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La gauche israélienne doit se remettre en question

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Deux mois après sa défaite aux élections législatives, elle s'enfonce dans l'atonie face au gouvernement de Benjamin Netanyahou. Et le processus de paix avec elle.

Au QG de campagne d'Isaac Herzog, le 17 mars 2015. REUTERS/Baz Ratner.
Au QG de campagne d'Isaac Herzog, le 17 mars 2015. REUTERS/Baz Ratner.

Les Anglais sont maîtres dans l’art de pratiquer la véritable démocratie. Ils savent tirer les leçons des échecs et prendre les mesures immédiates dans l’intérêt de leur parti. Le leader travailliste Ed Miliband a ainsi annoncé sa démission, le 8 mai, après avoir subi une lourde défaite aux élections législatives. Il s’est expliqué aux fidèles de son parti: «Ce n’est pas le discours que j’aurais souhaité faire. Le Labour a besoin d’un leader fort. Il a besoin de se reconstruire.» Sa décision de partir s’imposait pour garantir l’avenir de sa formation.

En Israël, le travailliste Isaac Herzog, «victime» comme Miliband de sondages flatteurs (ils annonçaient son parti quelques sièges devant le Likoud de Benjamin Netanyahou), n’a pas cru devoir se démettre de son poste après sa défaite aux législatives du 17 mars, et laisse son parti s’étioler au fil de ses échecs et des renoncements de quelques-uns de ses dirigeants. Les conséquences se mesurent encore aujourd’hui au niveau de la politique du pays: une gauche atone entraîne l’affaiblissement du camp de la paix en Israël et laisse le champ libre aux nationalistes. Mais les travaillistes ne peuvent s'en prendre qu'à eux-mêmes, et d'ailleurs George Bernard Shaw l'avait écrit : «S'il n'y avait pas les socialistes, le socialisme gouvernerait le monde entier.»

La nécessité d’un équilibre des pouvoirs est pourtant indispensable pour faire bouger les lignes car l’omnipuissance de Benjamin Netanyahou, face au vide de l’opposition, mène à l’inertie. La politique ronronne à la Knesset. L’opinion publique, soumise au seul dogme imposé par la majorité, est acquise aux thèses de droite: selon les tenants de la droite nationale, les Palestiniens doivent être expulsés manu militari, comme le furent les habitants juifs des implantations de Gaza. Ceux qui seraient exceptionnellement maintenus dans leurs foyers seraient privés des droits politiques, des avantages et des prestations israéliennes. Face à eux, les Israéliens qui s’élèvent contre ces mesures sont considérés comme des traîtres au pays. Les appels signés par des intellectuels, taxés souvent à tort de gauchistes, n’ont aucune portée locale car, non relayés par le Parlement, ils sonnent creux.

Phase de coma

Le parti travailliste était déjà passé dans une phase de coma lors de la scission qui a poussé Ehud Barak, alors ministre de la Défense, à partir avec la moitié de ses députés pour fonder le micro-parti Haatsmaout («Indépendance»), entièrement inféodé au Likoud. Il avait ainsi concentré sur lui des haines qui perdurent encore aujourd’hui et qui ont poussé à la désaffection du parti. Écrasées par les caciques, qui verrouillaient les postes de responsabilité, les figures montantes, symboles du renouveau de la classe politique et du camp de la paix, ont déserté pour s’enfermer dans le silence.

Ce déclin de la gauche explique la stagnation du dialogue avec les Palestiniens. Les travaillistes avaient soutenu les processus de paix quand ils étaient au pouvoir. Ils ont été à l’origine des accords d’Oslo de 1993, signés par Yitzhak Rabin et le chef de l’OLP, Yasser Arafat. À partir de 2001, leurs déroutes systématiques aux élections les ont marginalisés pour le transformer en parti d’appoint dans des coalitions de droite avec Ariel Sharon puis du centre avec Ehud Olmert et enfin du Likoud avec Benjamin Netanyahou. Le parti travailliste s'est disqualifié progressivement pour ne plus constituer une alternative politique crédible. Il s'est rétracté sur lui-même, a campé sur ses vieilles positions, s’est appuyé sur des dogmes périmés, n’a plus innové, plus bougé, ne s'est pas remis en cause. Au lieu d’analyser les vraies raisons de leur déclin, les travaillistes ont attribué leur défaite à une dérive centriste, sinon droitière, de l’électorat israélien sans prendre les mesures adéquates.

