Égalités

Caitlyn Jenner en une de Vanity Fair: une avancée pour les trans', un recul pour les femmes?

Temps de lecture : 6 min

Pour quelques-uns, la photo hyper-sexualisée de Caitlyn Jenner en couverture de Vanity Fair ne fait que renforcer les clichés et stéréotypes autour de la condition féminine.

La une de Vanity Fair [ Capture d'écran et montage.
La une de Vanity Fair [ Capture d'écran et montage.

Contrairement à ce qui aurait pu se produire il y a quelques années, les réactions au coming-out trans’ de Caitlyn Jenner –anciennement Bruce Jenner– en couverture de Vanity Fair ont été plutôt positives. C’est ce que montre un survol des réponses à son premier message sur le réseau social Twitter postant une photo de cette couverture, message retweeté près de 240.000 fois, l’ex-championne du monde de décathlon dans la catégorie masculine ayant d’ailleurs raflé plus de «followers» en une heure que le président américain lui-même.

Mais, parmi les twittos, certains (parfois par pure transphobie) n’ont pas manqué de faire remarquer qu’une image hyper-sexualisée d’une femme, fut-elle trans’, ne faisait que renforcer les clichés et stéréotypes autour de la condition féminine:

«Forcément, quand tu deviens une femme, la première chose à faire est d’enfiler un justaucorps et de faire la moue.»

«Caitlyn Jenner fait dès le départ du beau travail de renforcement des stéréotypes genrés.»

«La définition de l’objectification des femmes est de dire qu’un homme peut devenir une femme en ayant de la poitrine et en portant une jupe.»

«Vous ne pouvez pas vous opposer aux stéréoptypes genrés en célébrant quelqu’un qui lie le fait d’être une femme à la séduction.»

La même remarque a d'ailleurs été faite par Jon Stewart dans son émission The Daily Show. «Tu vois, Caitlyn, quand tu étais un homme, on pouvait parler de ton athlétisme, tes affaires, ta perspicacité. Mais maintenant, tu es une femme et tout ce qui nous intéresse, c’est ton apparence», a dénoncé avec une certaine ironie l'animateur.

Top-modèle en bustier

C’est aussi l’avis d’Eric Sasson, chroniqueur pour le magazine New Republic, qui intitule l’un de ses billets «Un pas en avant pour Caitlyn Jenner, un pas en arrière pour les femmes»:

«Jenner pouvait choisir entre de multiples façons de se révéler au monde. Le fait qu’elle ait choisi un moyen qui ne fait que renforcer la façon dont nos sociétés chosifient les femmes est un peu décevant.»

Critères de la féminité

Eric Sasson cite aussi Dana Beyer, directrice de l’organisation Gender Rights Maryland, qui se bat pour une approche plus tolérante du genre dans l’État de Maryland:

«Jenner a fait un super boulot lors de son interview avec Diane Sawyer [...] mais mettre un bustier et apparaître en top-modèle pour l’une de ses premières photos publiques, plutôt que de montrer un portrait d’une femme professionnelle et accomplie, est susceptible de donner une image fausse de la réalité des vies des personnes trans’.»

La haine transphobe, homophobe ou misogyne a une même racine commune: les stéréotypes qui sous-tendent les rôles genrés. Ce sont les mêmes conservateurs du genre qui s’en prennent bien souvent aux trans’ MtF et aux femmes, estimant que les premières ne correspondent pas aux «critères» de la féminité, exigeant des secondes qu’elles soient «plus douces» que les hommes, s’occupent plus des enfants, soient impliquées dans le foyer.

«Pendant des années les personnes transgenres ont été définies uniquement à travers leur sexualité. Il y aurait une triste ironie du sort si les trans’ finissaient par obtenir l’égalité seulement en se soumettant aux mêmes stéréotypes réducteurs qui ont toujours opprimé les femmes cis-genres (non-trans’)», écrit Eric Sasson.

Besoin de «rattrapper le temps perdu»

D’un certain côté, les personnes trans’ souffrent des stéréotypes genrés. De l’autre, de nombreux trans’ qui ont été interdits de vivre dans leur véritable genre adoptent des caractéristiques considérées socialement comme «féminines»... et précisément critiquées à ce titre par les féministes. C’est une contradiction que remarquait d’ailleurs déjà la philosophe Judith Butler en 1990, dans son essai Trouble dans le genre.

