Elle s'appelle Yanina Wickmayer, a 19 ans, est Belge et a joué samedi 12 septembre la demi-finale de l'US Open contre la Danoise Caroline Wozniacki. Personne ne s'attendait à retrouver cette joueuse classée 50e mondiale à ce stade de la compétition. A sa propre surprise, elle s'est donc assise dans la grande salle de conférence de presse de Flushing Meadows où elle a raconté son histoire.
Une histoire comme on en a si souvent entendu sur le circuit féminin: celle d'une jeune fille qui a mis son destin entre les mains de son père qui, voilà longtemps, a décrété que de sa progéniture, il ferait une championne. «Sans lui, je ne serais rien, a-t-elle avoué. Il a pris tous les risques pour moi en vendant tout ce qu'il avait et en quittant son travail pour me permettre de m'entraîner en Floride après la mort de ma mère à l'âge de neuf ans.»
Depuis une dizaine d'années, Yanina Wickmayer et Marc, son père, sillonnent donc le monde ensemble, ne se quittent jamais, en espérant atteindre les sommets du tennis féminin et s'assurer du même coup une vie très confortable. L'un et l'autre ont vécu des moments cruels et décourageants tout au long de cette aventure où l'argent a souvent manqué. Mais vaille que vaille, ils se sont serré les coudes pour tenter de décrocher cette part de rêve à laquelle ils peuvent goûter cette semaine à New York.
Dans le tennis féminin, nombreux sont ces pères à avoir tout misé sur leur(s) fille(s) pour espérer s'ouvrir les portes de l'Eldorado. La liste est longue. Dans le désordre, citons, entre autres, Karolj Seles, Stefano Capriati, Peter Graf, Damir Dokic, Jim Pierce, Youri Sharapov et Richard Williams, père comblé par deux n°1 mondiales, Venus et Serena. D'une manière ou d'une autre, tous sont parvenus à leur fin, mais les dégâts psychologiques ont souvent été importants.
Peine de prison
Damir Dokic, père de Jelena, ancienne 4e mondiale, a ainsi saccagé l'existence de sa fille qui a raconté son calvaire il y a quelques mois. Victime de la folie de son géniteur, qui la battait quand elle n'obtenait pas les résultats escomptés, elle a progressivement glissé dans une dépression dont elle émerge à peine. Pour reprendre le contrôle de son existence, il lui a fallu briser net les liens avec ce père buveur et violent. Cela ne s'est pas fait sans douleur. Confrontée à la catastrophe que constituent des crises de boulimie, elle n'a plus eu, pendant longtemps, le physique d'une athlète de haut niveau. Aujourd'hui, elle va mieux, comme l'a montré son quart de finale à l'Open d'Australie en début d'année, mais reste fragile et ne deviendra sans doute jamais la championne qu'elle aurait pu être. Récemment, son père s'est, lui, retrouvé en prison en Serbie après de nouveaux débordements.
Mary Pierce a eu le bonheur de remporter deux titres du Grand Chelem, à l'Open d'Australie en 1995 et à Roland-Garros en 2000, mais pour elle aussi, l'addition a été salée en raison des exactions de son père, Jim, qui fut notamment éjecté des tribunes de Roland-Garros en 1993 pour s'y être mal comporté. «Why Mary Pierce fears for her life», titra Sports Illustrated, le magazine de sports américain quelques semaines plus tard après que Jim Pierce eut promis la mort à sa fille et à son épouse qui avaient décidé de prendre le large : «Je vais tuer tout le monde», leur avait-il lancé. A cette époque, Cindy Hahn, une journaliste américaine, réussit à révéler et à prouver que Jim Pierce s'appelait, en fait, Bobby Glenn Pearce et qu'il avait séjourné pendant un total de cinq années en prison pour divers larcins entre l'âge de 18 et 48 ans. Un passé ignoré de Yannick, son épouse française, et de ses enfants, Mary et David.
Religion
Malgré sa réussite sportive, qu'elle reconnaît devoir à son père, Mary Pierce n'a cessé depuis de dériver au gré de ses états d'âme. Pour donner un sens à sa vie, elle s'est notamment réfugiée dans la religion et passe beaucoup de temps dans une communauté sur l'Ile Maurice. Gravement blessée en 2006, elle se trouve actuellement en Floride où elle caresserait, à 34 ans, l'espoir de renouer avec la compétition. Son père est redevenu l'un de ses proches.
