France / Tech & internet

Les «jeunes» sénateurs face au projet de loi renseignement

Temps de lecture : 5 min

Ce 9 juin, le projet de loi renseignement a été adopté au Sénat, où il y a des sénateurs qui sont nés trente ans avant les prémices de l’Internet et d’autres qui ont connu le Minitel ados. On est allés voir du côté des «jeunes» pour connaître leurs positions sur la surveillance.

Manifestation contre le projet de loi renseignement | Eric Walter via Wikimedia commons License by
Manifestation contre le projet de loi renseignement | Eric Walter via Wikimedia commons License by

Amendé à plusieurs reprises, le projet de loi renseignement visant à renforcer les moyens de surveillance d’Internet et des communications téléphoniques a été adopté par le Sénat ce 9 juin. Et peut-être bien davantage par des «vieux», osons le terme, que par de jeunes sénateurs, à l’instar de David Rachline, benjamin du Sénat. L’élu Front national de 26 ans est le plus proche de ce que l’on peut appeler «la génération internet». Et il a voté contre le projet de loi renseignement.

«Moi, ça me gêne quand j’entends parler d’IMSI catcher, d’algorithme, de recul de la liberté d’expression, je suis choqué personnellement, c’est une atteinte à la liberté des Français et on ne peut pas justifier le fait que le gouvernement n’est absolument pas opérationnel pour lutter contre le terrorisme et l’islamisme en bridant les libertés sur Internet.»

Passé le stade des convictions politiques, le jeune élu explique s’être intéressé au projet de loi depuis son arrivée au Sénat sans pour autant être un spécialiste sur le sujet. Un petit contrôle des notions-clés suffit à le vérifier. S’il est au point sur les IMSI catcher, les fausses antennes permettant l’analyse des données téléphoniques, sa définition des boîtes noires est plus floue. Quant à celles des algorithmes, elle fait grimacer:

«Je ne suis pas spécialiste de la question mais je dirais que c’est un dispositif qui vise à restreindre notre capacité à être libres et à nous empêcher à conserver des espaces de liberté sur Internet.»

«Sénateur 2.0»

La bonne définition de l’algorithme, on la trouve chez Loïc Hervé, 35 ans, sénateur UDI de la Haute-Savoie et membre de la Cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés). Forcément, ça aide.

«L’algorithme, c’est une formule mathématique qui permet dans le cas du projet de loi renseignement de cribler des comportements qui seraient suspects en matière de terrorisme.»

Le Sénat a apporté des modifications importantes, mais ça reste insuffisant pour s’assurer qu’il n’y ait pas de dérives

Loïc Hervé, 35 ans, sénateur UDI de la Haute-Savoie

Le trentenaire se décrit comme un «sénateur 2.0» pour qui la semaine de débats au sein de la chambre haute a été bénéfique mais n’a pas suffi à apaiser les craintes sur la protection de la vie privée.

«Je pense que le Sénat a apporté des modifications importantes au niveau du rôle de la CNCTR [Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement] par exemple, également sur celui du Conseil d’État, mais ça reste insuffisant à mes yeux pour s’assurer qu’il n’y ait pas de dérives, le principe de chalutage et de criblage des données étant réalisé sans contrôle d’un juge.»

Si vous n’aviez rien suivi des débats autour de ce que beaucoup appellent maintenant le PJL (projet de loi renseignement), petite piqûre de rappel avec une vidéo de l’équipe de Datagueule qui résume les points sensibles.

Améliorations insuffisantes

Parmi les modifications obtenues par les sénateurs, on trouve notamment l’inscription dans la loi de la protection des données personnelles comme partie intégrante du respect de la vie privée, ce qui avait d'abord été écarté; l’encadrement des techniques de renseignement dans les établissements pénitentiaires par le Conseil d’État et l’accès aux fadettes (communication d’une personne) non plus sur demande des agents de sécurité mais d’une autorité supérieure (ministre ou personnes désignées par ce dernier); mais aussi la réduction de soixante à trente jours pour les autorisations de surveillance dans des lieux privés (pose de micro, de caméras ou installation de logiciels dans les ordinateurs) et le réexamen de la loi par le Parlement dans un délai maximal de cinq ans.

