Combien de femmes ressentent-elles qu'au fil des ans, elles doivent troquer le sex-appeal contre la confiance en soi? Pourquoi faudrait-il renoncer à l'un pour gagner l'autre? La semaine dernière, l'écrivain Hillary Fields faisait l'amer constat qu'à seulement 35 ans, elle pensait avoir perdu de son attrait, avoir renoncé à son audace pour voir émerger sa sagesse. A lire sa prose généreuse, j'ai pourtant l'impression que son charme agit encore bel et bien. Emma Gilbey Keller.
Voici ce qu'Hillary nous dit:
«Avant, j'étais sexy.
C'est du moins ce que je pensais. Et les hommes qui profitaient de mes charmes avaient en général la galanterie de ne pas me détromper. Ce qui, pour moi, revient à peu près au même. Le résultat était là : je suscitais les réactions que j'appelais de mes vœux.
Tout cela a beaucoup changé.
La donzelle en corset enrubanné et talons aiguilles, la noceuse qui mettait le feu sur la piste et à la gent masculine, s'est métamorphosée en une gentille bonne femme qui ne se soucie plus d'avoir une paire de chaussures pour "y aller" et une pour "y être". Celle qui exhibait avec fierté les charmes de sa jeunesse sur les comptoirs des bars s'excuse aujourd'hui des effets que la pesanteur et les années font subir à son corps.
Et je n'ai que 35 ans.
En seulement quelques années, mais après de sages et intenses réflexions (et modérations), mes charmes se sont évanouis. A leur place s'est installée une solide connaissance de ce que je suis, qui m'a fait réaliser, entre autres choses, qu'une grande part de mon érotisme se nourrissait en fait d'un immense sentiment d'insécurité; que je me vendais dans une quête éperdue de confiance en moi, frôlée furtivement le temps d'un regard appuyé, d'un coup d'un soir, d'un sifflement à mon passage, de tous ces échanges licencieux qui ne laissent au petit matin qu'un goût de cendres dans la bouche.
Autrefois, je dévorais les marques d'attention, me pavanant fière comme un paon, la tenue osée, pour le dire gentiment, et le geste effronté, pour le dire poliment. Je vivais dans l'illusion propre à la jeunesse, à cent à l'heure... jusqu'à ce que j'aie envie de m'arrêter.
Mais voilà qu'aujourd'hui, le dangereux démon de la nostalgie me fait regretter une partie de cette ancienne vie. Malgré les innombrables joies de mon existence actuelle - un mari adorable, des amis stables, un bon travail, un regard clair et une conscience en paix - il me manque quelque chose.
Certes, je me suis laissée aller, un peu. Sans être une sorcière mal fagotée, j'ai pris du poids, je ne me maquille plus tous les jours et je ne suis plus à la pointe de la mode. Je n'arrive plus à prendre tout cela autant au sérieux; après tout, je suis une adulte, et la vie n'est pas faite que de frivolités. C'est vrai, je ne suis pas aussi scotchante qu'à la grande époque. Mes... euh... atouts... n'ont plus leur lustre d'antan. Mais ce n'est pas vraiment ça le problème. Le vrai problème, c'est que j'ai perdu mon audace au change.
Aujourd'hui, je suis une femme mesurée. Et 90% du temps, ça me va. Je me sens en sécurité. Je me sens bien. Je me sens intelligente, indépendante, adulte et estimable. Je peux me regarder en face.
Sauf certains jours. Alors, je suis hantée par la superbe fille que je ne vois plus dans le miroir. La fille jeune, la fille sexy. La fille aux yeux vénéneux qui fait courir les hommes, la fille qui s'empare du monde avec des griffes vermillon. Alors, la conscience de ce que je suis devient un peu trop aigüe, et je me sens envahie par le regret et le doute, en manque d'une identité qui n'en a jamais été une (et qui n'aurait jamais dû en être une).
Toutes les femmes qui passent le seuil des 35 ans ressentent-elles cela? Je ne sais pas. Je sais juste que je dois jouer d'un autre charme. D'un charme respectable, d'un «charme de dame», peut-être.
Je suis convaincue que cela existe. Je le vois tous les jours chez des femmes que j'admire, chez des femmes mûres parfaitement épanouies qui ne sont pas des grands-mères assagies; chez des femmes qui sont, comme dit mon mari, «infiniment sexy, mais sans une once de naïveté juvénile»; chez des femmes qui s'aiment à 100 %, quelles que soient les chaussures qu'elles ont aux pieds.
Je n'en suis pas là. Mon charme intérieur n'est pas encore arrivé à maturité. Je l'invoque par toutes les potions en vogue possibles et imaginables, du régime «90 salades en 90 jours», aux marches forcées sur mon maudit tapis de course, en passant par la méditation sur tous les sommets de montagne (ou terrasses) qu'une non-yogi sujette au vertige et à une dose dangereuse de cynisme est capable d'atteindre. Je suis prête, volontaire et ouverte (dans l'ensemble). Mais jusqu'ici, je n'ai pas encore trouvé les clés qui me donneront accès à mon aura féminine profonde et authentique.
Je ne désespère pas. J'ai même décidé de transformer l'épreuve en «l'année des bonnes résolutions débiles», en essayant des techniques de réalisation de soi de plus en plus idiotes (il faut bien s'amuser au passage) jusqu'à ce que l'une fasse effet, ou que je me fasse une raison et que j'admette que je suis très bien comme je suis. En d'autres termes, je ne renoncerai pas avant de trouver un moyen d'être en complète harmonie avec moi-même, jusque dans cette infime partie de mon esprit qui continue de croire que les soutien-gorge push up et tous ces harnachements inconfortables sont indispensables à la bonne marche du monde.
Si vous avez découvert les moyens de retenir le charme insaisissable de la féminité, faites-moi signe... Je pourrai peut-être en prendre de la graine. D'ici là, je vais m'ancrer tranquillement dans mon bien-être, en m'accordant de temps à autre quelques pensées mélancoliques pour ce qui n'est plus.»
Hillary Fields
Traduit par Chloé Leleu
Image de une : Arko Datta / Reuters