Santé / Tech & internet

Ce que j'ai appris sur moi en faisant des recherches de généalogie génétique

Temps de lecture : 8 min

Et comment cela m'a permis de comprendre en quoi les races n'existent pas.

Capture d'écran  du site igenea
Capture d'écran du site igenea

Etant, comme je vous l'expliquais, obsédée par la généalogie, j'ai décidé de me lancer dans la généalogie génétique, soit le fait de déterminer les origines géographiques à travers une analyse de l'ADN. En gros, vous transmettez à des organismes privés un peu de votre salive, ils l'analysent, et sont capables de vous dire d'où venaient vos ancêtres: les mutations génétiques dont nous sommes porteurs étant liées à des zones géographiques.

Je voulais comparer les résultats de deux programmes, mais je vous le dis tout de suite: je n’ai pas pu. Je n’ai jamais reçu mes résultats de la part de National Géo. (Je soupçonne un problème au niveau de la Poste.) Du coup, je ne peux me baser que sur les résultats de 23andme.

Pour resituer un peu, 23andme c’est une entreprise qui à l’origine, en 2006, se proposait de décrypter votre génome pour vous prédire vos problèmes de santé. Mais depuis 2013, la Food and Drug Administration a interdit à 23andme de proposer un service à visée médicale, à cause du manque de fiabilité de ses prédictions, notre santé ne se réduisant pas à nos prédispositions génétiques. L’entreprise a tout de même obtenu en février 2015 l’autorisation de commercialiser un test génétique pour détecter le syndrome de Bloom, une maladie génétique rare. Cette question des tests génétiques à visée médicale tombe souvent dans une zone législative grise. Ainsi, 23andme ne peut plus les proposer aux Etats-Unis, ni en France, par contre elle va les relancer pour les clients britanniques et canadiens. Cependant, à l’échelle mondiale depuis 2013, 23andme a dû se recentrer sur la généalogie génétique.

Le big data génétique

Si on résume: j’ai donc refilé ma salive et mon ADN à une entreprise privée américaine dans laquelle Google a des parts, une entreprise qui aimerait beaucoup que je l’autorise à revendre mon échantillon à d’autres entreprises dans le cadre de recherches médicales. Evidemment, vous avez la possibilité de refuser mais je tiens tout de même à insister sur le fait que ce genre de démarches ne sont pas anodines. Le but avoué de 23andme est d’obtenir le plus d’ADN différents pour mener ensuite des recherches médicales sur ce big data génétique.

Ensuite, j’ai attendu quelques semaines avant de recevoir mes résultats par Internet. Le test retrace deux choses: «the ancestry composition» qui vous dit en gros d’où venaient vos ancêtres, et «the maternal line» soit à quel groupe génétique (appelé haplogroupe) vous appartenez. Comme je suis une fille, cette partie du test ne retrace que ma lignée matrilinéaire à travers mon chromosome X (transmis de mère en fille). Et là, surprise, j’ai découvert que j’appartiens à l’haplogroupe K2a et donc que… je suis juive. Ah ah, je le savais! Je savais que cet amour immodéré des falafels n’était pas innocent, que c’étaient mes cellules elles-mêmes qui réclamaient leur dose de boulettes de pois chiches.

Je suis juive, enfin, presque

23andme me précise que «certaines branches du haplogroupe K, telles que K1a9, K2a2a, et K1a1b1a, sont propres aux populations juives et spécifiquement aux juifs ashkénazes, dont les racines se trouvent en Europe centrale et en Europe de l'Est.»

Et voilà comment je me retrouve génétiquement juive ashkénaze. Du coup, j’ai contacté Bertrand Jordan, spécialiste du sujet, auteur de l’excellent L’Humanité au pluriel et directeur de recherches au CNRS. Je pensais qu’il allait me rire au nez et me dire que tout cela était bidon. Et bien non. Il m’explique «ce n’est pas bidon. Il y a vraisemblablement une arrière-arrière grand-mère ashkénaze dans votre pedigree (c'est probable mais pas absolument certain)». A ce stade, une question s’impose: il existe donc un code génétique juif, en-dehors de l'aspect culturel ou religieux ? C’est sur cette idée que reposent des sites comme Igénéa qui vous promettent de vous dire si vous êtes juif. De là à aboutir à l’idée de race, il n’y a qu’un petit pas sémantique, mais un fossé intellectuel. Explications, toujours grâce à Bertrand Jordan.

