France

Trou de la sécu: l'impasse

Temps de lecture : 6 min

Objet familier de la  vie politique française, le trou de la sécu refait parler de lui, cette fois encore, de façon anecdotique. Il ne s'agit en effet que d'une évocation par le Journal du dimanche du 6 septembre 2009 d'un projet du Gouvernement de porter le forfait hospitalier à 20 euros par jour pour les malades hospitalisés (+25%) et, conjointement, de diminuer le taux de remboursement de certains médicaments.

La première mesure rapporterait de l'ordre de 400 millions d'euros, quant à la seconde elle n'a pas été chiffrée, faute de communication de la liste détaillée des médicaments concernés. Tout aussi classiques que ces modestes mesures furent les réactions des partis d'opposition et de la presse. «Ces mesures sont inégalitaires». «Il ne faut pas diminuer les remboursements de l'assurance, mais accroître ses recettes en assurant la relance de l'économie». «Si l'on trouve des centaines de milliards d'euro pour les banques, il est scandaleux de prétendre qu'il est impossible d'affecter des centaines de millions à la Sécu». «Si les entreprises et l'Etat payaient leurs dettes à la sécurité sociale, il n'y aurait pas de déficit»...

Avant de revenir à ces mesures et aux éventuels remèdes des uns ou des autres, il importe de comprendre la nature du problème, à commencer par la définition même de ce trou dont on ne peut parler qu'avec une compréhension du contexte général dans lequel il se creuse. La sécurité sociale ne couvre qu'une partie des dépenses sociales et exclut, notamment, l'indemnisation du chômage.

Elle comprend le «risque-santé» qui englobe, outre la maladie, l'invalidité et les accidents du travail, mais aussi le risque «vieillesse-survie» et le risque «maternité-famille». Conçus à l'origine comme un salaire différé, le financement et l'organisation de la sécurité sociale ont été liés au travail, ainsi la sécurité sociale est composée de plusieurs «régimes». Le plus important (plus de 80%) est le régime des travailleurs salariés, dit «régime général», mais il existe aussi le régime agricole, celui des indépendants et toute une multitude de «régimes spéciaux».

Cette complexité est mal comprise des Français qui réduisent la Sécu à la maladie, ignorent que les départements financent une partie des dépenses sociales et que si, pour sous-estimer le trou, les Gouvernements ne parlent que de l'équilibre du régime général, il existe bel et bien d'autres déficits, d'autres trous qui n'ont rien de petit, notamment celui du régime agricole. Si bien que le déficit réel de cette année 2009 sera plus proche de 25 milliards d'euro que de 20 milliards, chiffre avancé aujourd'hui par le gouvernement.

Rappelons aussi que le financement de l'ensemble du système de sécurité sociale se fait par «répartition». Autrement dit, une année donnée, ceux qui cotisent payent pour les bénéficiaires, c'est-à-dire, en simplifiant un peu, les bien-portants payent pour les malades et les actifs pour les retraités.

Si financièrement le risque «maternité-famille» a été, sinon équilibré, du moins proche de l'équilibre, pendant longtemps l'excédent du régime vieillesse a compensé le déficit de la maladie.L'accroissement de la durée de vie sans accroissement du handicap, le cas depuis un demi-siècle, est toujours un bienfait et le déséquilibre du régime vieillesse est certes dû aussi à cette plus longue durée de vie, mais n'explique pas l'accélération actuelle du déséquilibre. En revanche, le déficit grandissant d'aujourd'hui a pour cause structurelle un phénomène que nous voyons venir depuis 36 ans à savoir que les premières cohortes de la génération du baby-boom (1947-1973) arrivent à l'âge de la retraite. Comme le système est par répartition, les classes creuses d'après 1973 doivent donc aujourd'hui financer la retraite des classes abondantes du baby-boom qui, par ailleurs, ont peu connu le chômage durant leur vie professionnelle et bénéficient ainsi de droits à taux plein.

