Le dérapage de Brice Hortefeux, ministre de l'Intérieur, a donc été filmé; Le Monde.fr s'est procuré la vidéo, et la voilà sur le web. A-t-elle pu être trafiquée, comme l'a prétendu un militant? Aucune chance. Pourquoi? Comment truque-t-on une vidéo? L'explication.
Il y a deux façons de truquer une vidéo: par l'image et par le son.
Pour truquer l'image d'une vidéo, le plus simple est de filmer en plan fixe: une personne assise parle face caméra, vous sélectionnez le visage, vous le gommez, et vous remplacez par un autre visage qui prononce les mêmes mots, vous la calez sur le corps: le plan étant fixe, c'est presque comme une retouche photo. L'avantage sur internet — et plus pour très longtemps — c'est que les vidéos ne sont pas de très bonne qualité: elles comprennent des défauts liés à la compression. Ajouter de la pixellisation pour masquer les retouches ne paraîtra pas suspect pour une vidéo du web. Pour un monteur professionnel, c'est élémentaire.
Avec une caméra mobile, cela reste possible, mais nécessite de gros moyens, et surtout du temps. Si vous remplacez un visage filmé par une caméra qui se déplace, il faut faire se déplacer le nouveau visage; un film de sciences-fiction comme Cloverfield réussit par exemple des effets spéciaux très poussés, tout est en mouvement, mais ce sont des heures de calcul par plan pour définir exactement la rotation du visage: ce sont environ 25 transformations pour une seconde de vidéo en mouvement. Sur la vidéo de Brice Hortefeux, la caméra tourne autour du sujet, elle est sur sa droite et passe sur sa gauche dans un mouvement rotatif et le ministre lui-même ne reste pas statique.
Pour ce qui est de la transformation des sons, c'est enfantin si la personne est de dos. Comme on ne voit pas sa bouche, le falsificateur peut extraire des mots dans des discours prononcés par la personne dans le passé, puis recombiner l'ordre des mots. Ou ce n'est pas très bien fait, et c'est audible pour une oreille un peu exercée (questions de respiration, de silence peu naturels). Ou c'est extrêmement bien réalisé, alors une analyse des spectres sonores est faisable. Un enquêteur étudierait les fréquences audio, qui comporteraient des variations anormales: des ruptures du discours se visualiseraient sur un analyseur de spectres audio.
Mais sur la vidéo montrant Brice Hortefeux, la caméra tourne et on voit le ministre parler. Voir la bouche de la personne n'empêche pas de transformer la bande-son, mais à la première étude des sons s'ajoute celle de l'image: un oeil exercé décèlera une désynchronisation labiale.
Un grand merci à Guillaume Philippon, monteur.
Charlotte Pudlowski
Image de une:DR capture d'écran de la vidéo de Brice Hortefeux à Seignosse
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