Ce sont les haplogroupes qui donnent lieu à des raccourcis comme «Hitler était berbère»

L’espèce humaine est homogène, tous les humains possèdent un génome identique à 99,5% et ce pour une raison simple: elle est très jeune. Elle n’a pas encore eu le temps de se diversifier. Mais au fil du temps, elle a malgré tout connu quelques mutations génétiques qui la divise en plusieurs branches, les haplogroupes. On associe ces haplogroupes à des régions spécifiques ce qui permet de retracer dans les grandes lignes les migrations de nos ancêtres. Parce que nous sommes tous des migrants. Ce sont ces haplogroupes qui donnent lieu à des raccourcis comme «Hitler était berbère» ou 50% des Européens descendent de Toutankhamon.

L’espèce humaine est donc divisée en sept grandes familles et quelques sous-groupes. Peut-on alors parler de race? Difficilement et ce pour plusieurs raisons.

D’abord, l’appartenance à un haplogroupe n’est pas déterminante comme dans le cas des races animales. Ainsi, deux individus d’un même groupe peuvent dans leur ensemble être plus éloignés l’un de l’autre que deux individus de deux groupes différents. Votre haplogroupe ne détermine pas votre apparence physique, ni votre comportement et évidemment non plus vos capacités physiques ou intellectuelles.

Ensuite, tout cela relève de la statistique. Chacun des groupes humains présente toutes les diversités possibles. Il n’y a pas d’allèle présent uniquement chez un groupe, seulement des allèles plus fréquents chez certains groupes. On n’a jamais identifié de marqueur présent chez tous les juifs et absent chez tous les non-juifs, idem pour les Noirs ou autres. Ainsi, il n’y a pas de gène juif, simplement des marqueurs génétiques que l’on retrouve plus fréquemment chez les populations ashkénazes (et d'autres chez les sépharades). On est donc dans un rapport purement statistique.

J’ai probablement une ascendance ashkénaze. Et encore, notons qu’elle ne vient que de la mère de la mère de la mère etc, soit une seule lignée parmi tous mes ancêtres.

Autre preuve que la notion de race n’a pas de sens puisque nous sommes le résultat de mélange: on a niqué avec les Néandertaliens. Je possède 2,6% d’ADN de Néandertal.

Discours dangereux ou salvateurs?

Ces tests génétiques, en évoquant même implicitement l’idée de race, pourraient bien sûr servir des discours politiques dangereux. En réalité, ces tests peuvent servir le discours exactement inverse en nous montrant les migrations probables de nos ancêtres. Même dans mon cas, alors que mon arbre généalogique remontant jusqu’au 16ème siècle en France prouve que je suis effroyablement «de souche», mes ancêtres picards ayant aimé se marier avec leurs cousins de la maison d’à côté et idem pour mes ancêtres bretons –n’oublions jamais que «de souche» = peu ou prou consanguinité– même dans mon cas donc, la génétique démontre des ascendances multiples qui me rapprochent du reste du monde. La majorité d’entre nous a des ascendances mixtes, l’ADN permet de révéler des traces de ces ascendances plutôt que l’appartenance présente à une race déterminée. Nous sommes le fruit de croisements, l’idée même de pureté inhérente au concept de race s’oppose à la réalité scientifique.

Bilan

Cela va faire un an que je travaille sur ma généalogie. Après ces mois de recherches généalogiques, qu’ai-je appris?

D’abord, j’avais beau être une bonne élève en cours d’histoire, je partais avec une vision totalement fausse de la vie des mes ancêtres. J’imaginais qu’ils se mariaient à 15 ans, étaient parents dans la foulée, grand-parents à 30 ans et morts à 40. Grosso modo. Et bien pas du tout, mes Picards se mariaient en moyenne vers 25 ans, avaient des enfants entre 25 et 35 ans et mouraient tranquillement à plus de 70 ans. (Prenons l’exemple de Jacqueline Desenlis, née en 1620, mariée en 1646, a un fils en 1651 –soit à 31 ans comme moi– et morte à 70 ans.)