Et pourtant, le parti est solidement implanté grâce à ses milliers de militants encartés et ses cadres actifs expérimentés détenant le pouvoir dans plusieurs grandes villes. Mais il ne pourrait envisager une alternance que si un travail de rénovation était entrepris pour faire émerger de nouveaux jeunes leaders. Il ne manque pas de talents mais les ambitions ont été étouffées par les professionnels de la politique vissés à leur fauteuil.

Il est donc facile à Benjamin Netanyahou d’exploiter le désarroi des vaincus en cherchant à en débaucher quelques-uns pour arrondir sa coalition gouvernementale. Il occupe le terrain dans l’atonie complète de l’opposition et en ne proposant aucune initiative pour résoudre le conflit israélo-palestinien. Sa majorité lui permet de camper sur une position intransigeante puisque le pouvoir ne peut pas lui échapper. Par ailleurs, la relative faiblesse de la politique internationale de Barack Obama le conforte dans son bras de fer avec le président américain.

Besoin d'un chef militaire

Face à lui, le réveil des travaillistes n’est pas encore planifié car Isaac Herzog n’a pas tiré les conséquences de son échec aux élections. Il n’est pas arrivé à surfer sur le mécontentement d’une large partie de la population israélienne, pénalisée par l’option ultra-libérale du gouvernement. Israël va bien mais la population pauvre augmente. Les statistiques du chômage sont faussées car les agences de l’emploi n’inscrivent que les seuls demandeurs d’emploi qui peuvent prouver un an de travail continu, et qui obtiennent seulement trois mois d’indemnités. Les autres sont ignorés et ne bénéficient pas d’allocation chômage: c’est la version moderne du plein-emploi. Cela entraîne des mesures perverses de la part des entreprises, qui licencient du personnel après 10 mois de travail, sans indemnités.

Mais les travaillistes ont commis l’erreur d’ignorer la mentalité israélienne, qui fonde ses choix sur la sécurité du pays. Or, la liste qu'ils ont présentée en mars ne contenait aucun général qui pouvait leur apporter sa caution sécuritaire. Beaucoup de jeunes «gauchistes» certes, mais peu d’anciens hauts militaires d’active. Le seul qui aurait pu relever le défi était l’ancien chef d’état-major Shaoul Mofaz, qui a été écarté.

Comme chef de l’opposition, Herzog ne fait pas le poids avec son manque de charisme et son absence de qualités oratoires en raison de sa voix nasillarde. Les Israéliens ne l’ont jamais vu comme Premier ministre, et pourtant lui s’accroche à son poste. Au moment où le Hamas réactive le front sud et où le Hezbollah pointe ses milliers de missiles sur Israël, seul un leader disposant d’une expérience au combat peut siéger au sein du gouvernement. D’ailleurs, la plupart des anciens chefs militaires finissent à la tête de mairies ou d’entreprises d’État, à l’exemple de l’ancien commandant de l’aviation, Ron Huldai, qui dirige la ville de Tel-Aviv. Et les deux seules victoires travaillistes ont été obtenues lorsque des anciens chefs de Tsahal étaient aux commandes du parti: Yitzhak Rabin en 1992 et Ehud Barak en 1999.

Mais face à tous ces généraux de gauche, Benjamin Netanyahou avait compris le danger: il a fait voter une loi qui leur impose un délai de trois ans pour entrer dans la vie politique au sortir de l’armée. Le dernier chef d’état-major, Benny Gantz, qui avait résisté au Premier ministre en refusant d’attaquer l’Iran en 2009, aurait été le candidat idéal pour prendre en mains les destinées des travaillistes, mais il devra donc attendre le 1er janvier 2018 pour entrer en politique. En attendant, la gauche s’enfoncera encore dans les oubliettes de l’opposition et les Palestiniens dans le désespoir.

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