Bien avant la crise financière de l'année passée, nous savions et écrivions que le drame se produirait, faute d'avoir pu, voulu ou su maîtriser les dépenses de la maladie alors que se poserait la question du financement de la retraite à partir de 2007. En effet, il existe aussi en France une inflation spécifique des dépenses de santé. Quatre chiffres suffiront à l'illustrer: en 1971 les dépenses de santé de notre pays représentaient 5,7% du PIB (Produit intérieur brut). La même année, en Suède, ce chiffre était de 6,3%. Aujourd'hui, alors qu'en Suède l'espérance de vie à la naissance est supérieure à celle de la France, ces chiffres sont respectivement de 9% pour la Suède et de 11,4% pour la France. Rappelons que 1% du PIB représente, en France, environ 20 milliards d'euro. Donc, si nous avions maitrisé la croissance des dépenses de santé comme les Suédois, il n'y aurait pas de trou de la Sécu, mais des excédents.

En résumé, bien avant que n'arrivent la crise et la récession, nous avions déjà deux problèmes structurels majeurs: la structure démographique de la France et l'inflation non-maitrisée des dépenses de santé. Si le déficit de recettes dû à la crise représente environ la moitié du trou de 2009, l'autre moitié est bien structurelle. Même avec une croissance de 2% le déficit aurait été d'au moins dix milliards d'Euro. La crise a bon dos!

Revenons alors aux mesures évoquées par le Journal du Dimanche. On peut en dire:

-       Qu'elles ne sont qu'une goutte d'eau: à elles deux, elles ne dépasseront pas le milliard d'euro,

-       Qu'il ne s'agit aucunement d'une économie pour les ménages français - ces mesures ne jouent ni sur le taux d'hospitalisation, ni sur les prescriptions des médecins - mais il s'agit bel et bien d'un transfert entre un système équitable (celui de l'assurance maladie) vers un système inéquitable (celui des assurances complémentaires dont les cotisations ne varient pas avec le revenu).

Plus généralement, on peut également affirmer:

-       Que l'équilibre de la sécurité sociale promis en 2012 ne sera jamais atteint.

-       Qu'il n'y a pas de trésor caché dans les entreprises françaises (celles qui doivent de l'argent à l'URSSAF n'existent plus) ou dans les caisses de l'Etat. Remarquons d'ailleurs en passant que les Français oublient toujours que lorsqu'on parle de l'Etat, ou de la Sécu, c'est d'eux ou tout au moins de leur argent qu'il s'agit. Ils sont les seuls à financer directement ou indirectement l'ensemble des mécanismes redistributifs. Il n'y a pas d'entité abstraite qui vive une existence séparée et qui ne touche pas la poche des Français, même si, à un instant donné, les cotisants ne sont pas le plus souvent les bénéficiaires.

-       Qu'il n'y a aucune chance de résoudre la question du déficit de l'assurance maladie tant que les Français penseront qu'accroître les dépenses de soins est toujours un progrès. Il est impossible en effet de résoudre un problème qui n'a pas été posé. Car, bien entendu, la solution structurelle est d'abord dans la maîtrise des dépenses et la solution politique est dans l'accroissement des recettes car, plus grave que toucher à la poche des frais, est de s'en prendre aux ressources financières des groupes d'intérêt.

-       Que l'arrêt de cette politique sera brutal quand, un jour, avant 2020, les Allemands feront comprendre aux Français et à quelques autres pays de la zone Euro qu'il faut mettre de l'ordre dans les comptes et réduire les déficits publics.

-        Qu'à ce moment là, le Gouvernement au pouvoir devra faire flèche de tout bois et, notamment, réduire la couverture par l'assurance maladie car, à court terme, il n'existe pas d'autres alternatives.

La Gauche française devrait comprendre que la rigueur est sociale, sinon socialiste, et que le toujours-plus dans les circonstances actuelles est soit de l'incompétence soit de l'irresponsabilité.

Dans quelques semaines va commencer le débat au Parlement du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Il sera essentiellement financier et parlera peu ou pas de la nature des dépenses dans un pays où l'on sait, par exemple, que l'on prescrit et que l'on hospitalise trop. Quant à loi récente, dite loi Bachelot, en lui donnant par déraisonnable générosité le bénéfice du doute, elle n'aurait un modeste impact qu'en 2012, le déficit tendanciel dépassera alors 30 milliards d'euro. Nous serons en année électorale, peu propice à la rigueur, le drame des finances publiques ne se dénouera qu'après, violemment.

Jean de Kervasdoué

Image de Une: médecin en train de manifester  Pascal Rossignol / Reuters

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