Économie

Le démantèlement d'Areva pourrait profiter à beaucoup de monde

Temps de lecture : 6 min

La fin de la construction ébauchée en 2001 est une satisfaction pour EDF et les politiques qui réclamaient cette solution depuis longtemps. Mais elle pourrait aussi offrir des opportunités à d'autres groupes français ou étrangers, voire aux finances de l'Etat en cas de vente d'une partie du capital.

REUTERS/Christian Hartmann.
REUTERS/Christian Hartmann.

Le démantèlement d’Areva est acté. Aucun des grands patrons de l’industrie interrogés sur le sujet ne voit comment ce scénario pourrait être évité compte tenu des 4,8 milliards d’euros de pertes enregistrées en 2014. Le gouvernement pousse dans le même sens. A ce niveau de consensus, la messe est dite.

Evidemment, sur un chiffre d’affaires de 8,3 milliards d’euros l’an dernier, le déficit est abyssal. Mais si l’on regarde de plus près, le groupe a affiché un excédent brut d’exploitation de 735 millions d’euros et le carnet de commandes de 47,5 milliards d’euros à la fin mars, représente plus de cinq ans de chiffre d’affaires. De quoi faire bien des envieux. Mais il s’agit, à travers les comptes de l’an dernier, de finir de solder l’ère Lauvergeon après un premier nettoyage (2,5 milliards d’euros de pertes en 2011) entrepris par son prédécesseur Luc Oursel, décédé en décembre dernier et aujourd’hui remplacé par Philippe Varin.

Ainsi, l’édifice sur lequel repose le nucléaire français depuis 2001, après que son ancienne patronne Anne Lauvergeon eut fusionné les activités de la Cogema, de Framatome et de CEA Industries, est en cours de démolition.

Une opération imaginée par la droite et bouclée par la gauche

Le groupe avait eu l’ambition de devenir un leader intégré du nucléaire au niveau mondial, regroupant toutes les activités de l’extraction de l’uranium et son enrichissement jusqu’au recyclage du combustible usé en passant par la conception des réacteurs. Le gouvernement de Lionel Jospin avait donné son feu vert à la construction de cet édifice dont l’Etat détient aujourd’hui 87% du capital. Et c’est un autre gouvernement de gauche, celui de Manuel Valls, qui donnera le signal du démantèlement, écrivant cette histoire à l’envers.

C’est donc sous le mandat de François Hollande que va s’opérer la rupture que l’ancien patron d’EDF Henri Proglio, mis en place par Nicolas Sarkozy, appelait de ses vœux. Il avait obtenu le leadership de la filière nucléaire en 2010 et la tête d’Anne Lauvergeon l’année suivante. La droite s’était engagée sur la voie du démantèlement, la gauche va le réaliser.

Pour Philippe Varin, c’est un nouveau dossier complexe à mener. Sa nomination l’an dernier à la tête d’un groupe public n’a pas manqué d’étonner, lui qui avait été sévèrement pris à parti dans ses fonctions précédentes par Arnaud Montebourg, alors ministre du Redressement productif. Il n’était pas, jusque là, un spécialiste du nucléaire.

Comme patron d’industrie, il privilégie les logiques financières. Il sait conduire de grandes manœuvres. Parmi ses faits d’armes, il a redressé le sidérurgiste anglo-néerlandais Corus… qu’il finalement vendu à l’indien Tata. Il a aussi sorti PSA Peugeot Citroën de l’ornière… en cédant une partie de son capital au chinois Dongfeng ainsi qu’à l’Etat français. Opérant, dans chaque cas, de lourdes suppressions d’effectifs comme avec la fermeture de l’usine Citroën d’Aulnay. Pour Areva, c’est une autre cure d’amaigrissement qui va être prescrite.

On avait compris, à la présentation des comptes 2014, que la remise à niveau du géant du nucléaire passerait par des ventes d’actifs. Déjà en 2010, le groupe avait vendu à Alstom et Schneider Electric sa division dans la transmission et la distribution d’électricité. Début 2015, il était question de la cession de ses activités dans les énergies renouvelables, qui représentent 2% du chiffre d’affaires et dont le sort n’est toujours pas scellé.

Aujourd’hui, le scénario qui se profile devrait conforter la place d’EDF comme chef de file de la filière nucléaire française, puisque la reprise par l’électricien des activités d’Areva dans les réacteurs –en fait, le périmètre de l’ancienne société Framatome– se met en place.

«Cette opération a du sens», commente Louis Gallois, en tant que président du think tank La Fabrique de l'industrie. La question ne porte plus sur le principe, mais sur le mode opératoire. EDF l’a confirmé et Areva, qui a feint l’étonnement au départ, étudie les modalités.

