Culture

Que se passe-t-il vraiment dans le film «Un Français»?

Temps de lecture : 5 min

Selon le réalisateur Diastème, son film sur la repentance d’un skinhead français «fait peur» aux salles de cinéma. Et pourtant, après visionnage du film, difficile de comprendre pourquoi.

Photo tirée du film «Un Français», réalisé par Diastème. Via Allociné
Photo tirée du film «Un Français», réalisé par Diastème. Via Allociné

Un Français, c’est l’histoire de Marco, un skinhead (interprété par Alban Lenoir) que l’on voit évoluer sur plus de trente ans, tentant de laisser de côté la haine et la violence pour se racheter. «C'est le parcours d'un salaud qui va tenter de devenir quelqu'un de bien», raconte le synopsis du film.

Plusieurs médias le présentaient déjà comme l’équivalent français de films comme American History X, sorti en 1998, ou de This is England, sorti en 2006, c'est-à-dire une plongée dans le monde des skinheads néo-nazis (les boneheads), ici entre 1984 et 2013.

Mais à quelques jours de la sortie en salle (prévue le 10 juin 2015), le réalisateur du film Patrick Asté, alias Diastème, a publié sur son blog mardi 26 mai un message pour exprimer son indignation et sa déception. La coproductrice du film, Marielle Duigou, lui a appris que «les 50 avant-premières du film qui devaient avoir lieu dans 50 villes de France le mardi 2 juin [étaient] annulées». Il a également rapporté que le nombre de salles où le film doit être projeté («plus de 100 salles» à l’origine) est passé à «moins de 50, et encore, pas sûr». Et quand il a cherché à comprendre, les réponses sont restées évasives:

«Les exploitants ne veulent pas le film, ils ont peur.

Peur de quoi?

Je ne sais pas.

Les 50!?

Ben faut croire.»

Mais dans quel pays est-ce qu'on vit?!

Diastème, réalisateur du film, sur son blog

«Mais dans quel pays est-ce qu’on vit!? Sans déconner!?» se demandait alors Diastème, avouant sa honte à prononcer cette phrase.

Projections annulées

Un post qui a largement été repris par les médias, qui n'ont pas hésité à insisté sur la «peur» des exploitants de cinéma. Face à la polémique grandissante, Mars Films, qui distribue Un Français, a publié un communiqué pour expliquer que le film «n’a pas été “déprogrammé avant sa sortie» et qu’«aucune avant-première n’a été annulée».

Tard dans la nuit, Diastème a publié un nouveau post sur son blog où il dit regretter les proportions prises par la polémique, en soulignant néanmoins que, «sur les 50 avant-premières proposées, nous ne sommes plus qu’à 42 refus, 8 villes ont décidé d’en faire une, ce qui est déjà une vraie victoire». Selon la page Facebook officielle du film, il y a neuf avant-premières prévues. Le film va être projeté à sa sortie dans une cinquantaine de salles, deux fois moins que ce qui était prévu au début donc.

La société a également souligné avoir reçu de nombreux «commentaires violents, agressifs et menaçants depuis la mise en ligne de la bande-annonce». Dans une interview pour Allociné, l’acteur Alban Lenoir affirme que le réalisateur et lui-même reçoivent «des menaces depuis quelques temps». Le site nationaliste La Gauche m’a tuer, qui n’a vraisemblablement pas vu le film, dénonçait il y a quelques semaines un «film bobo insultant la nation et les Français».

Images violentes

D’où vient alors cette supposée méfiance autour d’Un Français? Est-il compliqué aujourd'hui de montrer des scènes de violences racistes ou une image du Front national que les premiers intéressés cherchent à oublier? Plusieurs projections presse ont eu lieu ces dernières semaines et, de l’aveu d’un journaliste ayant assisté à l’une d’entre elles, tout s’est déroulé normalement, comme pour un autre film. Slate.fr était présent à l’une de ces projections, et il faut dire que l’on a encore du mal à comprendre toute la fébrilité que le film a pu provoquer.

La première demi-heure du film montre effectivement des images assez crues

Tout d’abord, il faut bien distinguer les deux parties du film. La première, qui dure environ trente minutes, montre effectivement des scènes de violences assez crues perpétrées par Marco et sa bande de skinheads dans les années 1980 et 1990. On les voit tabasser et humilier un jeune homosexuel ainsi que plusieurs Français d’origine maghrébine, frapper des «redskins» (mouvance anti-bonehead) avec des battes, en menacer d’autres avec un couteau de boucher, etc. Le moment le plus éprouvant, qui apparaît aussi dans la bande-annonce, montre Marco impuissant face à son ami Grand-Guy, bien décidé à faire boire du déboucheur d’évier à un homme noir. Diastème n’épargne rien au spectateur: il montre les insultes, les humiliations, les coups, le sang, les cris, la haine aussi.

Mais ces images ne sont pas seulement violentes: elles dépassent le cadre de la fiction. En effet, Diastème s’est largement inspiré d’événements ayant jalonné l’histoire de l’extrême droite en France depuis 1984, des affrontements entre punks et skinhead aux débordements des défilés du Front national en 1995 et de la Manif pour tous en 2013.

Ces passages violents, largement repris dans la bande-annonce, ont sûrement participé à l’emballement des médias et des réseaux sociaux. Mais ils ne représentent qu’un tiers du long-métrage.

Un homme perdu

«Un Français» n'est pas moralisateur, mais ne fait pas l'apologie de la violence non plus

Car Un Français suit le parcours d’un homme perdu dans ses convictions politiques, qu’il exprimait par la violence et qui vont finir par l’effrayer. Il suffit de guetter les yeux du personnage interprété par Alban Lenoir. En apparence lourds et remplis de colère, ils dévoilent une fragilité dès les premières minutes du film. On le voit aussi se débarrasser peu à peu ce qui faisait de lui un «skin»: son couteau de boucher, ses bottes noires montantes, son crâne rasé, son blouson Harrington…

Si l’on peut lui reprocher quelques élans symboliques trop marqués par moment (la scène de la victoire de l’équipe de France de football en 1998 par exemple, où Marco va achever sa repentance), Un Français porte d’abord un regard sur un homme dont l'histoire est liée à celle de l’extrême droite française et du Front national. De nombreux extraits vidéo montrant Jean-Marie Le Pen, sa nièce ou ses proches sont d’ailleurs utilisés, comme pour rappeler l’emprise du réel sur le film.

Un Français ne fait pas l’apologie de la violence ni des mouvances skinhead mais il ne porte pas de regard moralisateur non plus contre ces groupuscules. Alors, oui, peut-être qu’un film évoquant l’histoire trouble du Front national et de ses racines ancrées dans le racisme a de quoi perturber notre société où le parti de Marine Le Pen essaye justement de changer son image. C'est peut-être parce que Diastème évoque en filigrane ce débat de société actuel que cette polémique a eu lieu.

Mais cela ne justifie pas les réticences qu’il rencontre. C’est justement parce qu’il traite de cette crainte des extrêmes dans la société française aujourd'hui qu’il est important de le projeter, et surtout de le voir. C’est seulement ainsi que les discussions et les débats pourront avoir lieu.

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