Cette religiosité avait fini également par toucher Andrea Jaeger, finaliste de Roland Garros en 1982 et Wimbledon en 1983, qui avait longtemps bataillé contre son père-entraîneur, Roland, violent avec elle. Aujourd'hui, l'Américaine, qui a préféré mettre un terme prématuré à son aventure sportive, est... nonne et s'occupe d'enfants atteints du cancer dans le Colorado.
Jennifer Capriati, 33 ans, victorieuse à trois reprises dans le Grand Chelem, n'a pas abandonné, comme Mary Pierce, le fol espoir de reprendre le collier après plusieurs années d'arrêt dues à des blessures. Voilà deux ans, elle avait déclaré à un quotidien new-yorkais qu'il lui arrivait d'avoir des idées suicidaires tant elle se sentait mal dans sa peau. Son père et mentor, Stefano, un ancien cascadeur dans des westerns spaghettis, n'aura pas été non plus une source de stabilité pour celle qu'il avait lancée dans les rangs professionnels à seulement... 14 ans. Devenue rebelle au cours de sa carrière, et lassée de cette vie que son père lui avait imposée, Jennifer avait même fini un soir au poste, en Floride, pour détention de marijuana et le vol d'un bijou fantaisie.
Comme Damir Dokic, Peter Graf, le père de Steffi, fut, lui carrément jeté en prison pour fraude fiscale après avoir «disjoncté» à cause des succès de sa fille qui, depuis, a coupé les ponts avec lui. Peter Graf était un entraîneur de tennis et avait la compétence pour conseiller techniquement la future n°1 mondiale dès son plus jeune âge. Mais ce n'est généralement pas la norme chez ces drôles de pères qui, dans la plupart des cas, n'ont pas la formation pour entraîner, mais obtiennent des résultats exceptionnels par leur seule force de conviction, leur sens de l'observation et, qui sait peut-être, leur amour.
Absence de compétences
Youri Sharapov, le père de Maria Sharapova, est l'un de ces pères qui ont su faire fi de leur absence totale de compétences pour propulser leur fille à la place de n°1 mondiale. Arrivé sans le sou en Floride avec Maria, laissant la mère de celle-ci en Russie faute de visa, il a d'abord réussi à convaincre Nick Bollettieri, le célèbre entraîneur, de s'occuper de son enfant pendant quelque temps puis il a progressivement endossé le rôle du coach. Depuis quelques mois, il s'est éloigné du circuit professionnel, à la demande de Maria qui n'était pas sans ignorer que l'agressivité de son père, à l'égard de certaines personnes, et des journalistes en particulier, commençait à devenir gênante.
Père de Venus et Serena, Richard Williams continue, lui, de promener sa douce folie à travers le monde. Aucune dangerosité en ce qui le concerne, même si certaines de ces déclarations ont pu, parfois, paraître agressives pour les adversaires de ses filles, élevées, à ses yeux, au rang de reines. Richard Williams a voulu que Venus et Serena deviennent championnes le jour où il a assisté à la remise des prix d'un tournoi à la télévision et où il a vu la grosseur du chèque. Dans le ghetto de Compton, en Californie, il a réussi à façonner cet extraordinaire destin avec, de surcroît, beaucoup d'intelligence. Contrairement à d'autres, il n'a pas polarisé ses filles sur le seul tennis, mais leur a donné une vraie éducation qui les a ouvertes à de nombreux sujets. Au cours de leur carrière, on les a souvent vues prendre leurs distances avec la compétition pour s'intéresser à la mode, la comédie ou le design. Les Williams, que l'on qualifiait alors de frivoles, ont ainsi évité de se «griller» et sont encore pleines d'entrain et d'envie plus de dix ans après leurs débuts professionnels. A elles deux, elles cumulent 18 titres du Grand Chelem en simple et s'amusent comme des folles sous le regard éternellement blasé de leur père, l'un des seuls à qui il faut bien rendre hommage...
Yannick Cochennec
Image de une: Damir Dokic regarde sa fille Jelena jouer contre Davenport, REUTERS/Kieran Doherty