Je ne sais pas si Brice Hortefeux est authentiquement raciste. Je ne le connais pas personnellement ; je n'ai jamais eu de conversation avec lui sur sa vision du monde; je ne sais rien de la manière dont il envisage les rapports entre êtres humains de nationalités, de religions ou même d'ethnies différentes... Ce que je sais, en revanche, c'est qu'il a une vraie tendance à balancer des plaisanteries ambigües. Et Fadela Amara a beau se promener de plateau de télévision en studio de radio pour expliquer que, lorsqu'il lâche qu'elle et lui sont «des compatriotes même si ça n'est pas évident», il fait référence à leur auvergnitude commune, elle est loin de dissiper mes derniers doutes.
De même, lorsqu'il oppose les « citoyens honnêtes et propres» aux sans sans-papiers (corollairement malhonnêtes et sales) ou suggère à Yama Rade de «ne pas revenir» d'un voyage officiel en Afrique, je me dis qu'il y a bien un léger problème...
Avec l'histoire du jour, et sans entrer dans la polémique sur l'usage qu'il convenait de faire d'un méchant bout de vidéo à peine audible, mon opinion s'affine: Brice Hortefeux est effectivement perméable à certains sentiments xénophobes et n'hésite pas, s'il est en confiance, à se laisser aller à leur expression. C'est sûr, son «Quand il y en a un ça va. C'est quand il y en a beaucoup qu'il y a des problèmes» n'est pas précisément un appel à la ratonnade, mais il ressemble au minimum aux vannes que l'on se lance aussi innocemment entre beaufs de la pire espèce qu'entre antiracistes assez notoires pour que le fameux axiome desprogien («On peut rire de tout, mais pas avec n'importe qui») reste valide.
Moi-même, je ne me prononcerai pas sur l'appartenance au premier ou au second groupe d'un raout estival de l'UMP où l'on se félicite d'être tombé sur un Arabe comme il faut « puisqu'il boit de la bière et mange du jambon». Chacun procèdera donc aux associations d'idées qui lui sembleront les plus pertinentes.
Ce qui est frappant, toutefois, c'est que les voix qui s'élèvent aujourd'hui pour condamner — et avec raison — les dérapages en série du lieutenant présidentiel sont souvent les mêmes qui, il y a quelques mois, faisaient de Siné le combattant de la libre expression au prétexte que ses sorties antisémites n'étaient, elles, que d'aimables galéjades sans conséquences.
Au moins autant qu'Hortefeux, Siné avait pourtant donné de nombreux exemples de ses préjugés avant «l'affaire», l'une au moins de ses éructations lui ayant même valu d'être condamné pour incitation à la haine raciale. Dans la chronique qui devait lui valoir d'être fichu à la porte de Charlie hebdo, il expliquait en substance que Sarkozy junior souhaitait se convertir au judaïsme pour épouser une héritière et donner un coup d'accélérateur à sa carrière... Rien de bien méchant, au final, mais tous les clichés franchouillards autour du juif et du pouvoir étaient résumés dans cette vilaine petite chronique.
S'il a de la suite dans les idées, le cartooniste radical devrait d'ailleurs voler au secours de son doppelganger ministériel, également victime de l'hystérie politiquement correcte et de la police de la pensée. «Eh quoi, devrait-il s'exclamer en Une de son hebdo éponyme, si l'on ne peut plus rigoler sans se faire emmerder par tout un tas de pisse-froid sans humour, où va-t-on?» Mais Nicolas Sarkozy, s'il est, autant que Philippe Val, soucieux de se désolidariser d'un tel boulet, pourrait lui aussi envoyer balader son collaborateur de trente ans. Hortefeux ne risquant pas de créer un gouvernement concurrent par vengeance, ce serait tout bénéfice.
Hugues Serraf
Image de une: Siné Hebdo.