Tech & internet

Internet, éternel bouc émissaire des faits divers

Temps de lecture : 4 min

Quand le premier réflexe des politiques en cas de drame est d'appeler à une «régulation» d'Internet.

Verrou informatique | Yuri Samoilov via Flickr CC License by
Verrou informatique | Yuri Samoilov via Flickr CC License by

Trois adolescents sont morts en Haute-Loire, samedi 13 juin, victimes d’une explosion alors qu’ils manipulaient des produits chimiques dangereux. Un quatrième a été grièvement blessé. Les enquêteurs ont relevé des traces «importantes d’acétone et d’acide chlorhydrique» –très probablement pour fabriquer des fumigènes artisanaux, selon le procureur de la République– dans la maison abandonnée où les victimes ont été retrouvées.

Comme le raconte Métro, on trouverait à l'origine du drame:

«une pratique "imbécile conseillée par des gens irresponsables" sur Internet, a dénoncé le parquet du Puy-en-Velay, qui envisage même de poursuivre le blogueur ayant mis en ligne la recette pour fabriquer ces fumigènes, sous réserve de pouvoir être identifié.»

Résultat, ce lundi matin, le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve a posé sur la table la question globale de la régulation d’Internet. Invité dans la matinale de RMC, il a ainsi expliqué que «cela renvoie à ce sujet, comme d’autres d’ailleurs, à la manière de réguler Internet, à la manière dont on doit agir sur Internet»:

«Vous connaissez ma position sur Internet, et d’ailleurs on me l’a reprochée parce que lorsqu’il y a eu la loi contre le terrorisme, j’ai proposé qu’on bloque les sites qui appelaient et provoquaient au terrorisme. Nous sommes sur la loi sur le renseignement, et vous savez que dans la loi sur le renseignement, je prends également des dispositions pour que tous ceux qui utilisent Internet, et notamment le dark net, pour procéder à des opérations à caractère terroriste soient condamnés. Internet est un espace qui doit être régulé. Et là, il faut effectivement que nous regardions très concrètement quelle est la suite judiciaire –il y a une enquête qui est en cours– qui peut être donnée, lorsque des individus sur Internet diffusent des informations qui peuvent aboutir à ce type de drame. […] A partir du moment où des informations diffusées sur Internet aboutissent à de tels drames, je pense qu’il y a des questions notamment au regard du droit –y compris du droit pénal– qui peuvent être posées.»

«Personne n'a songé à accuser Gutenberg au moment de la publication de Mein Kampf»

Au-delà de la responsabilité précise d'une ou plusieurs personnes, rebondir sur un tel drame pour dire qu'il faut réguler Internet en bloc revient à le tenir pour responsable. Or, Internet n’est pas une personne, c’est un moyen de communication: si quelqu'un prenait un mégaphone et lançait «C'est super bien de sauter du Golden Gate Bridge», estimerait-on qu'il faudrait réguler la vente de mégaphones si des gens suivaient son conseil?

Internet n'est pas le grand méchant loup. Internet est un réseau de réseaux et il peut servir de moyen de communication comme tant d'autres.

Comme l’expliquait notre journaliste Mélissa Bounoua dans le podcast Studio 404, en janvier dernier, peu de temps après les attentats de Charlie Hebdo, «à ce rythme-là, on va encore en entendre longtemps des phrases du type "les frères Kouachi se sont radicalisés sur Internet”, même si les journalistes auront beau prouver par A+B que non»:

«Internet n’est pas coupable. Point. Il y a vingt ans, on aurait dû blamer les téléphones portables. […] Internet n’est pas allé taper sur l’épaule des frères Kouachi pour leur faire organiser un attentat, ils s’en sont servis comme canal de communication. Je vais citer un journaliste du Monde et ce super point Godwin: "Les politiques accusent Internet mais personne n'a songé à accuser Gutenberg et l’imprimerie au moment de la publication de Mein Kampf.”»

Le Monde avait d'ailleurs pointé les exagérations du ministre de l'Intérieur sur le «djihadisme web», deux semaines après les attentats commis les 7, 8 et 9 janvier.

«Facebook, Twitter mais aussi SMS: tous coupables?»

Dans le même genre, en octobre dernier, Jillian C. York, directrice de la branche «Liberté d'expression dans le monde» de l'Electronic Frontier Foundation publiait une tribune intitulée «Terrorisme: Internet n'est pas l'ennemi», où elle estimait qu'en «s'attaquant au symptôme par des mesures trop peu discriminantes et en permettant aux États autoritaires d'utiliser des lois antiterroristes comme un prétexte à leur répression, le Conseil de sécurité de l'ONU est susceptible de menacer l'Internet libre et ouvert».

Et pourtant, ces dix dernières années, dès qu'il existe un moyen de relier Internet à un drame, les politiques et les médias plongent. En juin 2011, Jean-Laurent Cassely revenait sur la surinterprétation des faits divers à propos du meurtre d'une jeune adolescente à Florensac, près de Béziers:

«C'est le deuxième angle choisi: Facebook, c’est dangereux, mais en fait pas trop si on fait gaffe, juste parfois c’est dangereux quand même. Deux jours après le meurtre de la jeune adolescente de Florensac, l’affaire prend une tournure nouvelle avec les dernières précisions sur les semaines qui ont précédé le drame et, surtout, la visite sur place du ministre de l’Education nationale, Luc Chatel. Lequel fustige les réseaux sociaux et plaide pour un meilleur contrôle de Facebook. Il n’en faudra pas plus pour que ce tragique fait divers prenne la forme d’un "débat de société" sur les dangers des réseaux sociaux. Facebook, Twitter mais aussi SMS: tous coupables?»

Vous vous souvenez probablement de la petite phrase de Brice Hortefeux, qui ne visait évidemment pas les Arabes, mais les Auvergnats. Les images tournées par un journaliste de Public Sénat avaient ensuite été publiées sur le site du Monde. Vous avez cependant probablement oublié la petite polémique qui avait suivi, ainsi que les demandes de régulation d’Internet: les élus et personnalités de droite s’étaient illustrés en attaquant frontalement Internet, qui était bien entendu seul responsable dans cette histoire.

Next INpact avait alors fait un joli condensé de toutes ces déclarations, dont celle-ci d’Henri Guaino, alors conseiller de Nicolas Sarkozy, interrogé sur France Inter :

«Oui, je pense qu'il faut réguler [Internet]. On a commencé avec la loi Hadopi sur les droits... Il ne peut pas y avoir de zones de non-droit, il ne peut pas y avoir de zones de non-morale, il ne peut pas y avoir de zones qui échappent à tout, à toutes les obligations, les exigences sociales, ce n'est pas possible. [...] C'est un débat très profond, ne le caricaturons pas.»

Cinq ans après, malgré les nombreuses lois votées et le changement de majorité, le débat n'a toujours pas bougé.

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