Mais avec un peu d'empathie, de bienveillance, ou simplement d'envie de comprendre, on peut aisément deviner la raison qui pousse certaines femmes trans' à adopter ces stéréotypes. Elles éprouvent un besoin de «compenser» cette longue période d’autoprivation, ce qu'explique à sa manière Brigitte Goldberg, présidente du collectif Trans-Europe:

«Les trans ne sont pas nées femmes et elle ne le seront jamais. Même opérées et ayant changé d’état civil, même à supposer une hypothétique acceptation de sa famille et de façon utopique, de la société toute entière, il faut comprendre que nous n’avons jamais eu ce qui n’appartient qu’à vous (les non-trans', ndlr), à savoir un passé de fille.

Cela explique le fait qu’au moment où nous commençons à nous sentir femmes de façon aboutie aussi bien physiquement que moralement, (les deux allant de pair), nous éprouvons le besoin de rattraper le temps perdu. Cela explique la féminité exacerbée de beaucoup d’entre nous et en particulier de celles qui, comme Caitlyn Jenner, ont fait leur transition tardivement

Fruit défendu

Irrésistiblement attirée par le rose

Je me souviens aussi d’un de mes premiers portrait d’une femme trans’, Carol, réalisé il y a cinq ans à San Francisco. Je l’avais accompagnée dans les rues de la ville, puis au marché, à travers les petites boutiques en plein air de marchands de vêtements. Carol était irrésistiblement attirée par le rose. De même, Carol affectionnait les portraits de pin-up, le vernis, les robes, le maquillage…

Je lui avais posé la question du pourquoi de cette attirance. Elle m’avait répondu que, pour elle, c’était comme un fruit défendu, le symbole de ce qu’on l’avait toujours empêché d’être. Une façon simple –et peut-être, oui, un peu simpliste– de revendiquer sa féminité. Au regard de sa souffrance passée — les insultes, les coups, les moqueries — et de son bonheur visible, je ne me voyais pas troubler la fête en lui faisant remarquer cette contradiction.

Ces symboles féminins sont pour Brigitte Goldberg une «réponse à la dureté du quotidien». «Nous sommes des écorchées vives et extrêmement sensibles à la moindre marque de reconnaissance. Le fait d’être reconnues par le sexe opposé comme ce que nous pensons être malgré tous les aprioris dont nous souffrons est pour nous une victoire sans prix», avance-t-elle, pour expliquer l'attachement particulier de certaines femmes trans' à la «galanterie».

Se fondre dans la masse

Une autre explication psychologique qui rend compréhensible l'attachement de nombreuses personnes trans' à ces stéréotypes est aussi le besoin de normalité qu'elles ressentent après avoir été si longtemps rejetées dans les marges, comme l'explique Clémence Zamora-Cruz, porte-parole de l’Inter-LGBT en charge des questions trans':

«Oui, certaines femmes trans tiennent aux clichés féminins. Chercher à tout prix coller aux stéréotypes de genre s'appelle avoir un bon passing. Je repousse l'idée du passing car cette idée de beauté est un diktat de la société. Mais il faut cependant avoir de l'empathie pour ces personnes car, ce qu'elles cherchent au fond d'elles, c'est à se fondre dans la masse, et à ne plus se faire remarquer.»

«Nous nous raccrochons tous à ces stéréotypes parce que, que nous le voulions ou pas, ils font partie de notre éducation et constituent un point de référence. L’essentiel est de ne pas en être dupe», complète Brigitte Goldberg, qui tient aussi à nuancer l'impact des clichés sexistes sur l'égalité entre hommes et femmes:

«On a tendance à croire que l’égalité des sexe passe par la négation de la différence, ce qui me semble dangereux. Je ne vois pas ce qui empêcherait une femme PDG ou pilote de chasse d’être féminine.»

Obtenir l’égalité pour les femmes s’est parfois fait au nom de considérations qui seraient vues comme bien rétrogrades par les militantes d’aujourd’hui, comme lorsque l’artiste Niki de Saint Phalle, pourtant unanimement regardée comme une féministe et dont on a pointé la modernité, revendiquait le fait que «les femmes sont au niveau biologiques plus attentives et attentionnées». Ne demandons pas trop aux personnes transgenres: elles ne peuvent pas miraculeusement faire mieux que les autres, alors qu’elles viennent à peine de sortir de l’ombre.

Nota bene: nous avons après publication apporté quelques ajouts à cet article, à savoir les citations de Clémence Zamora-Cruz et Brigitte Goldberg, la vidéo de de Jon Stewart ainsi que des précisions sur les tweets d'utilisateurs.

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