Monde

La procrastination, maladie du siècle occidental

Temps de lecture : 3 min

La procrastination, maladie mortelle de toutes les civilisations moribondes, s’est infiltrée partout: du plus haut niveau des États jusqu’au niveau le plus intime de nos vies.

Être résolu date d’une autre époque | Keoni Cabral via Flickr CC License by

L’Occident semble intimement convaincu que son siècle est fini; que, pour lui, le monde était mieux avant, quand il avait tous les pouvoirs. Au lieu de réagir face à cela en contre-attaquant, en cherchant à reprendre l’initiative, en développant sa formidable culture, en étant fier de ses valeurs et en essayant de les inscrire dans la modernité, il ne fait que tenter de retarder son déclin qu’il pense inéluctable. Aussi est-il atteint de la maladie mortelle de toutes les civilisations moribondes: la procrastination.

Cette maladie est d’autant plus grave qu’elle s’est infiltrée partout; du plus haut niveau des États jusqu’au niveau le plus intime de nos vies.

Résignation

Le président des États-Unis procrastine en hésitant à attaquer la Syrie, en ne renvoyant pas de troupes en Irak face à Daech, en ne faisant rien pour réduire les monstrueuses inégalités dans le pays; en n’enrayant pas la machine à produire des prisonniers, des malades mentaux, des sans-abris, chaque jour plus nombreux; en laissant la dette publique croitre plutôt que de s’employer à la réduire.

De même, l’Europe procrastine en ne prenant pas les décisions qui s’imposent pour sauver durablement la zone euro (en créant un parlement propre à la zone, un budget et un trésor européen) et en ne partageant pas le fardeau et les opportunités que représenterait l’intégration des étrangers, comme le démontre la honteuse conduite des Européens à Vintimille.

La Grèce procrastine en refusant des réformes qu’elle sait pourtant inéluctables, puisqu’elle ne pourra continuer éternellement à réclamer aux autres Européens les moyens de maintenir un niveau de vie que son économie ne justifie pas; et les autres Européens ne pourront éternellement lui refuser l’aide qu’exige la solidarité politique de l’Union.

L’exécutif français procrastine lui aussi en ne prenant pas les décisions difficiles qu’exigent la situation de l’emploi, de la défense nationale, de l’école maternelle, de la formation permanente, des institutions. Et il procrastine aussi, comme tous les autres dirigeants du pays avant lui, en laissant augmenter la dette publique plutôt que de décider de la réduire. La plupart des villes procrastinent en ne dédiant pas tous les efforts nécessaires à la réduction de leur impact sur l’environnement et à la numérisation de leurs services.

Beaucoup d’entreprises procrastinent en ne prenant pas à temps les décisions qu’impose l’évolution à venir de la technologie et de la concurrence venue du reste du monde. Nos sociétés civiles procrastinent en ne décidant pas clairement de la conduite à tenir face aux nouveaux enjeux que proposent la science, tels la survie en situation de coma dépassé ou le statut des enfants nés à l’étranger par GPA de parents français.

Chacun d’entre nous procrastine aussi, parfois, trop souvent, en prenant tout son temps pour décider de choisir sa vie, d’échapper à la routine et à un destin préfabriqué. En refusant même de prévoir l’avenir, pour ne pas avoir à le choisir. En se résignant.

Sortir de la torpeur

Certains trouvent même de bonnes raisons de faire l’apologie de la procrastination, d’en faire même une doctrine. Pour eux, elle est une vertu, car elle revient à prendre son temps pour prendre la meilleure décision possible, pour ne pas se laisser imposer sa décision par les autres, ou même, pour d’autres, se mettre en situation d’avoir à décider au dernier moment, pour être plus créatif, dans l’urgence. Il n’est pas jusqu’aux marchés financiers qui n’y participent: si la dette publique est une mesure d’une partie de la procrastination, la faiblesse des taux d’intérêt indique l’indulgence du système financier à son égard.
À force de vouloir retarder un déclin qu’on croit inéluctable, on finira par le rendre irréversible, alors qu’il est loin de l’être.

À force de vouloir retarder un déclin qu’on croit inéluctable, on finira par le rendre irréversible, alors qu’il est loin de l’être

Pourtant, au moment où le reste du monde va si vite et décide sans état d’âme, il ne faudrait surtout pas se complaire dans l’indolence. L’Occident et ses valeurs peuvent survivre. À condition de sortir de cette torpeur. De décider vite, en tout domaine, avec courage, à tous les niveaux de nos sociétés.

Mais pour que nos réponses ne soient pas aussi erratiques, pour que la vitesse ne soit pas de la précipitation, encore faudrait-il être capable de les inscrire dans un projet; ainsi, le vrai refus de la procrastination, pour chacun de nous comme pour les dirigeants des entreprises et des nations, passe-t-il par une vision claire de l’avenir, pour soi et pour ceux qui dépendent de soi; par l’acceptation du monde comme il est, par le choix d’une grille de lecture des événements, d’un projet et d’une stratégie qui permettent de définir la conduite à tenir en toute circonstance.

Exercez-vous à décider plus vite. Faites aujourd’hui ce que vous espériez pouvoir retarder à demain. Ayez le courage de dire tout de suite non quand vous le pensez et oui seulement quand vous avez vraiment envie. Pour cela, méditez et agissez. Vous verrez: on se sent si bien.

Cette chronique est initialement parue dans L’Express

Newsletters

Recep Tayyip Erdoğan, saison 3: et maintenant, comment interagir avec la Turquie?

Recep Tayyip Erdoğan, saison 3: et maintenant, comment interagir avec la Turquie?

L'Europe ne s'attendait certes pas à sa réélection, mais elle aborde ce nouveau mandat de l'autocrate avec un atout en poche.

Pour comprendre ce qu'il y a dans le cœur des Russes, il faut lire Dostoïevski

Pour comprendre ce qu'il y a dans le cœur des Russes, il faut lire Dostoïevski

[TRIBUNE] Le peuple russe, rendu fataliste par une histoire chaotique, consent à la tyrannie. Et cela, nul ouvrage ne permet mieux de le comprendre que «Souvenirs de la maison des morts».

N'importe qui peut se faire avoir par la propagande

N'importe qui peut se faire avoir par la propagande

C'est si simple d'abuser de nos sentiments et de nos croyances.

Podcasts Grands Formats Séries
Slate Studio