autour de l'événement. Leur ardeur est tonifiée, le parti prouve qu'il existe et représente encore quelque chose dans l'opinion publique: les sympathiques emmerdeurs populaires».
Vérifions sur le terrain
Vendredi, 21h, sur la route du parc départemental de la Courneuve, l'embouteillage commence à la porte de la Villette. Un flux continu de voitures pleines de jeunes à crêtes, surexcités, me sépare de la Fête. Il flotte une ambiance de victoire de Coupe du monde, sans les drapeaux, même pas les rouges. Je vais voir le très engagé à gauche Manu Chao. Jusqu'ici tout va bien, si ce n'est le retard. Note pour plus tard: question organisation, les camarades repasseront. Rejoindre la fête en voiture relève du chemin de croix, utiliser les navettes est un calvaire.
J'arrive enfin, le concert bat son plein depuis une demie-heure. Un nuage épais de fumée blanchâtre plane au ras du sol: les incontournables merguez grillent en rang serrés comme des roquettes sur un orgue de Staline. La restauration sera bon marché, adaptée à la bourse du bobo comme de l'ouvrier, me dis-je naïvement. Une fois franchie l'entrée, la note du casse-croûte est salée: pas moins d'une dizaine d'euros le plat de résistance. Il faut renflouer les caisses du Parti.
En errant dans les travées de la fête, on ne trouve plus de blouses bleues, mais encore beaucoup de camarades. L'Huma 2009, c'est comme l'exposition universelle version PCF. Chaque fédération tient sa tente, espère un adhérent ou deux, affiche quelques slogans et, garantie du succès, propose beaucoup de vin rouge. «Les patrons sont des sauvages, pourquoi les ouvriers seraient-ils des anges?», proclame une citation fort à propos de Manu Chao, sur la devanture de l'une d'entre elles.
Arrivée au concert, les sons et la foule sont énormes. Des dizaines de milliers de gavroches du week-end s'encanaillent sur les rythmes latinos, les plus jeunes redécouvrent quelques tubes de la Mano. La musique s'interrompt un instant; Manu Chao entame un appel à soutenir... les indépendantistes sahraouis du Front Polisario. La foule hésite, mais sous l'imprécation du chanteur, s'enflamme d'une solidarité inconditionnelle. On est forcément solidaire à la fête de l'Huma. Curieux, je demande à quelques jeunes autour de moi s'ils savent de quoi il s'agit, en vain.
La solidarité avec des causes internationales, voici un leitmotiv qui semble se dégager à l'occasion de la première visite. Obama a remplacé le Che sur les t-shirts. Les étoiles rouges se font plus rares, mais la fibre internationaliste est bien présente. C'est d'ailleurs un énorme chapiteau à la gloire de la révolution bolivarienne qui interpelle le badaud à l'entrée. Avec un parti si mal en point en France, le communisme se vit par procuration aux stands cubains ou vénézuéliens, qui ne désemplissent pas. Malgré les déclarations des cadres du parti, il est difficile de trouver ici un syndicaliste, un «Conti» ou un «Molex».
C'est l'heure de rentrer, je me fraye un chemin dans le tumulte de la jeunesse ivre. Les «tentes quechua» éclosent sauvagement sur le moindre carré de verdure, donnant aux campeurs un avant de goût de partage des terres. Les vigiles complaisants laissent plus ou moins faire. Le programme promettait une fête propre, les poubelles sont rares et les détritus s'amoncellent au milieu des allées.
Me revoici frais et pimpant comme un samedi, prêt à chasser partout le moindre vestige de notre bon vieux PCF. Il est 15h30, je trouve une faucille et un marteau imprimés sur le fronton de tente d'une fédération de province. Enfin des militants, des vieux, des vrais, avec les accessoires. Ça discute de la venue du ministre. Le moral est bon, la fréquentation aussi. A défaut de faire remplir des cartes d'adhésion, ils remplissent leurs caisses.
Les bandeaux rouges Kronenbourg se fondent parfaitement avec les affiches «anti-capitalistes». Parmi les sponsors, le service public audiovisuel n'a pas raté le coche. Cela ne manque pas d'indigner un vétéran libéral chevronné, venu voir le concert de Deep Purple. La Fête de l'Huma cette année, c'est aussi la fête du géant Pernod-Ricard. Une banderole proclame «Stop aux super profits», plantée en face de grands panneaux tapissés de publicité pour le petit jaune de Marseille.
«Jaune», le cri retentit bientôt. Suivent les «casse-toi pauvre con», «vendu» et autres «social-traître!». Il est 16h30 aux abords du pavillon du livre. Le jargon d'avant-1991 est au rendez-vous. Frédéric Mitterrand tente de braver l'hostilité ambiante sous bonne protection. Une fois n'est pas coutume, militants du NPA et du Front de Gauche font cause commune pour le conspuer. Quelques-uns entonnent l'Internationale. Nous y sommes, ma collection des attributs du communisme est presque complète. Pour la forme du moins. Le fond — la ligne — fait la sieste, avant le concert du soir.
Pourtant, au coin d'une table, mon oreille indiscrète capte une remarque: «demain, on se fait une journée politique, parce que la gauche j'y comprend plus rien. J'ai des questions à leur poser aux communistes», lance un jeune à son groupe d'amis. «Cette année les questions politiques qui faisaient le fond de la Fête n'étaient pas très sexy, même si les militants ont afflué. La gauche est angoissée de ne plus faire rêver. Bien qu'elles soient fondamentales, les questions stratégiques ont domniné les débats au détriement du projet, de l'utopie», estime Christian Picquet, dissident du NPA et figure de proue du Front de Gauche.
Il est temps de faire une pause déjeuner dans le village des luttes du monde. Partout, des articles à vendre, un peu comme au puces. On passe le stand breton de «la rue Yasser Arafat» pour aller manger un couscous dans «la rue Hô Chi Minh». Pour Marc Lazar, «ce clin d'œil discret à l'héritage historique s'adresse au initiés, il signifie que malgré l'incertitude, le cap est gardé. Mais d'une façon générale, la mise en retrait des vieux symboles permet aussi d'occulter, sans trancher, les références au passé trop douloureuses».
L'heure du concert approche. Deep Purple, pas très rouge, mais groupe mythique s'il en est. Le spectacle s'ouvre sur du Prokofiev, et promet du rock mégalomane, dégoulinant de vibratos et de solos de guitare en tapping. Le public assez jeune attend «Smoke on The Water», en découvrant le rock symphonique avec perplexité. 23h, le show se termine. Pas de slogans. «Prenez soin les uns des autres» répète, un brin désuet, le monsieur loyal de la soirée. On danse toujours sous la tente qui célèbre les 50 ans de la révolution cubaine.
Dimanche, il n'y a que Julien Clerc en tête d'affiche. La teneur politique comme l'âge des participants promet de grimper. Eric Woerth échappe de peu à un attentat au yaourt. L'ouverture, ça ne prend pas facilement à la gauche radicale. Les jeunes flânent, écoutent distraitement l'appel de Marie-George Buffet. Elle ne parle pas de programme, appelle encore et toujours à «un grand rassemblement», sur fond de cuisine entre petits et grands partis. Se rassembler pour qui, vers quoi? Les communistes attendent un grand frère, un modèle, qui chez Chàvez, qui chez Die Linke. Personne ne se revendique plus de l'URSS, mais l'absence, le vide est là. Celui qui cherchait ici un projet de société rentrera bredouille, celui qui cherchait à s'amuser rentrera comblé et épuisé.
Marc de Boni
Image de une: Fête de l'Huma 2008 / CC Flickr idf-fotos