De toute façon, puisque le gouvernement y est favorable et qu’il est majoritaire des deux côtés, il n’existe pas d’opposition possible du côté d’Areva. Lorsque Jean-Bernard Lévy, patron d’EDF, révéla l’hypothèse d’une reprise avec le feu vert du gouvernement, Ségolène Royal, ministre du Développement durable en charge de l’énergie, avait promis une «décision rapide» sur le rapprochement des deux entreprises. Et Emmanuel Macron, ministre de l’Economie également en charge de l’industrie, prônait une «convergence». Des déclarations destinées à préparer le terrain. Maintenant, on entre dans le dur.

Le bal des «partenaires»

La vente de l’activité réacteur devrait permettre de renflouer Areva et de rétablir avec EDF des passerelles qui avaient été désertées au moment des tensions entre les deux directions. Rendez-vous est pris pour les ministres le 3 juin avec François Hollande et Manuel Valls pour définir le périmètre de l’opération.

L’apport de cash pourrait être complété par des cessions d’autres activités ou des partenariats pour réduire les engagements d’Areva. Engie, ex GDF-Suez, est sur les rangs, mais également d’autres acteurs chinois du secteur, déjà partenaires du groupe français. Les prétendants ne doivent pas manquer, compte tenu de son importance sur le marché du nucléaire.

On imagine aussi que Total s’intéresse au dossier: son ancien patron Christophe de Margerie avait souvent fait état de son intérêt pour le nucléaire comme axe de diversification.

Certes, la tragédie de Fukushima a pu doucher l’entrain de certains opérateurs. Mais les cycles du nucléaire sont extrêmement longs. Et même si cette catastrophe a donné un coup d’arrêt à la progression de l’atome civil (la part du nucléaire dans la production mondiale d’électricité est passée de 17% à 12%), les industriels du secteur de l’énergie ne désarment pas. Pour eux, le démantèlement d’Areva ouvre l’accès à des parts de marché dans certaines de ses activités.

Reste maintenant à savoir qui décidera de la stratégie du nucléaire en France, et plus globalement de la politique énergétique du pays. De nombreuses voix s’étaient élevées contre l’abdication de l’Etat en faveur d’EDF, entreprise dans laquelle le lobby nucléaire aurait empêché le déploiement d’autres formes d’énergies. Actuellement, face à une production d’électricité à 75% d’origine nucléaire, les énergies renouvelables ne pèsent que 19%.

Un revers de fortune qui profite à EDF

La montée en puissance d’Areva après 2001 avait modifié les rapports de force avec l’électricien, mais pas inversé la tendance en faveur de l’atome. Simplement, Areva avait fini par imposer ses choix technologiques. Le bras de fer franco-français s’était soldé par une perte d’efficacité sur tous les tableaux.

Par exemple, face à l’effacement de l’Etat sur fond de libéralisation, EDF a voulu s’affranchir des choix d’Areva en s’approvisionnant en uranium auprès de concurrents du groupe français et en s’intéressant à des projets de réacteurs étrangers. Areva, tout à son ambition de devenir un ensemblier du nucléaire, a de son côté répondu à des appels d’offres internationaux en s’affranchissant du soutien de l’électricien français, comme à Abou Dhabi, où le marché fut remporté par la Corée. Le nucléaire français jouait perdant-perdant. Nicolas Sarkozy siffla la fin du bras de fer en rendant à EDF son rôle de chef de file.

Mais les choix en matière d’énergie sont d’abord politiques. L’Etat va-t-il profiter de cette remise à plat des compétences pour reprendre la main et redistribuer les rôles en fonction d’une politique de l’énergie plus clairement assumée et mieux adaptée au nouveau contexte international et environnemental? Plus précisément, EDF, encore plus investi dans le nucléaire, voudra-t-il développer les énergies renouvelables à l’heure de la transition énergétique? Et qui lui fixera des objectifs et les contrôlera?

De toute façon, le démantèlement d’Areva sert les intérêts d’EDF, qui n’aura plus seulement le titre mais aussi les moyens de faire valoir son rang dans la filière nucléaire. Reste à savoir quel montage sera privilégié, dans la mesure où l’électricien est lui-même confronté à l’obligation de mener de lourds investissements (au total, 55 milliards d’euros) pour adapter ses 58 réacteurs nucléaires aux normes de sécurité requises.

On pourrait aussi imaginer que, perdant un peu de sa dimension stratégique, le futur Areva pourrait être autorisé par sa tutelle à ouvrir son capital à des partenaires industriels étrangers. Ainsi, le groupe pourrait être renfloué sans que l’Etat français ne soit obligé de mettre lui-même la main à la poche. Ce qui ne serait pas sans intérêt pour les deniers publics.

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