Si le texte soumis à notre examen avait été en vigueur, l’affaire Cahuzac n’aurait jamais pu être exposée

Cécile Cukierman, 39 ans, sénatrice membre du groupe communiste

Insuffisant, selon Loïc Hervé, qui avait proposé avec Catherine Morin-Desailly (sénatrice UDI de la Seine-Maritime) et Gaëtan Gorce (sénateur PS de la Nièvre), tous deux en dessous de la moyenne d’âge de l’Hémicycle, un contrôle à posteriori des fichiers concernés par la surveillance.

«On a proposé un amendement pour que la Cnil puisse vérifier en aval la manière dont les fichiers sont exploités car c’est là qu’on pourrait se rendre compte de la manière dont les choses se passent.»

Comparaison avec la Russie et «1984»

Pour lui, le vote d’un tel projet en l’état est «complètement paradoxal» au moment où les États-Unis commencent justement à remettre en cause la surveillance. En premier lieu avec la limitation de la récolte de données massives permise par la section 215 du feu Patriot Act remplacé par le Freedom Act. Il n’est pas le seul à comparer le PJL renseignement à des lois étrangères. Cécile Cukierman, plus jeune sénatrice du Palais du Luxembourg et fervente opposante du projet, avait osé la comparaison avec la Russie lors des premières discussions le 2 juin dernier.

«Nous rejoignons ainsi la Russie dans le club très fermé des pays qui ont transformé en norme un régime d'exception… En nous dotant d'un arsenal de surveillance de masse, nous allons pêcher l'anguille avec un chalut

La sénatrice de la Loire avait même enfoncé le clou et cité George Orwell en faisant le parallèle entre 1984 et 2015. Elle aussi a voté contre et avait notamment fustigé en séance les largesses permises par les IMSI catcher sur le recueil des communications.

«Si le texte soumis à notre examen avait été en vigueur à l’époque, l’affaire Cahuzac, par exemple, n’aurait jamais pu être exposée. Cette surveillance généralisée et l’absence de mesures visant à protéger les professions à risque, notamment celles du journalisme, mettront à mal les témoignages.»

Jeune et au courant?

Jean-Louis Masson faisait état de sa méconnaissance des réseaux sociaux sur RMC, le 2 juin 2010

Pas sûr que jeunesse soit synonyme de compétence sur les questions numériques. S'il est difficile d’imaginer qu’un jeune sénateur puisse en savoir aussi peu que Jean-Louis Masson, sénateur de Moselle, qui avait déclaré en 2010 ne pas savoir ce qu'était Twitter, Deezer ou l'iPad, ils ne sont pas tous spécialistes de la question.

Mathieu Darnaud n’en a par exemple pas fait son sujet de prédilection et comptait voter «pour», apprenait-on auprès de son assistant, le sénateur Les Républicains de l’Ardèche étant injoignable car «sûrement dans une zone non couverte par le réseau comme on en trouve beaucoup dans son département». Contrairement à plusieurs jeunes sénateurs, il n’a quasiment pas tweeté sur le sujet.

Même constat pour Jean-Baptiste Lemoyne, sénateur Les Républicains de l’Yonne peu disert sur les réseaux au sujet du PJL, ou encore Sophie Joissains, sénatrice UDI des Bouches-du-Rhône, zéro tweet à son actif et pas de post récent sur son blog ou sur Facebook ayant trait aux questions numériques. Pas évident donc de savoir si la jeune génération a voté dans l'ensemble «pour» ou «contre».

Cet article a été mis à jour le 9 juin à 16h10 après l’adoption du texte au Sénat, avec modifications en première lecture, par 251 voix pour et 68 contre.

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