Avec la généalogie, le plus troublant c’est que vous partez dans une quête dont vous ignorez l’objet. Il y a de façon sous-jacente le besoin d’arriver quelque part alors même que cette quête est par essence sans fin. Dans mon cas, il y a quand même eu un dévoilement. Ca s’est passé un samedi soir. (Enième indice du problème d’addiction: vous y consacrez vos samedis soirs.) Un samedi soir donc, j’ai trouvé une réponse à une question dont je ne savais même pas que je me la posais. Mon grand-père maternel était résistant mais il n’avait jamais parlé de ses activités. Elles avaient été complètement oblitérées de la mémoire familiale. Après pas mal de recherches, j’ai réussi à obtenir son dossier de résistant au centre militaire de Vincennes et j’ai découvert qu’il n’avait jamais fait aucune demande pour reconnaître son statut de résistant. Pire, il n’avait même pas reçu les papiers officiels que j’ai retrouvés dans son dossier à Vincennes.

(Un grand merci à El Sergio qui s’occupe d’envoyer une copie de ces dossiers militaires.) J’ai eu une sensation d’accomplissement de pouvoir rétablir un chainon qui manquait dans le roman familial. Parce que, ne vous y trompez pas, toutes les familles se créent une mythologie. La généalogie permet justement de la confronter à l’épreuve des faits et de découvrir que la réalité se révèle souvent très éloignée de la narration qui s’en est transmise.

On peut trouver que la généalogie est une activité morbide. Elle consiste quand même à passer des heures avec des gens morts. Mais cette accumulation d’individus, de certificats de décès, d’évènements de la vie réduits à des bouts de papier numérisés, vous permet également de remettre votre propre existence en perspective. Soit vous optez pour un point de vue égocentré et vous regardez tous ces individus, toutes ces vies mêlées, cette chaine humaine à travers les siècles comme menant inéluctablement à vous. Vous devenez le point d’aboutissement d’une histoire de plusieurs siècles. Soit vous prenez un point de vue relativiste et vous réalisez que vous n’êtes qu’une minuscule étape qui s’inscrit dans une longue histoire, un micro passage de relai, à la fois insignifiant et déterminant.

A travers la remontée de ses ancêtres, on assiste à la naissance de l’individu

Et pourtant, face à la somme démente des traces que l’individu actuel laisse, on a forcément tendance à se percevoir comme essentiel. Du point de vue généalogique, je ne suis pas plus importante que Jacqueline Desenlis dont il ne reste que 4 dates. En fait, à travers la remontée de ses ancêtres, on assiste à la naissance de l’individu.

Il suffit de comparer le nombre de photos de vous avec celui de vos grands-parents, qui ne prenaient de photos que lors de grandes occasions. Avant l’édit de Villers-Cotterêts en 1539 qui oblige à tenir des registres plus précis des baptêmes, mariages et décès, l’individu n’existe même pas. D’ailleurs, que feront nos descendants de nos milliers de photos, de nos vies enregistrées jour après jour comme si chaque seconde du présent devait être fixée à tout jamais pour perdurer éternellement? De la généalogie, parce qu’elle nous replonge dans le passé, et aide ainsi à relativiser notre besoin frénétique d’archiver le présent. La généalogie est un memento mori.

Mes arrières-arrières-grands-parents et mon arrière-grand-mère (la bonnasse au chapeau)

Newsletters

Covid long: la recherche avance, le «tout psychosomatique» recule

Covid long: la recherche avance, le «tout psychosomatique» recule

De solides hypothèses et des avancées thérapeutiques sont étudiées pour mieux comprendre et traiter le Covid long, maladie protéiforme encore trop méconnue ou sous-évaluée.

Le succès de l'Ozempic ou le retour de l'injonction à la maigreur

Le succès de l'Ozempic ou le retour de l'injonction à la maigreur

Détourné de son usage thérapeutique, cet antidiabétique est devenu la star des cures d'amincissement. Il s'impose comme un remède à l'obésité et répond à un idéal type: vouloir être maigre.

«Ai-je tort de mélanger l'amour et le respect?»

«Ai-je tort de mélanger l'amour et le respect?»

Cette semaine, Mardi Noir conseille Élodie, qui se demande si l'on peut mépriser quelqu'un qu'on aime.

Podcasts Grands Formats Séries
Slate Studio