Chaque année, un tiers de la nourriture destinée à la consommation humaine finit à la poubelle. C’est énorme, et les initiatives de lutte contre le gaspillage alimentaire se multiplient dans le monde depuis la publication de ce chiffre alarmant dans un rapport de la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture). Derniers exemples en date, en France, l’Assemblée nationale a voté des mesures pour empêcher les supermarchés de jeter les invendus alimentaires. À New York, le chef Dan Barber a lancé un restaurant pop-up à base de produits qui allaient être jetés et vient d’annoncer qu'il va concocter des burgers avec des restes pour la chaîne Shake Shack.
Mais, comme le souligne National Geographic, un domaine est souvent oublié dans ces démarches, celui des produits de la mer. On a l’habitude d’acheter des filets de poissons bien proprets et ce n’est possible que parce que des milliers de tonnes de déchets, têtes, queues, écailles ou peaux sont jetés, souvent dans l’eau directement. Il ne s'agit pas tout à fait de gaspillage alimentaire, car tous ces morceaux peu appétissants sont rarement destinés directement à la consommation –bien que des recettes existent!– mais ils constituent des déchets organiques très importants, que l’on pourrait certainement recycler, au même titre que les épluchures de patates compostées.
Une solution consiste à fabriquer une matière noble: Craig Kasberg, capitaine d’un bateau de pêche de saumon en Alaska, et son collègue Zach Wilkinson ont ainsi lancé cette semaine une opération sur Kickstarter, pour vendre leurs portefeuilles réalisés avec du cuir fabriqué avec de la peau de saumons issus de la pêche dite durable. Leur entreprise, Tidal Vision, pourrait même un jour transformer la carapace des crabes et les coquillages en vêtements antimicrobiens high-tech.
Réduire les déchets et encourager la pêche durable
L’idée est donc de fabriquer de beaux produits à partir de ce qui devrait être jeté. «Je voulais créer des produits visibles, pour que les consommateurs puissent montrer leur soutien aux pratiques de pêche durable, avec l’espoir d’apporter une prise de conscience sur les thématiques liées à la durabilité des océans», explique Kasberg à National Geographic.
Transformer la carapace des crabes et les coquillages en vêtements antimicrobiens high-tech
Mais… est-ce que les portefeuilles sentent le poisson? Non, car les huiles naturellement présentes dans les peaux sont remplacées par des huiles de tannage ou protectrices naturelles. Du coup, l’objet sent le cuir, tout simplement.
La tannerie Tidal Vision a donc commencé à fabriquer des accessoires, mais aussi des feuilles de cuir de saumon pour les bricoleurs et les designers. Craig Kasberg raconte que des fabricants de guitares, de meubles et de chaussures ont déjà montré un certain intérêt pour cette matière.
Tidal Vision veut développer le concept aux États-Unis, mais il y a déjà un petit marché du cuir de saumon dans le monde. Par exemple, en Patagonie chilienne, Stiven Kerestegian rachète aux entreprises d’aquaculture des peaux de saumons, ce sous-produit encombrant qui n’a presque pas de valeur. Future Mag l’avait rencontré en 2014. Il sélectionne les plus belles et raconte qu’il les transforme en «cuir haut de gamme», dans une tannerie traditionnelle, avec des méthodes presque identiques à celles utilisées pour la peau de bœuf.
Il explique aussi très bien les avantages: le cuir de saumon est très solide, souple (donc parfait pour des étuis de smartphone, par exemple) et facile à travailler. Pour l’instant, cette matière lui sert à fabriquer les semelles de chaussons en laine. Et, en plus de recycler des déchets organiques, il créé de la valeur. L'entrepreneur affirme ainsi que lui et ses artisans sont «capables de transformer ce déchet en quelque chose qui a encore plus de valeur au kilo que le filet de saumon».